Vers la restauration dématérialisée
L’apparition des sites de livraisons de repas à domicile continue à impacter les usages urbains et le monde de la restauration. Dernièrement, le lancement de Deliveroo Editions a introduit en Europe le concept de cuisines-relais, qui permettent aux restaurants de mieux répondre aux cadences des commandes en ligne. Restaurants fantômes, dark kitchens ou cuisines relais… Voici les nouvelles trouvailles de la restauration ubérisée.
Sous la pression des livraisons
À mesure que la livraison de repas à domicile se démocratise, les applications sont en train de transformer le visage de la restauration. Pour faire face à l’augmentation des commandes en ligne, les plateformes lancent désormais des cuisines relais, fermées au public et dédiées à la préparation de commandes. Parmi elles, Deliveroo a inauguré sa première Deliveroo Editions française à Saint-Ouen en 2018 et entend multiplier les cuisines de ce type en Europe.
Pensée au départ pour mettre fin au bal incessant des livreurs dans les restaurants, l’offre a rapidement révélé un fort potentiel. En effet, en ajoutant une cuisine délocalisée, un restaurant peut augmenter sa capacité de réponse aux commandes de livraison, mais également élargir sa zone de chalandise. Ainsi des adresses huppées parisiennes comme Le Petit Cambodge ou Mizushi ont pu virtuellement s’installer dans de nouveaux quartiers et se rapprocher de nouveaux clients.
Foodcourt virtuel
Ce premier site de Deliveroo est un entrepôt de 700m². Huit restaurateurs y occupent chacun une vingtaine de mètres carré de surface privative pour laquelle ils ne paient pas de loyer mais paient sur chaque commande une commission plus importante que celle habituellement demandée par Deliveroo. Selon L’Usine Digitale, ils partagent des « espaces communs comme une chambre froide, une légumerie, ainsi qu’une pièce pour la plonge ». À l’entrée du site, des employés de Deliveroo récupèrent les commandes des cuisines et les répartissent aux livreurs qui attendent dans la cour.
Tout est fait pour faciliter la prise en main par les restaurateurs. Ils n’ont pas à trouver de local, ni à remplir de paperasse. Ils évitent de payer un loyer, d’engager du personnel de salle et d’investir dans du mobilier. Dans ce contexte il est bien plus facile de dégager une marge. Interrogé par Frenchweb, Simon Octobre (dirigeant du Petit Cambodge, restaurant de bobuns dans le 10ème arrondissement) explique qu’il ne s’agit pas tant de désengorger le restaurant historique, puisque la cuisine est implanté dans un autre quartier. En gardant les mêmes fournisseur et la même exigence de qualité, il s’agit de trouver une nouvelle clientèle.
Quitte ou double
Nous nous sommes retrouvés face à un marché de la livraison qui a explosé. On avait plusieurs opportunités de développement mais toute la question a été de se demander est-ce que notre offre peut plaire un peu plus loin. Deliveroo nous a proposé cette cuisine à cet endroit, sachant qu’ils réalisent tout l’investissement. Cela permet de tester un marché, nos recettes plaisent elles dans un quartier que l’on ne connaît pas ? Notre but est d’élargir la zone de chalandise.
Questionné par le New York Times, le propriétaire d’une petite chaîne de pizzeria Paul Geffner explique que l’arrivée des plateformes a été dure pour son business. Après 30 ans d’existence, il a dû fermer deux de ses cinq adresses, saigné par les commissions des plateformes. « Nous avons vu une corrélation directe entre les services de livraison et la réduction de nos profits » explique-t-il. « Soit on voit ça comme une catastrophe, soit on voit ça comme une remise en question » estime Simon Octobre.
Pour Will Shu, fondateur de Deliveroo, c’est « le projet le plus important » de l’entreprise. Des cuisines relais sont déjà implantées au Royaume-Uni, Singapour, Dubaï, Hong Kong… Sans surprise, Uber Eats est intéressé par ce marché. Selon Bloomberg, l’entreprise occupe déjà des locaux en leasing à Paris. Elle mène également un partenariat avec Dark Kitchen, une start-up parisienne spécialisée dans les cuisines relais. Le fondateur de Uber Travis Kalanick a d’ailleurs annoncé sa volonté de créer une start-up baptisée CloudKitchens, spécialisée elle aussi dans les cuisines relais.
Restauration spéculation
À ces cuisines relais, s’ajoute un autre phénomène miroir, celui de restaurants fantômes. Il s’agit tout simplement de menus disponibles uniquement via les plateforme de la livraison. Autrement dit ce sont des restaurants sans adresse et sans pignon sur rue. On devine aisément comment l’existence les dark kitchens pourraient favoriser la prolifération de marques éphémères, qui disparaîtraient aussi vite qu’elles se sont lancées si le public n’est pas au rendez-vous.
Selon Janelle Sallenave, directrice de Uber Eats Amérique du Nord, l’entreprise examine les données de vente et peut ainsi déterminer lorsque des demandes particulières sont insatisfaites. Si une zone déterminée manque de restaurants de burgers par exemple, Uber Eats contacte des restaurants de burgers déjà inscrits sur sa plateforme et leur suggère d’ouvrir une cuisine relais pour rencontrer la demande.
Triste lunch box
Une telle concurrence virtuelle pourrait fragiliser les petits restaurants de quartier dont la capacité de production est restreinte et les marges de profit trop étroites. Les cuisines relais et les restaurants fantômes favoriseraient alors les grosses structures. On peut se demander alors si l’arrivée (virtuelle) d’un restaurant du 10ème arrondissement dans la zone de Saint-Ouen ne contribuerait pas à gentrifier le quartier. L’offre disponible et les tarifs pratiqués seraient lissés par l’application.
De son côté, le Guardian a documenté la façon dont ces nouvelles cuisines s’installent de manière plus ou moins anarchique. Certaines consistent en un conteneur sans fenêtres, installé sous une bretelle d’autoroute dans des conditions contestables. De tels sites sont sélectionnés pour leur proximité aux quartiers résidentiels ou de bureaux. Certaines installations se sont faites dans la précipitation sans autorisation de la ville et ont généré des nuisances aux alentours.