Visages d’en Faces : quand l’art et l’attention portée à l’autre redessinent un espace urbain en commun.
Artiste et médiatrice, Christine Boulanger a créé Visages d’en Faces en 2015, après avoir travaillé pendant une dizaine d’années en tant que consultante dans le secteur privé. Son travail : créer tout simplement des rencontres à travers la réalisation de portraits dessinés et racontés. Nous sommes allés à sa rencontre.
Commençons par le commencement : la création de Visages d’en Faces.
“Les attentats de 2015 ont eu des conséquences profondes chez de nombreuses personnes. Personnellement, cet évènement a fait émerger en moi le besoin de se reconnecter aux autres, de développer une activité qui permet des moments de rencontres, d’échanges avec les personnes avec lesquelles on vit ou on travaille.”
Visages d’en Faces est donc né de cette volonté. Le principe est de dessiner et de raconter des portraits, ceux de personnes qui habitent un quartier, qui travaillent dans une entreprise, pour dans certains cas les exposer dans des espaces privés comme publics. C’est une manière de cultiver la curiosité, parfois même de faire évoluer les regards, dans une approche participative. L’outil artistique se met alors au service des rencontres et du vivre-ensemble.
“Finalement, mon métier consiste à créer des rencontres. Tout a commencé lors de la Nuit blanche de 2016 et de l’inauguration de la gare Rosa Parks. C’était un projet urbain qui faisait écho à ma démarche, parce qu’il permettait de relier deux quartiers du Nord Est de Paris et de transformer un lieu de passage en lieu de rencontre, notamment grâce à l’exposition temporaire que j’ai proposée, constituée de portraits dessinés et racontés.“
Quelles synergies peuvent exister entre le rapport que chacune et chacun entretient avec son lieu de vie ou d’activités et son rapport à l’autre ? En quoi est-il important de lier les deux ?
“Le rapport que l’on entretient avec un territoire est, selon moi, intrinsèquement relié au rapport à l’autre. Les lieux de vie, d’activités, les commerces, les entreprises, les espaces publics sont par définition des espaces où l’on peut être connecté aux autres, à celles et ceux qui nous entourent. Souvent, l’attachement à un lieu dépend des personnes qui interagissent dans ce lieu, aux souvenirs que l’on crée avec ces personnes.
En fait, l’espace urbain représente une réelle opportunité pour nourrir un enrichissement mutuel ,et ce de diverses manières. J’ai personnellement choisi les portraits, parce que je trouve que c’est un bel outil qui invite à la découverte, celle de soi-même et des autres. Et cette découverte et ce partage, participent à mieux appréhender et s’approprier un territoire.
Cela se concrétise par exemple dans l’exposition “Le pouvoir de nos gestes”, dont le but était de sensibiliser les citoyennes et citoyens aux problématiques liées à la gestion des déchets. Ma démarche a permis d’améliorer le rapport de chacun à son environnement, par la rencontre et la découverte des personnes qui habitent et qui travaillent dans le quartier. Ce projet a permis de donner une visibilité à certaines personnes, à certains métiers et de ce fait de renouveler naturellement un lien entre les riverains et leur environnement.”
Dans votre travail tout comme en ville, les notions d’individualité et de collectif s’entremêlent et se rencontrent. De quelle manière ces deux notions se complètent-elles selon vous ?
“L’individuel nourrit le collectif et réciproquement. Bien entendu, les portraits que je dessine et que je raconte sont l’histoire d’une personne, d’un individu. Il y a une dimension très authentique dans ce travail, de dévoiler un récit personnel. Mais cela doit avant tout nourrir le collectif.
Ce qui m’intéresse dans cette démarche et cette activité, ce que je recherche, c’est de développer cette forme d’art urbain comme un outil de médiation. L’objectif est que les personnes qui habitent et qui travaillent dans un quartier ne soient pas anonymes les unes pour les autres, mais qu’elles se découvrent, se rencontrent, qu’elles se regardent, notamment à travers ces portraits.
Chaque histoire a d’ailleurs des résonances universelles et peut toucher ou concerner particulièrement certaines personnes. Et c’est en cela que la démarche peut participer à fédérer des riverains, à faire émerger des interactions sociales.”
L’art urbain que vous développez est-il un outil efficace pour faciliter l’appropriation d’un territoire et la transmission de certains messages, de certains engagements ?
