Mobiliers urbains : bataille de regards entre plaques d’égout
Dans notre course aux urbanités délaissées, on s’attaque aujourd’hui à l’un des mobiliers urbains a priori les moins ragoûtants : les plaques d’égout ! Ces couvercles de forme arrondie que l’on trouve à peu près sur toutes les chaussées des villes du globe ont surtout une fonction pratique et sécuritaire. Souvent fabriquées en fonte, pesant plus de 50 kg, ils ont pour vocation de « limiter l’accès des réseaux d’assainissement souterrains aux seuls professionnels (égoutiers) et d’éviter les accidents sur la voie publique ». Cependant, certaines villes et certains artistes voient dans ces « regards de chaussée » de solides tablettes d’expression ou de judicieux supports pour une poignée d’usages. Ci-dessous, on vous livre un florilège des capuchons de rues les plus inspirants pour aménager des villes astucieuses ou simplement plus jolies !
Sous les pieds des citadins, une chaussée aux yeux multiples
Vous l’aurez sans doute remarqué, certaines communes se dotent de plaques d’égout toutes particulières, laissant de côté les motifs géométriques stéréotypés. Habituellement, on se déplace en ville en regardant droit devant soi, évitant les obstacles et admirant le paysage environnant… Car si l’asphalte et ses attributs attirent rarement l’oeil du passant, c’est que tout intérêt donné aux routes et chaussés est délégué aux professionnels de voirie, et autres employés spécialisés. Les seuls profanes qui se plaisent à jeter un œil sous leurs pieds ne sont autres que les enfants – une forme ronde au sol est l’occasion d’imaginer un tas de scénarios ludiques -, et les explorateurs du monde souterrain ! Car comme on vous le rapportait il y a quelques temps, l’exploration urbaine est une pratique en vogue, et les dessous des villes représentent une part importante de ces expéditions.
Ceci dit, un tour du monde des couvercles de chaussée nous ferait sans doute changer de cap, poussant plus naturellement notre regard sur ces arrondis tout terrains. En effet, il faudrait créer un guide des plus belles plaques du monde entier tant le voyage vaut le coup. Sur internet, les photographes de ce mobilier sculpté ne manquent pas et c’est un pur régal pour les afficionados de beaux objets, et d’Histoire urbaine. La plupart du temps, elles prennent la forme de symboles, atouts, monuments et autres signes distinctifs de la ville dans laquelle elles reposent (sans oublier le nom de la commune elle-même).
Parmi de nombreuses autres, c’est notamment les chaussées japonaises qui sont reconnues pour leurs ornements : variés, fins et très agréables à regarder. Pour avoir eu la chance d’en admirer un certain nombre, ça donne envie de les collectionner tous (au même titre que leurs tampons de gares [Lien interne]!). La voirie nippone n’est évidemment pas la seule à s’être parée de ce mobilier maquillé, vous pouvez notamment admirer celles de Pierre Jeanneret dans la ville indienne Chadigarh, ou bien apprendre par cœur les blasons de certaines villes françaises, datant du Moyen Âge !
Depuis peu de temps, ces portes souterraines ont d’ailleurs le vent en poupe puisqu’il est désormais possible d’imprimer les motifs de ces capuchons urbains sur des objets en tous genres (tissus, coussins etc.)… On espère donc que ce type d’initiatives de mise en valeur du patrimoine motivera les communes à embellir les recoins où leurs citoyens mettent les pieds ! Et si ça devenait un véritable atout territorial pour des virées touristiques placé sous le signe des regards de chaussée ?
Un mobilier intelligent en devenir ?
Parfois, les designers de plaques d’égout savent mêler l’utile à l’agréable. Si elles cachent l’antre de valeureux égoutiers, et de cataphiles confirmés, leur apparence blindée – pour résister aux passages plus ou moins lourds et aux intempéries – ne montre guère leur fonction première de portes. Lorsqu’elles sont désignées à l’effigie de la ville, les plaques d’égouts ressemblent avant tout à d’anciennes insignes, médailles, voire même sceaux médiévaux – ces objets que l’on trempait dans la cire molle pour signer actes et lettres d’antan…
Mais certaines municipalités se sont dotées de trappes délivrant un usage supplémentaire à leur fonction première. Plutôt que d’en faire de simples beaux objets, pourquoi en effet ne pas profiter de ce matériau si répandu pour développer diverses propriétés utiles en ville ? Il y a un certain temps déjà, le designer d’espace Jiae Kwon se faisait connaître grâce à son projet « Map-hole City Guide » :
« Il s’agit d’une nouvelle forme de signalétique utilisant le paysage urbain existant. Map-hole est tout simplement une bouche d’égout/plan . Aussi, chacune des plaques est dotée d’indications comprenant par exemple les quartiers proches, les commerces, les lieux notables ou encore les attractions avoisinantes dans le cadre de parcs à thème. »
Transformer le côté face des portes d’égout en plans de ville ? En voilà une idée astucieuse ! Dans la même veine, d’autres designers se sont évidemment essayés à rendre plus utiles encore ces couvercles en fonte. Cheolyeon Jo et Youngsun Lee ont ainsi prototypé « an electronic manhole cover that gives directions to the closest train or bus stop. The manhole is powered by rain drops that spin an electricity-generating fan, which activates the display when a user steps on it. Stepping on the right side activates subway directions, while a step to the right shows bus directions ». Eco Sign est un dispositif ingénieux qui a beaucoup fait parler de lui en 2009, mais on ignore s’il a réellement été distribué et mis en place depuis…
A travers ces différents aspects nous voulions ainsi montrer que les plaques d’égout représentent un mobilier urbain ancien (mais non obsolète) qui mérite le coup d’œil, que ce soit pour admirer l’existant ou être repensé de manière innovante. La sortie récente d’un énième film de la licence Tortues Ninja n’est d’ailleurs pas à prendre à la légère : derrière chaque plaque d’égout se cache sans doute un monde merveilleux !
Pour aller plus loin :
- Plaques d’égout – sur Wikipédia
- L’égout et les couleurs – sur le blog de Camille Dugas, artiste
- Le Japon est dans le détail : art de bouches – sur Le Bug Urbain