Vertical Farming – Nous y sommes presque…
Au tournant du siècle, les réflexions prospectives se sont emparées du thème des fermes verticales, forme la plus technologique et systémique de l’agriculture urbaine.
De l’utopie au business model
« L’agriculture urbaine permettant d’alimenter la ville dense a été fantasmée dans un concept de ferme verticale (« vertical farming »)
Les développements récents laissent entrevoir les premiers signes de nouvelles intrications entre production agricole et ville non plus uniquement au sol mais en toiture et dans des bâtiments. Ainsi est-on passés en quelques années d’images fortes, utopiques et « papier glacé », dont s’étaient emparés architectes et designers pour traduire notamment la vision portée par le Pr Dickson Despommiers1, « nourrir Manhattan grâce à 160 tours agricoles (« vertical farms ») de 30 étages de haut », à des approches pragmatiques plus proches de l’utilisation des toitures. L’équipement en serres hydroponiques et aquaponiques des quelques 3,0792 acres ou 1,250 ha de toitures terrasses new-yorkaises, (hors logements) permettrait de nourrir la moitié3 des 20 millions d’habitants que compte la mégapole, vision portée par les promoteurs du « Greenhouse program » du NY Sun Works4 dans une optique d’hydroponie raisonnée, sans parler de la conversion d’anciens bâtiments industriels ou entrepôts délaissés grâce à des modes d’insolation artificielle des cultures, qui se développent aujourd’hui. En effet, l’hydroponie et la gestion fine des paramètres de culture (température, hygrométrie, substrat / nutrition, insolation etc…), sous serre offre des rendements 10 à 20 fois supérieurs à la culture conventionnelle et sa consommation en eau est de l’ordre de 10% de la consommation en culture conventionnelle. Elle permet de cultiver sans pesticide et utilise des moyens de lutte biologique contre les prédateurs.
Ce « changement » d’images ou de références rend compte de l’évolution récente du concept de « vertical farming » dans sa mise en oeuvre.
« Les « farmscrapers », référence à des immeubles entiers de production agricole, reste une utopie mais le « vertical farming » se développe grâce à des systèmes de convoyage rotatif ou des racks en insolation naturelle et dans des sites en reconversion grâce à l’insolation artificielle »
Aujourd’hui, le « vertical farming » en tant qu’immeuble de production agricole sur plusieurs étages est encore une utopie compte tenu du coût de développement de ces projets. Les projets les plus réalistes sont de faible hauteur. Leur programmation inclut souvent un contenu d’éducation et de recherche qui permettrait de les légitimer. Aucun de ces projets n’est aujourd’hui construit ni financé, à l’exception de petites unités en Asie notamment en Corée du Sud (Suwon) et au Japon (Miyagi Fukko Park), ou du projet « The Plant » dans les anciens abattoirs de Chicago qui ambitionne d’être « zéro déchets » et « zéro énergie ».
Néanmoins l’agriculture verticale, en dehors de l’utilisation de toiture, se développe sous principalement deux formes,
– En insolation naturelle en employant des systèmes rotatifs de convoyage des plants pour les amener alternativement vers la lumière et vers les solutions nutritives (portiques de 10m de haut pour Sky Greens à Singapour ou projet de façade en cours de construction pour Vertical Harvest à Jackson Hole, WY, USA), ou encore des racks en forme de « A » (Comcrop à Singapour).
– En insolation artificielle. En effet, l’utilisation de plateaux dans d’anciennes usines ou des entrepôts se développe rapidement aux Etats Unis. Ces bâtiments présentent un faible coût immobilier et de grandes capacités de portance qui permettent de développer des systèmes aquaponiques. Citons notamment, FarmedHere (9,000m² d’entrepôt à Chicago), Urban Organicsb (900m² de test développé à St Paul, MI, USA dans une ancienne brasserie) et les projets Green Sense Farm (30,000m² à Portage, IN, USA) ou d’Aerofarms (anciennes aciéries de Newark, NY, USA). Le développement de ces opérations est associé au progrès de l’insolation artificielle sous forme de LED, promue par GE, Philips, Toshiba ou encore Illumitex.
« La culture sur les toits, rooftop farming, sous serre parfois appelée BIA (Building Integrated Agriculture) se réplique et se développe. Le modèle économique est à portée »
En toiture, où les projets opérationnels sont principalement des projets d’hydroponie sur des immeubles qui excèdent rarement trois étages, on assiste à une réplication des premiers formats commerciaux lancés par les pionniers de cette industrie (BrightFarms, Lufa farms – Montréal, Gotham Greens – New York, notamment) non plus uniquement financés par « la famille et les amis » mais par les acteurs du capital développement et quelques industriels, sur des formats plus importants. Ces exploitations ne sont plus uniquement sur des bâtiments existants mais commencent à être envisagés à la conception des bâtiments pour pouvoir tirer davantage parti des échanges possibles entre sous-jacent et ferme, et mieux appréhender la gestion des édicules en toiture. Gotham Greens vient ainsi de finaliser la construction de 7,000m² de serres hydroponiques à Chicago en toiture d’une nouvelle usine certifié LEED Platinum.
Parallèlement, en Europe les premiers développements voient le jour, sous forme de test et de projet en cours de développement (Urban Farmers – Bâle, Suisse, Belgique et Pays Bas) et de formats commerciaux au sol ou en toiture (Efficient City Farm Systems à Berlin – 1,600m² et en Suisse – 1,200m² sur le toit d’un grossiste en fruits et légumes). A la différence de l’Amérique du Nord, ces projets mettent en œuvre des techniques d’aquaponie qui combinent pisciculture et hydroponie. Ils se développent sur de plus petites surfaces qu’aux Etats Unis, de l’ordre de 1,000 à 2,000m².