“En fait, avant le portrait, avant le dessin et l’exposition dans l’espace public, il y a un temps d’écoute qui est essentiel et qui doit permettre la réalisation d’une création visuelle. Ces créations non sonores reflètent ainsi ce temps d’écoute et permettent alors de véhiculer certains messages quant au vivre-ensemble et de la compréhension de l’autre et de ce qui nous entoure.
Je qualifierai plutôt cet “art urbain” d’outil artistique qui permet de partir à la découverte de celles et ceux qui nous entourent. C’est un médium adaptable et nomade. Il s’ajuste aux divers espaces qui façonnent une ville, aux circonstances et aux personnes dessinées ou spectatrices. Je pense que pour transmettre nos messages, il est essentiel de pouvoir les incarner. Les portraits parlent à nos émotions, ils sont le résultat de paroles authentiques, ils facilitent la connexion avec l’autre et avec l’environnement dans lequel ils se trouvent.
Et le choix de cette forme artistique est bien entendu réfléchi. Je préfère utiliser le portrait dessiné, une forme artistique peu utilisée, qui attire particulièrement l’attention sur les regards et qui permet de ce fait la transmission de messages qui me tiennent à cœur. Dans le dessin, il y a cette notion de douceur, d’invitation, de confiance que j’aime beaucoup et qui je pense parle aux gens, à leur sensibilité, à leur intelligence.”
Selon vous et votre expérience personnelle du confinement, comment cette période a bousculé nos rapports à l’espace public et à l’autre ?
“Pendant cette période si particulière, j’ai continué, comme beaucoup, à travailler à distance. C’était une expérience vraiment inédite. Les diverses dynamiques sociales et solidaires qui ont émergé pendant le confinement m’ont fait penser à ma démarche avec Visage d’en Faces. Notamment le fait que chacun devienne attentif à l’autre, à l’écoute des besoins d’un voisin, plus bavard avec une commerçante, ou tout simplement le fait de vouloir s’aider les uns les autres.
J’ai par exemple dessiné le portrait de Georgette qui travaille au sein d’un EPHAD. Ces moments ont été vraiment précieux pour moi. J’ai eu la chance d’avoir des instants de connexion avec les autres malgré les distanciations sociales.
Bien que nous ne soyons plus en période de confinement, je pense qu’il nous reste énormément de défis à relever, notamment pour réapprivoiser ensemble l’espace public. On le voit au quotidien, les habitants souhaitent se réapproprier ces espaces, se retrouver en extérieur, se revoir physiquement. L’espace urbain c’est un lieu au sein duquel se côtoie une grande diversité de personnes et en cela, c’est un lieu extrêmement riche.
Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il existe une seule bonne solution pour retrouver de bons rapports avec un lieu ou une personne en ville. Je pense qu’il faut que nous y allions par tâtonnement, par expérience, en douceur. La ville est un merveilleux laboratoire pour le lien et les interactions sociales.”
Tisser du lien social en ville par le prisme de l’art urbain, est-ce un bon début de réponse pour créer ensemble les villes durables et inclusives de demain ?
“Rappelons nous le nombre de banderoles, de mots de remerciements, de signes de reconnaissance et de signes de vie tout simplement qui ont habillé nos villes pendant le confinement. C’était beau et précieux. Je pense que ces manifestations spontanées ont permis de développer du lien social. En fait, cela a permis de réhumaniser des espaces où l’on ne croisait plus personne.
C’est intéressant aussi de voir de quelle manière ces formes spontanées, que l’on pourrait qualifier en prolongement de l’art urbain, relient l’espace public à l’espace privé. De la rue, on peut s’émouvoir d’une pancarte attachée à une fenêtre d’appartement, c’est une expérience similaire au numérique finalement ! Pendant le confinement, et bien au-delà je pense, l’art urbain comme le numérique nous ont permis de nous échapper d’un quotidien difficile, d’explorer la ville d’une autre manière, de voyager sur place en quelque sorte.
Ces liens créés sont tellement enrichissants pour chaque personne vivant en ville. Ils ont été un soutien moral pour certains, un émerveillement inattendu pour d’autres. Ils ont en tout cas été l’opportunité de faire émerger de belles surprises collectives et solidaires, qui je l’espère vont se pérenniser demain dans nos villes.”