Voisine-t-on encore en ville ?
Ils cohabitent avec nous dans la même rue, le même immeuble, voire le même palier, et pourtant nous ne les avons pas choisis. Entre litiges et nuisances, les relations entre voisins ne sont pas toujours évidentes, et aujourd’hui le voisinage rime bien souvent avec problèmes. Pourtant, les liens avec celles et ceux qui vivent près de chez nous peuvent se révéler fédérateurs, sources de solidarité et d’entraide.
Le constat est simple, nous avons de moins en moins de temps à accorder aux autres : les rythmes de vie imposés par une société où tout va de plus en plus vite, où l’utilisation de nos temps de vie doivent être au maximum optimisés, ne nous laissent plus beaucoup de temps pour discuter avec les gens qui nous entourent. Viennent s’ajouter à cela, le développement des modes de communication digitale, qui semblent prendre le pas sur les sociabilités locales : il est désormais quasiment plus naturel de prendre des nouvelles d’une personne habitant à des milliers de kilomètres de chez nous, que de notre voisin de palier. Pourtant, les relations de voisinage sont souvent au cœur des préoccupations d’un bon nombre d’urbains : qu’elles soient bonnes ou mauvaises, elles ont une forte influence sur notre bien-être quotidien. Mais quels sens prennent-elles aujourd’hui ? Voisine-t-on comme le faisaient nos ancêtres ? Qu’apportent réellement les relations de voisinage à nos façons de pratiquer la ville ?
Le voisinage, une échelle locale valorisée depuis de nombreux siècles
L’échelle du quartier a toujours eu une forte importance dans la vie quotidienne de nos villes. Historiquement, chacun d’entre-eux était marqué par une fonction, et un type de population. Résider dans un certain type de quartier était révélateur d’une appartenance à une communauté où chacun se côtoyait, se connaissait et échangeait. L’arrivée de l’ère industrielle au cœur des espaces urbains a eu un double effet. Dans un premier temps, l’industrialisation des villes a permis la création d’utopies sociales : des cités ouvrières, phalanstères, ou encore familistères, tous sont des lieux où la cohabitation entre différentes familles travaillant dans les usines implantées à proximité, et où les relations entre voisins ont été fortement induites par la mise en commun d’espaces.
Mais l’industrialisation des villes a également amplifié le nombre de personnes qui y résidaient. Les faubourgs des villes se sont peu à peu transformés et l’importance donnée à l’échelle des quartiers s’est elle aussi peu à peu estompée. En se densifiant, la ville s’est dotée de nouvelles formes de bâti : des immeubles plus hauts, plus larges, plus longs, au sein desquels le nombre de logements a augmenté, ce qui a eu pour impact une diminution progressive de l’interconnaissance de leurs résidents.
Aujourd’hui, il semblerait qu’on ne “voisine” plus en ville. Par manque de temps, par manque d’envie, bon nombre de citadins ne connaissent pas les personnes qui habitent le même immeuble qu’eux. Les attentes liées aux relations de voisinages peuvent d’ailleurs être extrêmement variées selon les personnes : pour certains, un bon voisin sera un voisin qu’on ne voit pas, qui ne fait pas de bruit et qui n’est pas dérangeant, pour d’autres, il s’agira de l’inverse puisqu’un bon voisin sera celui avec qui une relation se sera établie, une personne serviable et présente.
L’ensemble de ces variations dans les relations de voisinage a bien souvent intéressé les chercheurs, notamment les sociologues qui cherchent à comprendre ce qui peut influencer ces dernières. Pourtant peu d’enquêtes à l’échelle nationale ont été réalisées. La dernière en date, nommée “l’enquête contact” (réalisée par l’INED et l’INSEE datant de 1983), a cependant pu mettre à jour des variations entre les différentes classes sociales et types d’habitats. En effet, l’enquête a révélé qu’en habitat individuel rural, les gens avaient plus tendance à entretenir des relations avec leurs voisins qu’en habitat collectif urbain. Les familles, notamment grâce aux relations créées par leurs enfants voisinent davantage que les personnes vivant seules. En milieu urbain, ce sont les cadres qui entretiennent le plus de relations avec leurs voisins : ils organisent des repas, et apéritifs, s’investissent ainsi plus fortement dans la vie de l’immeuble que les autres classes sociales. Quant aux commerçants, ce sont ceux qui entretiennent le moins de relations de voisinage en ville, ce qui s’explique par leur profession qui leur fournit déjà un large réseau de connaissances ancrées localement.
