Vincent Callebaut – « La ville idéale n’existe pas »
À l’heure du dérèglement climatique et de la pandémie, existe-t-il encore une ville idéale ? Entretien avec l’architecte Vincent Callebaut dont les bâtiments végétalisés s’efforcent de réconcilier la nature et la ville.
C’est quoi exactement la “ville idéale” ?
Le schéma de la ville idéale est plutôt une idée du XXème siècle. La génération de nos parents et de nos grands-parents nourrissait le rêve d’avoir un pavillon familial avec un jardin privatif, en dehors de la ville. Ville qui elle-même avait été imaginée par les modernistes – notamment par Le Corbusier – comme un organisme vivant où chaque quartier représentait un organe. Ça donne les villes hyper-énergivores que l’on a connu à la fin du XXème siècle. C’est à dire des villes qui avaient été pensées de manière mono-fonctionnelle : un quartier d’affaires à La Défense, un centre ville muséifié, des quartiers bourgeois, des quartiers pour les immigrés, des habitats pavillonnaires en banlieue…
Ce schéma a rendu possible l’explosion de la dépendance à l’automobile et l’étalement de la ville. Une ville qui dépense beaucoup d’énergie pour se chauffer, pour s’éclairer et pour déplacer ses citoyens.
Aujourd’hui on en est où ? La pandémie et la crise environnementale ont relancé de nombreux débats sur les modèles urbains.
Depuis une quinzaine d’années, on remarque en Asie du sud-est un phénomène de dé-densification des métropoles au profit des campagnes. Après avoir construit des mégalopoles de dizaines de millions d’habitants comme à Shanghai, ils se sont dit qu’il était possible de reconstruire des villages autosuffisants en énergie, en alimentation et hyper-connectés pour continuer le télétravail. Cela s’inscrit dans la fameuse troisième révolution industrielle théorisée par Jeremy Rifkin, qui est l’addition des énergies renouvelables et des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Finalement, cette question de cité idéale est un peu prise en étau. En tant qu’architecte on doit répondre à cette schizophrénie contemporaine : tous les citoyens veulent vivre au plus près de la nature et en même temps hyper-connectés. C’est le dilemme de l’habitant contemporain de joindre ces deux extrêmes en un habitat. Avec la pandémie, le phénomène s’est accentué. Cela remet en question le schéma avec lequel on travaille depuis des années, les journaux nous répètent en boucle que 75% de la population mondiale vivra dans des villes en 2050. Si on arrive à vivre heureux à la campagne, il y aura sûrement une inflexion de cette trajectoire.
Quelle est votre approche ?
La priorité est d’éviter l’étalement urbain à l’horizontal, pour sauvegarder le territoire et protéger les sols de l’artificialisation. Je fais partie d’une nouvelle génération d’architectes qui essaye justement de répondre à ces problématiques en condensant l’espace. On travaille beaucoup sur la densification sereine des centres villes, la revitalisation de tissus ruraux et intermédiaires. L’idée est de rapprocher le logement du lieu de travail et des services pour refaire de la qualité de vie. C’est un peu le concept de la ville du quart d’heure.
En ville, notre proposition est de faire des villages verticaux. Il s’agit de créer des tours, non pas comme au siècle dernier, mais avec des rues intérieures verticales ou obliques qui viennent desservir différents services, que ce soit des piscines, des potagers partagés, des espaces de travail, des salles des fêtes… On essaye de ne plus mettre le noyau qui contient les cages d’escaliers, les ascenseurs et les paliers au milieu du plateau dans le noir mais de l’externaliser, pour que depuis l’ascenseur on voit la ville se déployer. Un peu comme les escalators du centre Pompidou. On veut donner envie au citoyen de flâner à la verticale, que les plus beaux endroits du bâtiment soient ouverts aux citoyens même s’ils n’habitent pas dans cette tour.
Cela fait partie de vos propositions pour l’appel à projets Paris 2050 commandé par la ville de Paris ?
Oui, on avait réfléchi à la manière dont une ville comme Paris pouvait se densifier en tenant compte de son magnifique patrimoine. Comment mettre en œuvre une économie circulaire et vertueuse dans une capitale européenne ? On avait développé le concept de solidarité énergétique, qui consiste en un dialogue fort entre des architectures contemporaines assumées et le patrimoine. Les bâtiments haussmanniens comme ceux qui bordent la rue de Rivoli sur 3 km ne peuvent pas être isolés par l’extérieur, ils resteront des passoires thermiques, donc on a imaginé des greffes contemporaines sur les toits de Paris. Ces extensions produisent l’énergie (électrique, calorifique) dont les bâtiments historiques ont besoin. C’est une manière d’adapter le bâti pour qu’il soit moins énergivore tout en économisant le territoire à l’extérieur de la ville.
Que ce soit au Caire, à Paris ou à Taipei, vos projets ont une forte identité, assez futuriste. Ne reproduisent-ils pas une sorte de ville idéalisée ?
On fait partie d’une tendance d’architectes « contextualistes », c’est à dire que quand on développe un projet, on l’imagine pour un site précis, un climat précis, un type d’utilisateurs et des besoins précis. On ne peut pas transplanter un projet d’un pays à l’autre ou de la campagne à la ville, puisque chaque projet est pensé en fonction du genius loci, le génie du lieu. Chaque projet est un challenge différent dont le but est de renforcer l’identité qui préexistait, ce qui n’était pas l’approche des modernistes de la ville idéale. Nos projets tentent de répondre aux besoins des habitants et aux défis de la ville demain sur la densité, les espaces verts, les services…
Ne sont-ils pas trop portés sur les technologies de rupture par exemple ?
En France on aime bien opposer les contrastes, d’un côté le high tech basé sur les technologies émergentes et de l’autre côté le low tech qui mise sur une frugalité et une réduction des besoins. À chaque fois qu’on fait un projet d’architecture, on commence par analyser le climat local comme le soleil et les vents dominants pour faire en sorte de créer des bâtiments les plus compacts possibles, qui réduisent leurs besoins au minimum.
On travaille ainsi sur l’inertie des bâtiments, avec des façades épaisses, des manteaux extérieurs, des isolants biosourcés en fibre naturelle qui leur permettent d’avoir une facture énergétique très faible. Au Caire, le projet Gate Heliopolis utilise des techniques qui ont 3000 ans, que l’on trouve dans les temples des pharaons. L’air extérieur (qui atteint parfois les 40 degrés) est aspiré naturellement par des cheminées à vent, il passe sous les fondations du bâtiment où il est rafraîchi par le sol plus frais, avant d’être impulsé dans le bâtiment. C’est le fonctionnement d’une termitière, on appelle ça du biomimétisme.
Après avoir mis en place cette sobriété low tech, on vient intégrer des technologies et des énergies renouvelables qui ont fait leur preuve. Elles permettent que chaque bâtiment produise sa propre énergie, de manière décentralisée. C’est une offre complémentaire au nucléaire en France. D’une certaine manière on prend le meilleur des high techs et le meilleur des low techs.
Un dernier mot ?
Pour conclure, je pense qu’il n’y a pas de ville idéale, cela n’existe pas. Si le grand dilemme contemporain est de créer un habitat connecté et proche de la nature, je pense que les villes moyennes peuvent tirer leur épingle du jeu. Par définition, elles offrent une qualité de vie à taille humaine, qui est plus sobre qu’en ville car elles ont déjà les services et la nature.
Vos réactions
Article très intéressant sur la future ville.
Pour Strasbourg, la recalification de l’A35 en simple route de contournement et surtout le détournement de tous les poids lourds de transit sur le GCO me paraissent la problématique de Strasbourg à courte échéance.