Vers un premier PLU bioclimatique en France ?

Le jardin Truillot dans le 11ème arrondissement est un exemple d'opération de dédensification - Artvill/CC BY-SA 4.0
8 Oct 2020 | Lecture 7 minutes

C’était la première annonce de la nouvelle équipe municipale : juste avant l’été, la Mairie de Paris communiquait son intention de réviser le plan local d’urbanisme (PLU) pour y inscrire de manière plus ambitieuse les enjeux environnementaux. Dans un entretien fleuve, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris et des relations avec les arrondissements, nous présente les enjeux d’une telle révision.

Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris et des relations avec les arrondissements - Jacques Paquier/CC BY 2.0

Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris et des relations avec les arrondissements – Jacques Paquier/CC BY 2.0

Commençons par du vocabulaire, en quelques mots, qu’est-ce-qu’un PLU ?

D’abord, pour l’expliquer de manière simple, le plan local d’urbanisme est un document à vocation normative qui fixe les règles d’urbanisme en matière d’organisation spatiale de la ville. D’une certaine manière, c’est un outil qui crée de la contrainte visant à servir l’intérêt général au titre de priorités en matière de politique d’urbanisme. Le champ des possibles est immense, sur le plan architectural, esthétique, des gabarits, de règles de compensation, de destination… C’est ce qui permet de fixer des règles encadrant les professionnels de l’aménagement et de l’immobilier en général.

Qu’entendez-vous par bioclimatique ?

Le PLU Bioclimatique est un PLU qui respecte la trajectoire des accords de Paris et le Plan Climat Air Énergie Territoriale, qui est le plan climat de la ville de Paris. Il fixe une trajectoire sur l’empreinte environnementale et notamment le critère essentiel des émissions carbone. Je rappelle que le plan climat de la ville se fixe un principe de neutralité carbone à l’horizon 2050, et parmi les gros contributeurs à cette empreinte, il y a toutes les activités liées à l’immobilier et au bâtiment. On inscrit donc le PLU dans une trajectoire d’émissions carbone destiné à limiter l’impact du réchauffement climatique et de la pollution. La question décline ensuite beaucoup d’aspects dont la lutte contre les îlots de chaleur, la promotion de la pleine terre, la rénovation énergétique etc. Ce sont des objectifs sur lesquels nous sommes déjà engagés mais que nous voulons renforcer sur le plan réglementaire.

Les enjeux climatiques urbains dépassent largement Paris, comment mobilisez-vous la métropole ?

Photo de famille de la convention citoyenne pour le climat - Facebook

Photo de famille de la convention citoyenne pour le climat – Facebook

La mobilisation des acteurs métropolitains pour le PLU parisien passe par des phases de consultation, mais les bases légales ne permettent pas de faire de PLU métropolitain. En revanche, deux textes normatifs du niveau métropolitain ont une influence sur le PLU parisien puisqu’ils s’appliquent de façon globale sur tous les PLU communaux et intercommunaux de la métropole (ce sont le schéma de coordination territoriale SCOT et le programme métropolitain de l’hébergement et de l’habitat PMHH). Sur ces deux textes, tous les travaux préparatoires ont été faits pendant la précédente mandature, mais ils n’ont pas été formellement adoptés. On veut veiller d’abord à leur adoption au niveau métropolitain et ensuite mettre le PLU bioclimatique parisien en cohérence avec ces textes. Nous avons à Paris des niveaux d’exigence qui sont plus élevés que pour la métropole, mais cela s’inscrit dans cette continuité.

Justement, vous avez souhaité lancer des consultations avant de commencer la procédure de révision, pouvez-vous nous en dire plus ?

Plutôt que de foncer bille en tête sur la révision elle même, il est intéressant pour expliciter les enjeux bioclimatiques qu’on prenne le temps d’une concertation préalable. Nous organisons une conférence citoyenne qui réunit 80 parisiens et 20 franciliens, précisément pour être sûrs qu’on embrasse tous les sujets. En terme de méthode, c’est tout à fait inédit. Ça correspond un peu à un jury d’assises : vous réunissez des citoyens et vous les aidez à réfléchir, à s’acclimater à des sujets et vous comptez sur l’émulation collective pour établir des recommandations. On a hautement conscience que Paris est la ville des parisiens et de ceux qui la fréquentent, c’est à dire les touristes et les grands parisiens. Leur regard nous intéresse beaucoup, sur ce qu’ils attendent de Paris, la façon dont ils vivent Paris.

