Yes We Camp, acteur influent de l’urbanisme transitoire

Camille Fallet ©Yes We Camp
17 Juin 2020 | Lecture 5 minutes

Avant-propos : en 2019, Bouygues Immobilier a piloté une étude interne sur l’urbanisme transitoire, réalisée par pop-up urbain. Plusieurs parties prenantes de ce vaste mouvement ont été interviewés pour l’occasion, parmi lesquels Nicolas Détrie, cofondateur et directeur de Yes We Camp. La structure est en effet l’un des acteurs les plus influents de cet écosystème, présents sur un nombre croissant à travers la France. Dans cet entretien, Nicolas Détrie nous présente l’histoire de son association, depuis ses premiers balbutiements marseillais, avec toujours en ligne de mire l’envie de transformer les valeurs fondatrices de la pratique urbaine.

 

Comment en arrive-t-on à l’urbanisme transitoire ? Qu’est-ce qui vous a mené, vous et vos collaborateurs, vers ce type de projets plutôt que dans l’urbanisme plus classique ?

Nicolas Détrie : Il y a plusieurs choses qui sont enthousiasmantes dans ce métier ! D’abord, il faut dire que notre motivation, au-delà de l’urbanisme, c’est la vie, la vitalité, les rencontres, les apprentissages ! Les champs professionnels concernés débordent donc de l’architecture et l’urbanisme. Dans l’équipe, nous sommes autant mobilisés pour la création artistique, la construction low tech, l’animation, l’accompagnement social, ou encore les métiers de cuisine et restauration.

Après, l’un de nos moteurs, c’est la rapidité de transformation : quand on a une idée, il suffit de quelques semaines pour la mettre en oeuvre… alors que dans l’urbanisme traditionnel, il faut plutôt attendre dix ans, ce qui est parfois très frustrant ! C’est d’ailleurs pour ça que l’on parle d’urbanisme “réactif”, plutôt que d’urbanisme “transitoire”. Ceux qui parlent d’urbanisme transitoire, ce sont les aménageurs, parce qu’ils ne savent que faire des opérations à vingt ans. Mais la ville, elle est en permanence en transition ! Elle se fait depuis toujours sur elle-même, elle s’augmente.

Comment s’incarne cette vision au sein de vos projets ? Comment se traduit cette envie d’être “réactif” plutôt que “transitoire” ?

Ce qui compte, à nos yeux, c’est de faire des lieux qui “augmentent” les possibles.

Notre société est aujourd’hui en panne dans sa capacité de créer de l’imagination, de la capacité collective et du lien. On est tous un peu cloisonnés chacun dans son monde, et c’est en réponse à ça qu’on travaille. On essaie de voir comment faire pour que les gens puissent se rencontrer, produire, inventer, dépassent leurs sentiments de défiance… Une bonne manière de réussir ça, même si ce n’est pas la seule, c’est de le faire dans un lieu défini qui devient un espace de possibilité. C’est ça, notre vision des projets.

Ce qu’on conçoit, c’est un nouveau type de lieu dans la ville, à la manière de ce que peut être un terrain vague pour des enfants. Ce sont des espaces où il y a un petit peu moins de contrôle, où l’on peut expérimenter même si l’on n’est pas un expert. Quand on y entre, on ressent que les règles du jeu sont un peu différentes que dans l’espace public ou les autres lieux ouverts, comme les écoles, les galeries marchandes ou les musées… En somme, ce sont des endroits où l’on peut s’exposer davantage. Les situations offertes par l’urbanisme transitoire sont de très bonnes opportunités pour concevoir de tels lieux, car c’est facilement accepté par tout le monde qu’il puisse s’y passer quelques chose d’inédit, osé, mixte… …

Camille Fallet ©Yes We Camp

Camille Fallet ©Yes We Camp

Mais l’urbanisme transitoire n’est pas le seul contexte favorable à créer ces espaces créatifs, libres et solidaires que nous aimons tant. D’ailleurs, notre premier grand projet, “Camping Marseille” à L’Estaque, ce n’était pas de l’urbanisme transitoire. C’était sur un espace qui appartenait au Port de Marseille, qui était inoccupé depuis quinze ans, avec plein de projets qui ne faisaient jamais. Au final, on a eu le site pour huit mois. On y a construit notre ville utopique et éphémère, que l’on a déconstruite au bout de ces huit mois. Plein de gens nous demandaient : mais comment vous avez fait pour avoir le site, alors que plein de projets s’y sont cassé les dents ? Je pense justement que c’est le fait d’avoir une temporalité courte qui nous a aidés ! Que ce soit pour un propriétaire ou une collectivité, pour les pompiers ou la police, ils savent qu’ils vont pouvoir reprendre la main si on s’inscrit dans une temporalité courte. Résultat, on nous laisse davantage libres, quand bien même ça leur fait un peu peur.

