Vers des logements sur-mesure pour tous
Que ce soit dans le rapport Girometti-Leclercq, le dernier rapport de l’IDHEAL ou encore dans le dernier baromètre Qualitel, un même constat en ressort : les français aspirent à des logements plus grands, plus ouverts sur l’extérieur, plus modulables et adaptés à leurs besoins et envies.
Face à ces constats, plusieurs architectes cherchent à développer des méthodes capables de répondre à ces aspirations habitantes tout en prenant en compte les enjeux économiques, sociétaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. C’est dans cette optique que l’habitat sur-mesure et modulable est apparu en France. Déjà pratiqué dans la conception de maisons individuelles, ne faudrait-il pas déployer ce concept pour la création et la rénovation des appartements ? N’est-elle pas une solution durable pour répondre à de nombreuses problématiques que rencontre aujourd’hui le monde de la fabrique urbaine ?
L’appartement sur mesure : une réponse aux évolutions urbaines
On constate depuis un certain nombre d’années une évolution de la taille des logements : toujours plus petits avec une surface d’usage amoindrie. Une dynamique que de nombreux experts et architectes relevaient déjà il y a plusieurs années et que la crise sanitaire et économique a particulièrement mise en lumière. Ce coup de projecteur sur le logement des français et notamment sur les inégalités qu’ils provoquent, aura eu pour conséquence d’inciter les acteurs de la fabrique urbaine à trouver des solutions pour optimiser au maximum la surface des logements. Lors d’une enquête menée en 2020, l’institut des hautes études pour l’action dans le logement (IDHEAL) a montré que 11% des répondants considèrent que l’étroitesse des pièces et le manque de lumière a rendu la période de confinement difficile. Parmi eux, 92% vivent en appartement.
C’est à partir de ce constat qu’aujourd’hui les métiers de la fabrique urbaine, notamment les architectes et promoteurs, tentent d’adapter leur profession au regard de ces évolutions sociétales. Pour répondre à ces nouveaux besoins, ces professionnels tendent vers plus d’éco-conception et promeuvent une plus grande intégration des habitants dans la création de leur propre logement. Que ce soit pour composer le plan de leur future habitation selon plusieurs configurations, ou pour le choix des surfaces de chaque pièce ou encore pour modifier de façon infinie leur logement après achat (notamment pour anticiper les évolutions familiales futures), les acquéreurs sont de plus en plus associés à la conception de leur habitation.
Une solution qui s’adapte à l’évolution des besoins et permet ainsi aux habitants de conserver leur logement tout au long de leur parcours de vie.
Cette tendance a déjà inspiré de nombreux professionnels de la fabrique urbaine. Parmi eux, l’architecte français Pascal Gontier qui a créé BOB, pour Bespoke Open Building. Une méthode qui permet aux futurs acquéreurs de personnaliser à la fois, les volumes, l’organisation intérieure, mais aussi le morceau de façade associé à leur logement. Une démarche fédératrice pour les futurs habitants qui doivent se concerter afin de trouver ensemble une harmonie architecturale commune pour leur futur immeuble. Une co-conception entre architecte et acquéreur mais aussi entre les futurs résidents eux-mêmes, dans l’idée de bâtir un “quartier vertical et communautaire”. Une démarche qui permet au final de favoriser un bien-être à la fois individuel et collectif.
Mais le développement de ces approches personnalisées ne se limite pas seulement à des échanges plus poussés entre concepteurs et habitants. Le numérique s’invite également dans la conception de l’habitat de demain. De nouveaux outils technologiques de modélisation se développent, afin de faciliter la matérialisation du concept de logement sur-mesure pour les acquéreurs. C’est le cas de la plate-forme de personnalisation de logements HabX qui est apparue en 2017. Elle permet au futur occupant de configurer son logement, de la taille des pièces jusqu’au choix des matériaux et équipements intérieurs, avant même que l’immeuble ne soit sorti de terre. Cette application permet également de réaliser 10% à 15% d’économies sur le prix du logement. En calquant le projet sur les attentes de l’acquéreur, les coûts de publicité et de commercialisation sont alors réduits.
L’habitat modulable, qu’est-ce que c’est ?
Mais le sur-mesure ne se limite pas seulement à la conception initiale d’un logement. En réalité, nous évoluons tous en fonction des aléas de la vie et par extension, notre foyer aussi. C’est à partir de ce constat, que d’autres concepts sont apparus, comme le logement modulable.
Ce dernier s’inspire des maisons traditionnelles japonaises, les “Machiya”. Construites au début du XIXème, les Machiya représentent de petites maisons conçues avec des matériaux 100 % naturels, le plus souvent en bois. On y retrouve des portes coulissantes intérieures, appelées shoji, qui se ferment ou s’ouvrent pour jouer avec la taille des pièces. Les maisons traditionnelles japonaises se sont énormément développées à la suite de la seconde guerre mondiale. En effet, il s’agissait de petits logements, rapides à construire et donc peu coûteux, permettant alors de loger une grande partie de la population de manière efficace.
Très tendance aujourd’hui, le concept de logement modulable commence à se déployer en France. Il s’agit, dans la même idée que les Machiya, de créer des espaces “amovibles” et adaptables afin de pouvoir profiter de chaque m² d’un appartement. À ce titre, il est ainsi possible de transformer une salle de séjour en une chambre ou bureau grâce à la modularité des murs qu’il est envisageable de supprimer, de tirer et de pousser simplement, en fonction de l’usage que l’on souhaite faire de la pièce.
Mais cette modularité de la surface d’un espace ne se limite pas seulement à sa conception, elle peut également être rendue possible au travers de méthodes d’ameublement agiles et innovantes, telles qu’une trappe dans un plancher, un lit caché dans un plafond, par l’ouverture ou la fermeture de parois coulissantes.
