Quand la ville a les pieds dans l’eau
Doucement mais sûrement, le dérèglement climatique rogne les littoraux et menace les villes côtières du monde entier. Résistance bec et ongles contre les éléments naturels ou déménagement résigné d’une ville entière, quelles mesures prendre pour faire face au déluge ? Aux États-Unis comme au Sénégal, des villes ont déjà les pieds dans l’eau et cherchent des solutions à court et long terme.
Que les climatosceptiques le veuillent ou non, le dérèglement climatique est une vérité scientifique que les villes côtières vérifient quotidiennement. Invité à se prononcer sur la position de Donald Trump et de certains politiciens américains, Gaston Browne a récemment exprimé son amertume à un journaliste de Vox : « C’est leur ignorance qui parle. Nous vivons le changement climatique. Nous ne pouvons pas le nier, nous en subissons pleinement les conséquences. » Premier ministre du petit État d’Antigua et Barbuda dans les Caraïbes, Gaston Browne sait de quoi il parle, lui qui a vu 95 % des bâtiments de son île détruits et sa population entièrement évacuée suite à la tempête Irma en septembre dernier. Désormais en charge de reconstruire le pays et panser les plaies d’une telle catastrophe, il milite énergiquement pour sensibiliser aux effets du dérèglement climatique. Son message trouve un triste écho dans la destruction quasiment simultanée de la ville d’Houston aux États-Unis où les pouvoirs publiques imposent désormais de nouvelles règles de construction pour protéger les maisons en zone inondable.
Houston cherche la hauteur
Car à défaut de lutter pleinement contre le réchauffement climatique, les États-Unis qui souffrent de la multiplication des tempêtes tropicales doivent inventer des solutions d’aménagement urbain. L’ouragan Harvey a été un des plus coûteux et destructeur que le pays ait enregistré, avec 150 000 habitations touchées et des dommages chiffrés à 125 milliards de dollars. Trois mois après la catastrophe, les élus du comté de Harris – le plus peuplé du Texas, où se trouve Houston – ont décidé d’imposer la surélévation des habitations afin de les prémunir de prochaines inondations. Les bâtiments situés en zone inondable devront être construits sur des pilotis en béton allant jusqu’à 2,5 mètres de haut.
La construction sur pilotis peut sembler désespérée face à la montée des eaux, c’est le meilleur moyen que le comté de Harris ait trouvé. « Si le même événement était arrivé au même endroit avec des maisons construites aux nouveaux standards, au moins 95% d’entre elles auraient été épargnées par l’eau » a déclaré John Blount, l’ingénieur à l’origine de la réglementation. La commission a effectivement examiné 30 000 maisons touchées dans le comté pour prendre des mesures et localiser les résultats sur une carte. S’il en résulte que la classification actuelle de zone inondable n’est plus adaptée, cette étude a également révélé que la surélévation était le moyen le plus efficace de protéger les bâtiments. En effet, quelques centimètres d’eau peuvent suffire à causer d’énormes dégâts sur la structure d’une maison. « L’eau cherche les parties basses, nous devons chercher les parties hautes. C’est aussi simple que ça » a ajouté John Jacob, directeur du programme coastal watershed à l’université Texas A&M.
Saint-Louis succombe à la houle
De l’autre côté de l’Atlantique, à Saint-Louis au Sénégal, le problème est tout autre. Il ne s’agit pas de déjouer les statistiques de catastrophes naturelles, mais de ralentir l’inexorable avancée de l’océan sur les terres. Située à l’embouchure du fleuve Sénégal, la « Venise africaine » classée au patrimoine de l’Unesco depuis 2000 voit ses quartiers littoraux rongés par la montée des eaux. La Langue de Barbarie est un banc de sable de 300 mètres de large et de 25 kilomètres de long, il forme une barrière naturelle pour la ville contre l’océan. À raison de 5 à 6 mètres par an, ce mince bras de terre devrait avoir complètement disparu d’ici deux ou trois décennies. D’ores et déjà, les quartiers de la Langue de Barbarie sont progressivement évacués alors que les bâtiments s’écroulent sous l’effet de la houle. Relogés en urgence dans des camps de fortune à 10 kilomètres dans les terres, les pêcheurs perdent leur principal moyen de subsistance et vivent dans une grande misère. La salinisation du fleuve a aussi bouleversé les écosystèmes locaux. Elle a rendu la nappe phréatique impropre à la boisson et les maraîchages de la région inexploitables.
Ahmet Segne Diagne – un biologiste autodidacte qui a vu son village se faire engloutir par les eaux – s’est mis en tête de lutter contre les éléments et de mettre un place un ambitieux projet de reboisement. Depuis 2012, il replante des filaos, des arbres dont les racines retiennent le sable et recrée des mangroves dans les zones à moitié inondées. Celui que l’on prenait pour un fou bénéficie désormais d’une maigre subvention du Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et de l’intérêt des autorités locales. En effet, grâce à sa détermination il a récupéré près de 400 hectares de terre à l’océan. Son projet de digue en sacs remplis de sable commence à être entendu et mis en place, avec pour effet de pour casser l’effet de la houle et ainsi réduire l’érosion côtière. Dans la région, c’est tout un écosystème avec son fragile équilibre que la population cherche à reconstruire, dans un contre la montre contre les éléments.
Faire contre, ou avec la nature ?
Du temps et de la volonté, voilà les ingrédients nécessaires et souvent manquants dans la lutte contre l’érosion. Pendant la deuxième moitié du XXème siècle, le littoral français a été largement investi par le tourisme, les habitations et les industries. La construction de digues a longtemps été la principale réponse apportée au problème d’érosion, on comprend finalement que les efforts mis en œuvre à l’échelon local ont des répercussions sur les communes voisines et qu’il ne s’agit que de pansements à court-terme pour des phénomènes naturels irrémédiables. « Peut-être a-t-on cru – à tort – que maîtriser la nature n’est qu’une question d’ingénierie » s’inquiétait Alexandre Dudouble, chargé de mission auprès de l’Agence régionale de l’Environnement de Haute-Normandie. Dans une interview à Atlantico, il critiquait la réponse inadaptée mise en place par les autorités sur les côtes normandes et notamment à Dieppe.
Si en France la question de la relocalisation de villages (ou « recul stratégique ») reste majoritairement taboue, un programme inédit a été lancé aux États-Unis, sur l’Isle à Jean Charles en Louisiane. Une centaine de personnes vit dans ces plaines de bayou qui ont perdu 98% de leur superficie depuis 1955 à cause des catastrophes naturelles et de l’activité humaines. Les derniers résidents de cette minuscule communauté amérindienne ont été reconnus « premiers réfugiés climatiques américains » en janvier 2016, lorsque l’administration Obama a accordé 48 millions de dollars pour leur déplacement. S’est alors engagé un long travail d’étude et de médiation pour comprendre les besoins et habitudes des habitants de l’Isle à Jean Charles et identifier un lieu adapté à leur déménagement.
Quelle que soit l’issue d’une telle expérience, elle sera traumatique pour les populations concernées qui risquent de perdre leurs terres et leur histoire. Alors que la relocalisation est la seule option sérieuse à long terme, trouver des modèles de réflexion, de financement, de médiation pour faciliter les projets similaires à venir semble alors primordial. Le cas de l’Isle à Jean Charles pourrait inspirer la marche à suivre pour les nombreuses communautés en situation critique aux États-Unis ou ailleurs.