En parallèle, nous menons une très large consultation de ce qu’on pourrait appeler les parties prenantes. Nous avons sollicité un grand nombre d’acteurs, comme par exemple tous les maires de la métropole du Grand Paris, la région, les grands acteurs institutionnels comme la RATP, la SNCF, les associations, les représentants des forces économiques, à la fois les syndicats et organisations patronales mais aussi les unions départementales syndicales. Il y a des intérêts très contradictoires dans tout ça : il y a ceux qui veulent produire du logement et qui sont dans une logique de construction, ceux qui sont dans une priorité environnementale et qui ne veulent pas construire du tout, les promoteurs de l’héritage patrimonial à Paris et qui sont d’abord centrés sur la protection du bâti existant… C’est de la juxtaposition de tout ça qu’on arrivera à mâchouiller une matière intéressante pour engager la vraie révision.

La consultation et la révision peuvent donc être utilisées par des collectifs particuliers pour défendre leurs intérêts ?

La consultation préalable et la révision permettent tout à fait de défendre des projets. Notre plateforme d’idéation idee.paris permet aux associations (sollicitées ou non) de déposer des contributions. Et pendant la révision, les gens peuvent encore s’exprimer mais dans un cadre juridique plus contraint. J’ai déjà été sollicité par des associations animalistes ou patrimoniales par exemple. C’est des moments où l’on peut se manifester. Le PLU encadre à la fois des grands principes et précise la destination des parcelles avec une maille très fine. On y mentionne si tel lot doit être consacré au logement social ou si tel autre doit être consacré à la logistique urbaine. Souvent, des acteurs individuels contribuent au PLU pour débloquer des situations les concernant. C’est beaucoup plus politique que technique en réalité.

Quel est le calendrier ?

Nous avons débuté la conférence citoyenne le 26 septembre au matin. Tout se déploie d’ici début novembre, et on lancera formellement la révision en décembre. On a plusieurs années de travaux devant nous, c’est parfois très long puisque la dernière révision qui avait abouti en 2006 avait nécessité cinq années de travail. Là nos délais sont beaucoup plus exigeants parce qu’on considère que notre PLU est obsolète au regard des objectifs politiques que nous portons. On se fixe une adoption pour fin 2023, début 2024. C’est un calendrier crédible et exigent.

S’il dure aussi longtemps que le précédent, le futur texte encadrera l’urbanisme parisien pour une quinzaine d’années tout à fait charnières dans la lutte contre le réchauffement climatique, quelle vision portez-vous ?

Vous avez raison de dire qu’on est à un moment charnière, face à l’immense complexité et surtout l’ampleur des défis qu’on doit relever, notamment sur les enjeux environnementaux. On vit un moment très important de transformation de la ville. Notre enjeu est à la fois de projeter Paris dans l’avenir, dans son statut de capitale de rang mondial dans la compétition internationale des villes, tout en montrant qu’on peut le faire sur un chemin de soutenabilité environnementale, que l’on considère comme l’un des éléments d’attractivité de l’avenir. Pendant longtemps on a voulu opposer les approches environnementalistes et les approches économiques. Nous pensons qu’on peut intelligemment articuler tout ça, en conservant la spécificité de mixité sociale de Paris.

Le PLU permet-il de favoriser l’économie circulaire et la réhabilitation des bâtiments qui sont des objectifs incontournables de réduction des émissions carbone ?

Réhabilitation d'un bâtiment de bureaux à Bercy - Nicolas Trouillard/Hardel Le Bihan Architectes

Réhabilitation d’un bâtiment de bureaux à Bercy – Nicolas Trouillard/Hardel Le Bihan Architectes

Dans l’instruction des permis de construire, projet par projet, nous dirons aux porteurs de projets que nous ne voulons pas de destruction. La réhabilitation des bâtiments doit devenir la règle et la destruction-reconstruction l’exception. Historiquement, le modèle économique favorise plutôt la destruction-reconstruction, mais l’empreinte environnementale d’un chantier est infiniment moins grande quand on réhabilite plutôt que quand on détruit et que l’on reconstruit.