Si les installations sur du tertiaire, de l’industriel ou de la distribution se multiplient, de nouvelles programmations sous-jacentes sont explorées, comme le logement (Arbor House à New York). La plupart de ces projets matérialise de nouveaux modes de distribution qui tirent parti de la proximité entre producteur et distributeur et/ou consommateur. Ils permettent également d’explorer de nouvelles synergies énergétiques. En effet, la serre participe à la gestion thermique du bâtiment. Elle peut également se servir de l’énergie fatale générée par ce dernier pour chauffer les cultures de façon efficace. S’il n’existe aujourd’hui pas encore d’études claires sur le chiffrage du bénéfice énergétique à superposer ces deux programmations, les synergies énergétiques existent en plus des aspects d’économie du foncier et de la capacité à louer une toiture. Des simulations font état de gains énergétiques jusque de l’ordre de 40% entre serre et bâtiment dissociés d’une part, et serre en toiture d’autre part. Cette économie peut permettre d’absorber partie du surcoût d’une construction de serre en toiture. En effet, celle-ci coute de l’ordre de trois fois plus cher qu’une serre au sol (hors coût du foncier) et qu’une toiture végétalisée classique.
De façon intéressante, ces différentes initiatives interrogent également de nouveaux modes de distribution et une nouvelle conscience de l’alimentation qui avait été oubliée. Sans parler, de la mise en place de rayon « ultra frais » dans des chaînes de distribution classique qui bénéficient d’une production à proximité ou en toiture, ces modèles questionnent la production / distribution de proximité et vont faire le lien entre production bio en zone péri urbaine et production hydroponique / aquaponique en environnement urbain dense en organisant rassemblement et dispatching des produits pour fournir une offre la plus complète possible aux consommateurs (exemple de Lufa Farms).
« Il reste encore quelques éléments sur lesquels il est nécessaire de travailler pour asseoir la pérennité de ce modèle »
Alors que manque t-il pour voir ce type de programmation se généraliser ? Si de nouveaux forums, la multiplication de conférences, (Association for Vertical Farming, Indoor Ag etc…), la multiplication des projets et l’augmentation des fonds levés font état du dynamisme de ce secteur naissant, il reste plusieurs éléments à valider.
– Jusqu’à présent, les fermes commerciales en toiture s’étendent sur des surfaces supérieures à 1,000m² qui apparaissent comme la barrière en deçà de laquelle l’investissement n’est pas rentable. L’évolution des techniques de culture et le recours à la verticalité peuvent ils permettre d’aller en dessous, augmentant par la même le nombre de points d’accueil possibles ? Les fermes peuvent-elles fonctionner en réseau ?
– Le coût d’investissement reste beaucoup plus élevé que celui d’une serre au sol, et pour l’investisseur un m² de production maraichère ne vaut pas et ne vaudra pas un m² de bureau ou de logement. Pour favoriser le développement de productions en toiture, il sera donc nécessaire que les serres puissent excéder les plafonds de construction et éviter de compter les m² comme les autres m² produits. Certaines villes ont déjà adoptées des législations allant dans ce sens, notamment en Amérique du Nord. Enfin, sur des toitures existantes, la question de l’accès, de la portance et de la présence des édicules et excroissances se pose et font que le nombre de toitures éligibles reste faible.
– Le coût énergétique reste également élevé. Les interactions entre partie agricole et bâtiment sous-jacent doivent être travaillées et davantage explorées, de même qu’une approche raisonnée du recours à l’insolation artificielle et au chauffage qui demande une approche différente des cultures programmées. De l’autre côté du spectre, le coût des LEDs utilisés et leur consommation énergétique doivent encore être abaissée. Néanmoins le fait que l’industrie maraichère, hors la ville, s’empare de ces technologies est un facteur de progrès non négligeable.
Une fois les aspects techniques réglés, il faudra répondre aux éléments suivants :
– Qui doit faire l’investissement dans la serre ? Trois routes peuvent être considérées :
1) l’investissement est réalisé par le propriétaire de l’immeuble et la serre est louée à l’exploitant,
2) l’investissement est réalisé par une personne tierce en échange d’un rendement financier ou d’un service,
3) l’investissement est réalisé par l’exploitant.
– Dans certains pays, l’acceptation sociale, l’image ou la méconnaissance de ces produits reste un frein au développement.
Enfin le dernier et principal paramètre sera de former des exploitants professionnels. Pour l’instant leur nombre est limité à un petit nombre de passionnés, d’ailleurs non issus du milieu agricole, mais gageons que l’intérêt grandissant pour ce type de projet permettra d’adapter des formations à ces nouveaux métiers.
Etes-vous prêts ?
Par Vincent Fesquet, architecte, consultant et investisseur.
Pour en savoir plus, consulter le site Newrbanview
1 Voir à ce sujet, Dr. Despommiers, Dickson, The vertical farm, feeding the world in the 21st century, Thomas Dune Books, New York 2010.
3 Applications des ratios de production et consommation repris par Ted Caplow, précurseur des modèles hydroponiques. T. Caplow, « Building Integrated Agriculture : Philosophy and Practice » in Urban Futures 2030 – Urban Development and Urban Lifestyles of the Future. Vol 5, Heinrich-Böll-Stifftung Ed., Berlin, 2010 p 54 à 58
4 Sur le programme voir www.nysunworks.org