Malgré ce que l’on pourrait croire, les dernières publications scientifiques révèlent que les relations de voisinage ne tendent pas à diminuer. Bien au contraire, il semblerait que depuis une vingtaine d’années, l’intérêt pour celles et ceux qui habitent près de chez nous soit de nouveau d’actualité. Entre rapport de sociabilité, tensions et entre-aide, qu’est-ce que les relations de voisinage racontent de manière générale de notre société et plus précisément de la ville ?
À quoi ressemblent les relations de voisinage en ville aujourd’hui ?
La majorité de nos relations de voisinage en ville sont limitées à quelques échanges de mots dans les escaliers ou dans l’ascenseur. Selon une enquête réalisée par OpinionWay en 2012, auprès d’un échantillon de 816 personnes, 62% des interrogés avouent peu connaître leur voisin. La notion d’entraide apparaît cependant comme importante : 69 % des personnes ayant répondu estiment rendre des services au quotidien à leurs voisins. Cette solidarité semble être fortement appréciée car elle permet de développer un sentiment de sécurité au sein de son logis. Même si l’on ne se connait pas bien entre voisins, il reste rassurant de savoir que l’on peut sonner à une porte pour demander un service.
Néanmoins, la discrétion semble également être de mise car, pour 65 % des interrogés, c’est la principale qualité qu’un voisin doit avoir. Pour éviter tous les conflits entre voisins qui peuvent très vite devenir un vrai fardeau pour une copropriété, un bon voisin est avant tout celui qui respecte les règles. Un site internet s’est d’ailleurs amusé à recenser un bon nombre de petits mots laissés entre voisins dans les parties communes : preuve que la cohabitation n’est pas toujours aussi facile qu’on voudrait bien l’espérer !
Même si en ville les rapports de voisinage restent des relations peu impliquantes, elles ont tout de même leur importance auprès des citadins puisqu’une personne interrogée sur deux perçoit comme nécessaire le fait de connaître ses voisins. Un changement qui peut également s’expliquer par le nombre croissant d’outils créés pour renforcer ces liens en ville et qui permettent de se rencontrer au sein d’un même quartier.
Mais comment ces liens peuvent donc se renforcer aujourd’hui ?
Depuis 1999, chaque année la Fête des voisins est organisée à l’échelle nationale par l’association Voisins Solidaires. Fêtée pour la première fois dans le 17ème arrondissement de Paris, ce sont désormais plus de 2 000 municipalités qui mettent en place cette fête le dernier vendredi du mois de Mai ou le premier vendredi du mois de Juin. Une fête collaborative qui permet avant tout de prendre le temps de rencontrer ses voisins : lors d’une soirée, chacun est invité à préparer un plat pour un repas collectif. Une belle occasion de créer des liens avec certains de ses voisins et de mettre en place des activités, apéros et même pourquoi pas un système de compostage au sein de sa copropriété !
Le succès rencontré chaque année par la Fête des voisins témoigne d’une réelle volonté de créer des réseaux locaux de sociabilité par les habitants d’un quartier. Pour aider au développement et à la mise en place de ces sociabilités locales, certains ont réfléchi à des outils qui peuvent faciliter la vitalité d’un tel réseau. C’est le cas de la plate-forme Tousvoisins, un site internet regroupant les informations quant à la vie d’un quartier. Regroupant 16 grandes villes, des centaines de quartiers y sont répertoriés, et pour chaque quartier sont répertoriés les différents commerces, marchés, animations, événements festifs, mais également des petites annonces postées par les habitants du quartier. Grâce à cette plateforme, il est donc possible d’avoir accès à un maximum d’informations sur la vie de son quartier !
