Ville de contrastes, ville de tensions : l’agriculture se déconnecte de la ville… – Utopies urbaines 3/7
L’exercice est convenu : « dessine-moi une ville verte ». Les étudiants du Design Lab Ville Durable de l’Ecole de Design Nantes Atlantique, encadrés par Clémentine Laurent-Polz, architecte, se sont prêtés au jeu de la confrontation des imaginaires en partant d’une donnée : les changements des modes de production agricole.
Et si… en 2050… l’agriculture se déconnectait de la ville ?
Il était une fois, en 2050, dans une ville périurbaine de taille moyenne de forme étalée. L’agriculture intensive a créé une zone polluée et non fertile. Les installations agricoles ont été repoussées au loin et les cultures se sont artificialisées. Les véhicules à énergie fossile sont désormais interdits en ville. Comment assurer alors l’approvisionnement en denrées locales? C’est de ce scenario de départ que sont partis Claire Arend, Audrey Baudron, Mickaël Jurado et Katel le Bihan, tous étudiants en quatrième année au sein du design lab Ville Durable de l’Ecole de Design Nantes Atlantique, pour imaginer une ville de contrastes et de tensions. Bien loin d’une ville de rêve, leur vision questionne notre dépendance aux réseaux de transports dans des villes qui s’étalent de plus en plus, repoussant toujours plus loin les surfaces agricoles.
L’approvisionnement en nourriture : outil de maillage du territoire
Dans ce scenario, l’éloignement de la zone agricole a contraint la ville à repenser son réseau de distribution. Le fleuve retrouve une place prééminente, grâce à un réseau de canaux permettant le transport de personnes et de marchandises depuis des zones de productions agricoles de plus en plus éloignées. « L’innovation porte sur la réalisation d’un système de plateformes flottantes qui permettrait de transporter depuis la plateforme de logistique jusqu’aux rives les rations alimentaires des habitants », explique Claire Arend. La « ville intelligente est donc capable de distribuer des rations automatiquement et en fonction de leur disponibilité ».
Un modèle vulnérable et ultra dépendant
Ce système automatisé est donc faiblement résilient : « l’adaptation en cas de crise (rupture d’approvisionnement d’un produit, parasite, panne technique du réseau logistique) et l’ultra-dépendance envers le réseau de transports posent de réels problèmes », rappelle Audrey Baudron. Une façon de pointer les insuffisances de la Smart City. Pour Katel Le Bihan, ce système est également l’occasion de montrer que notre rapport à l’agriculture façonne notre rapport à la nourriture. « Dans ce système, tout est fait de manière opaque : des zones de production lointaines au réseau de transport en partie souterrain, ce qui rend le lien entre le mangeur et le produit très faible. Une production alimentaire séparée du cœur de ville, donc invisible pour le consommateur, contribue à nous rendre moins sensibles aux problématiques liées au monde agricole ». Pour ces étudiants, le citadin habitué à ce mode de fonctionnement a fini par se désintéresser de ses consommations.
Une fonction pédagogique des fermes urbaines
Pour répondre à ces problématiques, l’agriculture urbaine n’a pas fonction de production de nourriture. Les logements, certes équipés de toits végétalisés ou encore des jardins suspendus, permettent à l’agriculture urbaine de prendre place dans les espaces interstitiels. Cette faible production alimentaire a surtout pour but de sensibiliser les habitants et de créer des espaces de pauses dans une ville en constante évolution. Dans cette ville où le mouvement est continu, les seuls points de repère fixes sont les jardins suspendus et les logements.
Les espaces de logements et de bureaux : entre évolutivité et adaptabilité
Dans cet espace déconnecté du contexte local, le périurbain n’existe plus et les travailleurs vont d’une zone à une autre. Les logements et bureaux doivent donc répondre à ces aléas. Le concept retenu par ces étudiants : l’évolutivité. « Nous avons choisi de mettre en place des modules bureaux individuels mobiles qui viendraient se plugger sur une structure fixe (6)», explique Mickaël Jurado. « Ce moyen est ultra-rapide mais ne favorise pas le lien social, car le module se dirige directement vers sa destination. On a voulu monter qu’il y a une contradiction entre la possibilité de vivre isolé dans sa bulle et la proximité d’un réseau constamment en mouvement ».
Et si l’approvisionnement des villes en nourriture façonnait nos territoires demain ? Ces utopies, ou parfois contre-utopies, sont le moyen de réinterroger l’économie et le rapport du citoyen au territoire au travers du design urbain. Une saga en 7 volets.
Par Zélia Darnault, enseignante