Voisin Malin, ou l’innovation de l’empowerment dans les quartiers populaires
Fondée par Anne Charpy, praticienne en projets de dynamisation des quartiers populaires depuis 25 ans, l’association Voisin Malin existe depuis octobre 2010. Et depuis bientôt six ans, cette association évolue au cœur des quartiers populaires pour y apporter un souffle résolument novateur : valorisation des compétences, empowerment des habitants et création d’emplois sont les maîtres-mots de cette association, qui, par son action au quotidien, favorise le lien social. Nous sommes allés à la rencontre de la fondatrice de l’association Anne Charpy.
Valoriser les compétences de « voisin malin » dans le cadre de campagnes de sensibilisation de quartiers
Actuellement implantée à Courcouronnes qui fut « la ville incubatrice », l’association Voisin Malin est également présente à Ris-Orangis, à Grigny et à Evry. Au-delà de l’Essonne, son territoire s’est récemment entendu à d’autres départements avec les villes d’Aulnay-sous-Bois, de Saint-Denis, de Villetaneuse, de Villiers-le-Bel, de Montreuil et enfin de Paris. Déjà présente dans un quartier de Lille, l’association est également en cours de développement dans des villes de province comme Marseille ou Lyon.
Son but premier ? Assurer des missions d’information utile auprès des habitants des quartiers de la politique de la ville.
Comment ? En faisant appel à « des Voisins Malins », qui sont eux-mêmes des habitants du quartier.
Et c’est bien là toute l’originalité de l’association. Agés de 19 à 71 ans, ces Voisins Malins sont recrutés par l’association pour leur aisance relationnelle, leur curiosité, leur connaissance du quartier et surtout leur volonté de pouvoir apporter quelque chose à leurs voisins : « On leur donne un statut professionnel car ils développent une vraie compétence et ont un vrai apport grâce à leur rôle d’informateur, de passeur, de connecteur entre les habitants », nous explique Anne Charpy.
Bien qu’une bonne moitié d’entre eux exerce un travail à côté, les Voisins Malins sont rémunérés pour leur action dans le quartier. Salariés en CDI à temps partiel (12 à 16 heures par mois), ils touchent un revenu complémentaire mensuel.
Leur mission consiste donc à informer les habitants du quartier en utilisant la « bonne vieille méthode » du porte-à-porte. Les problématiques abordées par les Voisins Malins sont d’abord définies entre l’association et le commanditaire qui fait appel à cette expertise novatrice : « Par exemple, pour un bailleur social il s’agit d’accompagner un projet de réhabilitation, de travailler sur la maitrise des charges liées au logements, de mener des campagnes de sensibilisation aux nuisibles (punaises de lit…) de donner des informations à propos du tri sélectif, ou d’agir tout simplement pour le maintien de la bonne vie en collectivité. »
La confiance des habitants du quartier, un vecteur essentiel pour l’action des voisins malins
Et les commanditaires ne sont pas choisis au hasard, car il s’agit bien d’œuvrer avant tout à la bonne vie du quartier : « A chaque fois que l’on nous contacte, nous vérifions d’abord le message que le commanditaire souhaite que nous portions. Il doit pouvoir apporter un véritable plus aux habitants. A l’inverse, nous ne faisons pas de messages publicitaires et nous portons encore moins aux habitants des messages qui sont faux. Si la commande nous gêne, nous faisons alors en sorte de faire évoluer, avec nos commanditaires, le message, afin qu’il puisse être en adéquation avec nos principes d‘action. Dans le cas d’un message avec lequel nous ne sommes pas d’accord, nous partirons, par exemple, sur un sondage auprès des habitants. Il permettra alors de renseigner notre commanditaire sur le point de vue des habitants vis-à-vis des moyens de faire évoluer une situation qu’il déplore et qu’il souhaitait avec son message initial faire évoluer. Il y a une dimension de confiance extrêmement importante entre les habitants et les Voisins Malins. »