Plusieurs plateformes en ligne se sont également développées autour des services entre voisins : mon super voisin, ou encore allo voisin par exemple. Grâce à ces plateformes, il est possible de proposer un service en fonction de ses compétences (bricolage, baby sitting, cours de cuisines, apprentissage d’une langue…), mais aussi de trouver un voisin pour se faire aider pour la réalisation d’une tâche du quotidien, de manière gratuite ou rémunérée. Le but final “affiché” de ces plateformes est avant tout la création de nouveaux liens.
Certaines d’entre-elles se sont d’ailleurs spécialisées dans la mise en lien d’habitants avec des personnes âgées isolées qui habitent à proximité de chez-eux. C’est le cas de voisin-age : pas besoin d’engager beaucoup de temps, la plateforme vous permet de prendre, par exemple, un repas avec un de vos voisins âgés. De quoi ressouder les liens et l’entraide !
Certains nouveaux quartiers (de type ZAC) qui sortent de terre se dotent également de leurs propres réseaux sociaux pour favoriser les échanges entre les nouveaux résidents. Un bon moyen pour favoriser des initiatives entre les nouveaux habitants dans des quartiers neufs où tout est à créer.
C’est donc à travers des micro-initiatives locales que les relations de voisinage tendent à s’accentuer. Une multiplication qui illustre bien le fait que les citadins souhaitent retrouver des liens avec leur entourage. Pourtant se pose la question de la qualité de ces liens entre voisins. La plupart des plateformes proposent la marchandisation des services rendus. Créateurs de liens sociaux ou simple business, cela met en avant tout de même l’échelle du quartier dans le quotidien des citadins.
Des intermédiaires semblent donc nécessaires pour favoriser la création de liens entre voisins dans la ville. Il peuvent être des intermédiaires digitaux comme le sont les plateformes en ligne d’échanges de services ou un système de réseau social propre à un quartier, mais l’espace urbain peut également devenir cet intermédiaire nécessaire. C’est le cas du jardin des Amaranthes à Lyon, et plus généralement de tous ces nouveaux ou plus anciens espaces partagés qu’offrent la ville. En proposant des espaces publics appropriables, avec de vraies qualités d’usages, la rencontre entre voisins, est, on l’observe, bien plus facilitée, et avec elle, la création de liens sociaux locaux. Cependant, la ville offre-t-elle actuellement assez d’espaces qui peuvent-être support d’intermédiaire entre ses habitants ? En effet, certains quartiers de villes ne disposent que peu d’espaces appropriables… La ville de demain ne serait pas une ville où l’espace public serait le liant de ses usagers ?
Mais outre la création de nouveaux espaces, la réactivation d’espaces existants, par des temps festifs et collaboratifs, peut aider à la rencontre des différentes personnes qui habitent un même quartier. Comme ce à quoi servaient auparavant les bals festifs, concours sportifs, ou encore aujourd’hui les brocantes ou même les marchés, et tous les temps forts dans la vie d’un quartier, il est intéressant de noter que les usages temporaires s’avèrent être riches d’échanges sociaux et contribuent ainsi bien souvent à réactiver les quartiers qui composent nos villes.
Une échelle locale urbaine à valoriser
On observe depuis quelques années le retour de l’échelle locale, notamment celle du quartier, comme un enjeu clé dans l’aménagement urbain. On cherche, non pas à recréer les dynamiques qui étaient présentes dans certains quartiers pendant de nombreuses années, mais à inventer des nouveaux lieux de vie, des lieux hybrides dans lesquels la rencontre est possible. À l’instar des modes de consommation qui se dirigent de plus en plus vers une consommation locale, il semblerait que les sociabilités urbaines prennent les mêmes directions.
Création de tiers-lieux, rencontres associatives, activités sportives et manuelles au sein du quartier, marchés, et fêtes de quartier sont déployées et redonnent ainsi une importance aux relations de proximité dans un monde où les systèmes de communications digitales ont tendance à finalement nous isoler. Cette tendance reflète un besoin qui se fait de plus en plus ressentir chez les citadins : en plus de la cellule familiale et amicale, les relations de voisinage peuvent apporter une présence quotidienne et une sensation d’appartenance à un espace.
Valoriser l’effervescence de ces initiatives par la création de lieux et d’aménagements qui seraient dédiées à ces liens de proximité peut alors être une solution pour créer une ville plus vivante, plus collaborative et surtout qui tend moins vers une anonymisation de ses habitants.