Vers des villes plus démontables ?

Photo 1 : Maison Ferembal aux Tuileries, un exemple de mise en application des recherches de Jean Prouvé sur l'architecture démontable et l'habitat nomade. Source : Jean-Pierre Dalbéra via Flickr
13 Avr 2021 | Lecture 5 min

Face à des enjeux variés et complexes, les villes sont traversées par des bouleversements sociétaux, écologiques et sanitaires. La notion de résilience se place alors comme un nouvel horizon à atteindre, afin que nos espaces urbains accompagnent les dynamiques à l’œuvre, en proposant des solutions adéquates. Caractérisées par leurs structures pesantes et fixes, nos villes semblent à première vue immuables sur le temps long.

Pourtant, il existe aujourd’hui des pistes d’actions pour remédier à cela. Par exemple, concevoir des bâtiments ou des aménagements qui peuvent être démontés pour être transportés d’un endroit à un autre et dont la permanence sur un site spécifique ne dure qu’une période limitée. Et si l’architecture démontable et transportable était une réponse crédible ? Faut-il laisser une plus large place à la démontabilité dans nos villes ?L’architecture démontable, des racines anciennes

L’idée de rendre une architecture “démontable” ne date évidemment pas d’hier. Autrefois, l’enjeu était similaire à aujourd’hui, puisqu’il s’agissait de permettre de réutiliser les ressources en rendant possible le transport des matériaux à la base de la construction. Néanmoins, le besoin résidait dans le fait de permettre un mode de vie nomade, pour diverses raisons de survie, ce qui a été le cas par exemple durant toute la période Paléolithique. Puis, avec l’émergence de l’élevage et de la transhumance, le semi-nomadisme s’inscrit dans le temps au sein de certaines régions et cultures du monde. Ce rythme saisonnier implique le recours à une architecture légère, aux dimensions réduites, pour rendre possible le déplacement. La démontabilité des habitats est donc étroitement liée à la mobilité, dans une logique d’installation pratique, facilitée en un minimum de temps grâce à la portabilité d’un habitat léger tel qu’une cabane, une yourte ou une simple tente.

Yourtes dans les steppes mongoles, un mode de vie nomade ancestral - Source : Vince GX via unsplash

Yourtes dans les steppes mongoles, un mode de vie nomade ancestral – Source : Vince GX via unsplash

Ce principe très ancien a su évoluer avec le temps et prend même le virage de la modernité durant la première moitié du XIXème siècle. La découverte de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques et process de production ouvre la voie à la généralisation de ce type de constructions, aux propriétés démontables, pour répondre à des usages variés. D’ailleurs, les expositions universelles joueront à l’époque un rôle dans l’accélération de ce processus, comme le souligne Michel RAGON dans son Histoire de l’architecture et de l’urbanisme modernes. Une grande importance est alors accordée aux matériaux légers, innovants, qu’il est possible de réutiliser.

Temporaires, ces gigantesques expositions doivent pouvoir être montées très rapidement, puis démontées. Le célèbre Crystal Palace est conçu ainsi, il devient une œuvre clé qui préfigure la construction préfabriquée. Vaste palais d’exposition en fonte et en verre, il est d’abord édifié à Hyde Park lors de l’Exposition de 1851, puis démonté et reconstruit différemment au sud de Londres, avant qu’il ne brûle. Alors qu’autrefois la réutilisation de matières premières d’anciennes constructions n’était pas rare, cette fois, l’ambition de donner une seconde vie à la construction avec le principe de garder les pans entiers d’édifice s’avère inédite.

Au début du XXème siècle, le préfabriqué prend son essor parallèlement à l’industrialisation. La production en usines de murs et autres éléments de bâtiments, et cela à grandes séries, permet de faire de fortes économies, de gagner du temps sur les chantiers et de répondre au besoin croissant de logements, au sein des villes d’avant et d’après-guerre. Le design industriel a une importance prégnante dans l’architecture comme le prouve l’architecte et designer français Jean Prouvé qui, grâce à de nouveaux procédés, favorise le déploiement d’une architecture facilement démontable. Pour la fabrication des formes modulaires de ses bâtiments, il applique les principes du design industriel, à la manière d’un meuble produit en série, venant ouvrir de nouvelles possibilités.

Un destin étroitement lié aux contextes de crise

Avec la sédentarisation de l’humanité et l’urbanisation croissante, l’architecture démontable ne s’inscrit que marginalement dans un contexte d’habitat nomade et traditionnel. En effet, actuellement, elle s’ancre davantage dans des logiques d’urgence, un cadre expérimental lié aux situations de crise, où la démontabilité est le moyen d’apporter une réponse temporaire, rapide et économe. De la contrainte, temporelle et économique, naissent des process innovants. Ainsi, parmi les nombreux exemples, l’architecte bolivien Jonathan BALDERRAMA a été salué pour son projet humanitaire «Pull», un refuge temporaire d’urgence, qui se déplie et se transporte facilement, adapté aux climats chauds. Quant à l’architecte Shigeru BAN, mondialement connu pour ses structures en carton grâce auxquelles il crée des habitats temporaires préfabriqués, il a conçu le projet Paper Log House, un abri économique, léger et résistant, destiné aux populations déplacées par la guerre ou par les catastrophes naturelles, qui a fait ses preuves.