Et c’est justement cette confiance qui donne aux Voisins Malins la possibilité de dépasser le cadre des missions commandées initialement et d’œuvrer véritablement pour une redynamisation de leur quartier : « En voyant des personnes qui leur ressemblent, dont les compétences et le rôle sont reconnus et qui font l’effort de venir jusqu’à eux, les habitants se sentent vraiment considérés par les Voisins Malins. Et comme la confiance se crée, notre sujet initial se révèle au final ne plus être l’unique échange que nous avons avec les habitants. Connaissant le quartier, les Voisins Malins sont de véritables connecteurs entre les habitants et grâce aux formations que nous leur apportons et au fil des rencontres qu’ils font, ils apportent énormément aux gens. Finalement, même si le message initial est ce qui nous permet de rentrer en contact avec les habitants, il se révèle être un prétexte pour favoriser beaucoup d’autres choses positives pour les habitants et plus globalement pour la vie du quartier. »
Un soutien politique essentiel pour une action efficace, bienveillante et résolument utile aux habitants
Le mode de fonctionnement de l’association est simple : « Généralement, quelqu’un vient nous chercher. Il peut s’agir de la mairie ou d’un bailleur social ou bien d’un opérateur de service ou encore d’une association. Dès lors qu’on a une sollicitation, on va voir le maire dans le but de solliciter son soutien. Nous ne recherchons pas une aide financière de la mairie, mais nous demandons en revanche au maire son soutien, afin de pouvoir notamment bénéficier d’un local dans le quartier concerné et surtout de pouvoir être introduits auprès des acteurs locaux. »
Une fois ce soutien obtenu auprès du maire, l’association envoie un émissaire dans le quartier qui y passera trois mois pour s’imprégner totalement : « C’est de cette manière que les premières missions sont finalisées et qu’il va pouvoir rencontrer des gens de confiance qui vont lui recommander des Voisins Malins. Ces gens de confiance, nous les rencontrons au début de notre arrivée dans le quartier, mais plus encore ce sont nos acteurs pivots que nous retrouvons au quotidien dans notre action. Ils sont le centre social, le club de prévention, les régies de quartier, les gardiens d’immeubles, les parents d’élèves, les amicales des locataires… Généralement, on apprécie d’avoir nos bureaux dans le centre social, car il s’y passe beaucoup de choses. Notre présence quotidienne nous permet de nous présenter aux partenaires du centre. Et comme nous sommes en synergie avec la vie du centre, il nous arrive régulièrement de faire la promotion de leurs événements. »
Ce sont donc ces personnes ressources qui aideront ce futur manager à recruter les premiers Voisins Malins. Le processus de recrutement ? Il ne se fait pas au hasard… « Les profils devront être extrêmement diversifiés. Nous faisons émerger des gens qui ne sont pas engagés au niveau associatif, même si certains peuvent l’être. Mais aucun Voisin Malin ne doit être dans un enjeu de pouvoir ou dans une quelconque recherche de reconnaissance politique. Ils sont tous dans des enjeux de transmission et ont la volonté de pouvoir apporter aux autres des conseils utiles dont ils ont déjà fait eux-mêmes l’expérience. C’est justement cette capacité à pouvoir tenir ce rôle que nous valorisons, en en faisant une activité salariée exercée dans le cadre de méthodes éprouvées. Nous mettons donc en valeur ces qualités et nous faisons en sorte de faire progresser ces personnes qui ont ce potentiel au départ. »
A la différence des actions menées autrefois avec les « grands frères », Voisin Malin profite réellement aux habitants des quartiers de politique de la ville : « Car, au final, il s’agit bien d’empowerment. Les Voisins Malins, eux mêmes, construisent une véritable compréhension du quartier et des sujets qui pourront aider les habitants. Leur motivation initiale, c’est de faire en sorte que les autres habitants puissent apprendre, comprendre et partager ces petits leviers pour agir sur leur vie quotidienne. »
Une motivation qui, combinée à ce rôle de Voisin Malin qui leur est donné et qu’ils contribuent à construire, se transforme petit à petit en une réalité partagée.