Il y a des circonstances ou le bâti est pollué, abimé, biscornu, et où sauf à confiner à l’absurde ça n’a aucun sens de réhabiliter. Mais en règle générale on demandera des réhabilitations. Ce sera doublé d’une deuxième exigence, un travail sur les matériaux. Nous voulons nous engager sur une voie de réhabilitation avec des matériaux biosourcés comme la pierre, le bois ou la terre cuite en veillant aux circuits courts. Le béton – et même le béton bas carbone – a une empreinte environnementale bien plus élevée que des matériaux alternatifs et biosourcés. Ce ne sera pas dogmatique, on le fera en fonction de chaque projet, quand on aura la certitude scientifique et documentée que l’empreinte environnementale est moindre.

Avez-vous des objectifs particuliers quant à la densité parisienne ?

C’est un des débats qui sera difficile. Quelle est la densité cible d’une ville ? Quels sont les objectifs les plus efficients sur le plan environnemental, sur le plan sociétal et sur le plan des écosystèmes urbains ? Paris est extrêmement dense parce que c’est une ancienne ville fortifiée qui a rempli les espaces disponibles à l’intérieur de ses frontières. En travaillant autour du concept de la ville du quart d’heure, nous espérons apporter des réponses pertinentes. Il y aura un débat au PLU sur les contradictions que nous devons mettre en cohérence, à la fois les ambitions de construction, de mixité sociale, de logement, mais en même temps les exigences environnementales.

Paris est la sixième ville la plus dense du monde, avec une densité moyenne de 20 754 habitants par km2. Le onzième arrondissement frôle les 40 000. Oui, il faut dédensifier, mais cela se heurte au principe de réalité : les communes ont des budgets par commune, et il est très onéreux de dédensifier à Paris. Ça consiste soit à transformer du foncier potentiel en espace vert, mais c’est de la valorisation foncière en moins, soit à faire du rachat de bâtiments privés que l’on détruit (comme pour le jardin Truillot dans le 11ème), ce qui est très coûteux. Il faut trouver des mécanismes d’intéressement pour ça. Si la richesse est faite ailleurs, ça coince, il faut des compensations.

Le jardin Truillot dans le 11ème arrondissement est un exemple d'opération de dédensification - Artvill/CC BY-SA 4.0

Le jardin Truillot dans le 11ème arrondissement est un exemple d’opération de dédensification – Artvill/CC BY-SA 4.0

Il y a des mécanismes assez complexes sur lesquels nous allons travailler à l’occasion de la révision du PLU, notamment une place de marché de compensation. C’est comme une plateforme de certificats CO2. C’est une façon de fiscaliser l’externalité négative de l’activité et d’introduire des mécanismes de compensation à l’échelle de la métropole. Si je produis des projets vertueux sur le plan environnemental (développement d’énergies nouvelles, réhabilitation des bâtiments), je génère des certificats. À l’inverse, si j’ai une activité polluante, je dois acheter des certificats. Nous voulons d’ailleurs faire une plateforme équivalente pour la question du logement à Paris. Parce que c’est infiniment plus simple et rentable de faire du bureau que du logement à Paris. Je pense qu’on peut corriger ça avec des incitations financières afin de rendre la création de logement plus intéressante.

Anne Hidalgo avait annoncé son intention de transformer le boulevard périphérique. Le PLU est-il le bon outil ?

On ne peut pas tout faire avec le PLU, mais on peut notamment agir sur la constructibilité. À l’occasion de la révision du PLU on va expliquer qu’il faut penser le périphérique de demain, qu’il sera transformé en boulevard urbain qui n’aura rien à voir avec le périphérique actuel.

Ce ne sera pas un big bang du jour au lendemain. Si vous voulez, pour faire un boulevard urbain il faut d’abord ralentir la vitesse, aménager des passages pour la traversée, éventuellement réduire les voies et réserver certaines aux véhicules propres et au covoiturage. Puis à long terme, c’est la destruction de l’ouvrage tel qu’on le connaît. Est-ce que ça prendra 5, 10, 15 ans, on ne sait pas. C’est difficile à dire mais l’intention politique de la maire en la matière est très forte. Un des grands accélérateur sera évidemment les Jeux Olympiques.

Usbek & Rica
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