Dans ce type de projets, la question financière est parfois quelque peu tabou. De votre côté, comment se financent vos projets ?

Chaque projet fait au mieux pour fabriquer ses recettes financières. L’idée de nos déploiements est de “faire plateforme”, c’est-à-dire que d’autres personnes et structures viennent, et tous ceux qui utilisent l’espace contribuent au budget commun de gestion. Ces contributions ne suffisent souvent pas. Elles sont complétés par des recettes marchandes directes, comme la restauration et les locations. Il faut réussir à mobiliser au-delà de cette capacité d’autofinancement, surtout pour les projets sur des terrains de plein air. Les autres catégories d’acteurs qui pourraient participer financièrement à cette “valeur” que l’on crée, ce sont d’abord les subventions, car nos projets remplissent des objectifs qui sont ceux des collectivités ou de l’Etat ; et ensuite les aménageurs et les promoteurs, ceux qui vont vendre les terrains ou les bâtiments, et profitent à la fois de l’expérimentation sur les usages, et de l’attractivité créée.

Vive les Groues, Nanterre ©Yes We Camp

Vive les Groues, Nanterre ©Yes We Camp

Sur le terrain des Groues, à Nanterre, on a proposé à l’aménageur Paris La Défense un budget commun pour assurer une dynamisation collective à l’échelle de tout le quartier en transformation urbaine, pour par exemple  aménager des petits espaces, créer une signalétique, proposer des événements ou des jeux pour enfants… On a proposé que ce budget commun soit porté par l’aménageur, soit par un mécanisme de “1% activation”, soit par la mobilisation d’une dotation des promoteurs à hauteur de quelques euros du mètre-carré. A Bordeaux, l’aménageur Euratlantique a mis en place cette contribution pour financer des œuvres d’art, donc ça veut dire que c’est possible de le faire ! Mais plutôt que des œuvres d’art, nous trouvons plus pertinent de financer des dispositifs de mobilisation des habitants, pour créer une attitude collective engagée dans la gestion quotidienne de quartier.

Ces dispositifs peuvent changer la manière de livrer des nouveaux quartiers ! Pour nous, ça n’est plus possible qu’un aménageur livre seulement du “physique” et dise ensuite “débrouillez-vous” aux futurs usagers de ce nouveau morceau de ville. De la même manière qu’il fabrique des trottoirs et identifie les fonctions urbaines, l’aménageur doit être responsable de créer une “composition sociale”, une sorte de mode d’emploi de la vie quotidienne, qui prend en compte les immenses enjeux de notre époque que sont les inégalités et le changement climatique. C’est pour ça que l’on trouve intéressant de profiter de la phase transitoire pour tester et activer des usages, des bonnes pratiques, puis il faut réussir à assurer une transmission. C’est dans cette intention que nous avons proposé une “régie commune de transition” pour assurer une jonction entre le projet Grands Voisins et l’installation des habitants du futur quartier.

Au-delà des aménageurs et des promoteurs, quels sont les acteurs avec lesquels vous travaillez ? Comment se compose l’écosystème d’un projet transitoire ?

Notre valeur cardinale, c’est la cohabitation. Un projet sera intéressant si on juxtapose des expériences différentes. Notre écosystème se compose des acteurs présents sur le site, ceux qui l’occupent ou l’utilisent durant la durée du projet, d’où l’enjeu de bien choisir au départ les intentions d’usages et les structures qui s’installent dans les murs du projet. En parallèle, il y a le territoire qui nous accueille : les voisins, les riverains, les écoles à proximité, etc. Idéalement, il y a une continuité directe, ou même une fusion, entre les acteurs locaux et ceux qui composent le projet au quotidien. Mais ça n’est pas toujours possible. Alors il y a un équilibre  trouver entre l’ici et l’ailleurs, entre répondre directement aux besoins d’un territoire, et apporter une énergie qui vient de l’extérieur. En fonction des contextes, l’attention ne sera pas la même. Dans des quartiers populaires, l’enjeu d’être directement utile aux riverains du projet est plus important que dans un projet comme les Grands Voisins, qui prend place dans un quartier favorisé. Enfin, la troisième catégorie, ce sont ceux qui projettent sur le long terme : l’aménageur et le politique. Ils regardent ce qu’un tel projet “fabrique” ou “complète” en termes d’identité urbaine, de niveau de service ou d’attractivité.

Après tout, notre société est capable de gérer une colocation à l’échelle d’un logement, de mesurer les bénéfices que ça apporte aux uns et aux autres. Comment appliquer ça à l’échelle d’un quartier ? L’enjeu, c’est vraiment celui-ci : comment on vit les uns avec les autres ? A mes yeux, c’est la seule manière de répondre aux enjeux écologiques de notre habitat sur la Terre. Il faudra nécessairement être plus efficaces dans notre capacité d’action collective, et cela passe entre autre par la manière dont les espaces sont pensés et organisés.

 

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