La crise sanitaire a remis en exergue l’intérêt de la démontabilité. De nombreux centres de dépistage et de vaccination ont ainsi rapidement fait leur apparition aux quatre coins du monde, dans une logique éphémère et mobile. En effet, ce besoin ne pouvait pas être satisfait avec les structures intégrées au bâti existant, en nombre insuffisant. Plus qu’une architecture « au rabais », l’architecture démontable a vocation à être une réponse possible à des usages multiples en pleine évolution. Elle peut s’avérer pertinente dans certains contextes, afin de compléter l’existant, apporter un espace supplémentaire à l’échelle du bâtiment, pour mieux répondre à l’évolution des modes de vie.

De nombreux cas sont là pour en témoigner. Le principe de proto-habitat, par exemple, réinterroge les modes d’habitats actuels et propose un logement flexible, modulable. Émerge l’idée de bâtiments modulaires. Autre application, le Longfu Life Experience Center qui adopte une structure conçue pour être mutable, compte tenu de la courte durée de vie des centres de vente de biens immobiliers. Son bâtiment peut être facilement agrandi, réduit ou complètement démonté et reconstruit ailleurs. À Paris, l’inspiration prend source dans les principes de construction mis au point par Jean PROUVE avec la conception d’une crèche à la structure métallique installée dans le Jardin du Luxembourg qui devrait disparaître dans moins de deux ans. Elle sera installée à nouveau, non loin de là, dans le 13ème arrondissement.

Cliquer pour voir le Time lapse : Construction modulaire de la crèche itinérante au Jardin du Luxembourg – Source : DJURIC TARDIO ARCHITECTES

Une flexibilité qui permet de répondre aux usages et besoins réels des territoires, mais aussi, l’architecture démontable intègre la notion de circularité qui fait particulièrement sens aujourd’hui, avec la croissance des enjeux environnementaux. Car le dénominateur commun de ces projets récents est de mêler une approche circulaire et bas carbone, dans une démarche de frugalité qui privilégie des matériaux biosourcés et issus du réemploi. D’ailleurs, l’un des intérêts de la démontabilité est de donner plusieurs cycles de vie aux matériaux utilisés. Et dans ce contexte, les matériaux biosourcés, dont le bois, présentent de nombreuses qualités, en particulier parce qu’ils sont légers et peuvent être facilement dimensionnés et agencés différemment pour s’adapter aux nouvelles contraintes. Cependant, ces constructions sont encore marginales dans nos villes et leur durabilité dépend d’une prise en compte de leur cycle de vie sur le long terme.

Une démarche créative pour combler un manque

L’architecture démontable ouvre de nouvelles perspectives créatrices et donc émancipatrices pour les citoyens. Alors, ne peut-elle pas devenir le support d’une nouvelle fabrique urbaine citoyenne ? Des associations se constituent de plus en plus ces dernières années pour aller dans ce sens. Leur objectif ? Mettre la participation citoyenne au centre, en favorisant ce type de construction comme outil d’implication. L’atelier Approche.s et collectif Dérive sont deux exemples de collectifs qui se démarquent par leurs actions. Dans de nombreuses villes françaises, en ciblant les lieux où la population en a le plus besoin, ces collectifs organisent des chantiers ouverts à tous. À Aubervilliers, par exemple, les habitants bénéficient de gradins en bois dans l’espace public, qu’ils ont eux-mêmes construits. En un sens, ce type d’initiatives renforce la notion de droit à la ville théorisé par le sociologue Henri LEFEBVRE, en faisant prendre conscience au citoyen de son pouvoir d’aménager par lui-même la ville.

Une telle architecture éphémère apparaît aussi comme un outil créatif. À la manière des expositions temporaires dans les musées, ces constructions favorisent l’élan artistique. Loin d’être réservé à l’habitat, ce type d’architecture s’exprime tout au long de l’histoire avec des exemples variés de lieux de vie artistiques, des cirques aux auditoriums, en passant par les cinémas en plein air, les théâtres ou les festivals. Au sujet des grands festivals et des camps militaires aussi, ce sont même des villes temporaires à part entière. On pense au festival de Black Rock City, dans le désert du Nevada, issu du mouvement hippie, où s’installe aujourd’hui une véritable ville temporaire à l’occasion de la rencontre d’art contemporain Burning Man. Ou au festival d’architecture BellaStock, qui se réunit à Paris régulièrement avec pour thèmes d’étude l’architecture participative et le recyclage.

Photo 3 : 10e édition du festival Bellastock – Play Mobile à Tremblay-en- France, en mai 2015, où 1000 étudiants ont construit et habité une ville éphémère nomade. Source : Bellastock via flickr

Photo 3 : 10e édition du festival Bellastock – Play Mobile à Tremblay-en- France, en mai 2015, où 1000 étudiants ont construit et habité une ville éphémère nomade. Source : Bellastock via flickr

La temporalité, ainsi que les nouvelles contraintes qu’instaure l’architecture démontable (poids, mobilité) ouvrent des chemins artistiques nouveaux à explorer. Ces constructions insufflent un esprit poétique dans la vie urbaine. Rompant avec le patrimoine de la ville, elles invitent à poser un nouveau regard sur les espaces urbains qui nous entourent et à vivre l’expérience dans l’instant présent, avant que la construction ne soit déplacée ailleurs. Elle comble finalement un manque : outre la liberté de construire la ville comme on l’entend, elle instaure le sentiment de voyage dans la ville.
En définitive, l’intérêt de l’architecture démontable réside peut-être dans sa capacité à interroger la temporalité plus que l’espace. La construction, envisagée d’abord pour être éphémère, provisoire, peut se pérenniser. Cette flexibilité inscrite dans son principe lui permet de s’insérer facilement dans les interstices du bâti existant et d’offrir de nouvelles perspectives à l’évolution urbaine de nos villes.

LDV Studio Urbain
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