L’architecte Sophie Delhay s’est également approprié ce concept d’habitat modulable, avec pour ambition de répondre aux problématiques de logements des quartiers prioritaires de la ville. Car pourquoi ne pas développer la modulation pour rénover les immeubles dégradés afin d’éviter leur démolition ? C’était là toute l’idée de cette conceptrice qui a expérimenté, avec succès, un projet d’immeuble de 40 logements locatifs sociaux datant des années 1950.
Situé à Dijon, le projet de Sophie Delhay s’est basé sur l’articulation de pièces carrées de 13 m² formant à volonté séjour, chambre, bureau, ou encore salle à manger. “Ici, les pièces ne sont donc plus définies par leur fonction mais par leur surface, 13 m². Pas de monofonctionnalité imposée, mais une liberté d’habiter.” Ce concept permet d’adapter son logement selon les envies en ouvrant ou fermant les portes de ces mini-séjours, et ce, à volonté. Une innovation architecturale qui s’accorde parfaitement avec les nouvelles manières de vivre. Un projet qui a d’ailleurs été récompensé par l’Équerre d’Argent en 2019 dans la catégorie Habitat, montrant qu’il est possible de réconcilier l’architecture et la réhabilitation de l’habitat ancien.
Dans cette même idée de logements qui évoluent au rythme de leurs habitants et des besoins changeant au cours d’une journée, l’agence d’architecture espagnole PKMN Architectures a imaginé un projet de grandes structures modulaires en bois, inspirées des rayonnages de bibliothèques et montées sur des rails : All I OWN HOUSE. Ces structures ont la particularité de prendre la forme de cloisons-étagères allant du sol au plafond. Elles peuvent être déplacées facilement grâce au système de rails, permettant aux occupants de “pousser les murs”. Ce concept s’étend bien au-delà du mouvement de simples cloisons. En effet, il permet de donner une utilité à chaque mur selon son placement, pouvant alors prendre la forme d’une étagère, d’une table, d’un bureau, d’une cuisine ou encore d’un lit. Les structures sont conçues avec des panneaux fabriqués à partir de copeaux de bois pressés : un matériau peu coûteux et durable.
Quand la modulation combine économies et écologie
Mais qu’en est-il du coût de ces nouveaux procédés et donc par extension, de ces logements nouvelle génération ? À l’inverse de ce que l’on pourrait penser, l’acquisition de ces logements sur-mesure et modulables devient en réalité accessible à tous. Du fait de leur évolutivité et de leur adaptabilité, ce type de logement peut s’adapter au budget de chacun selon le choix des surfaces, des matériaux, du nombre de pièces… Quant à leur élaboration, elle est aujourd’hui plus aisée et plus rapide à mettre en place qu’une maison traditionnelle. Et qui dit simplicité et surface d’usage optimisée, dit économies, notamment en matière de main d’œuvre. De plus, avoir la possibilité d’anticiper l’évolution de ses besoins en disposant d’un logement pouvant s’y adapter, c’est aussi supprimer les coûts qui auraient été nécessaires, (pour démolir un mur ou agrandir une pièce par exemple) dans le cas d’une habitation “classique”. Ce type de logement n’a pas besoin d’avoir une surface importante, du fait qu’il soit possible de l’augmenter en maximisant la surface d’usage. Pour autant, logement modulable n’est pas synonyme de baisse de qualité. Car au contraire, les concepts donnant vie à ces habitations ont été imaginés dans une logique de conception plus durable et vertueuse pour l’environnement.
Les exigences en matière de développement durable et de qualité des logements s’appliquent donc pour ces habitations. À ce titre, elles sont d’ailleurs souvent dotées de panneaux solaires, d’une isolation renforcée, de double voire triple vitrage et de grandes fenêtres sur la façade orientée au sud. Certaines sont même conçues avec des matériaux recyclés. Ainsi, différentes possibilités existent aujourd’hui, pour s’offrir un logement à l’impact environnemental réduit. Une volonté partagée par de plus en plus de français. D’après le rapport qualitel sur l’état du logement en France de 2021, trois quarts des français aspirent à vivre dans un logement plus respectueux de l’environnement. Une demande principalement portée par les plus jeunes, qui se disent pour moitié prêts à payer un peu plus pour vivre dans un logement durable.
Cette prise en compte des aspects environnementaux dans la conception même des logements et se traduisant par une forme de modularité, est d’ailleurs un élément de plus en plus récompensé aujourd’hui. Pour exemple, les architectes Anne LACATON et Jean-Philippe VASSAL ont récemment été salués par le jury du Prix Pritzker pour “Leur travail, qui répond aux urgences climatiques et écologiques de notre temps autant qu’à ses urgences sociales, en particulier dans le domaine du logement urbain, redonne de la vigueur aux espoirs et aux rêves modernistes d’amélioration de la vie du plus grand nombre”, ainsi que leur “sens aigu de l’espace et des matériaux qui engendre une architecture aussi solide dans ses formes que dans ses convictions, aussi transparente dans son esthétique que dans son éthique”.
La modularité permettrait de répondre à l’ensemble des enjeux auxquels les villes sont confrontées. Et ces deux architectes l’ont démontré avec le projet de La Tour Bois-le-Prêtre. Il s’agit d’une tour de logements HLM de 50 mètres de hauteur bâtie dans les années 1960 qu’ils ont entièrement réhabilitée. Ce projet a permis de montrer qu’il était possible de favoriser l’adaptation des constructions au lieu des démolitions/reconstructions, même lorsqu’il s’agit de logements HLM dégradés. L’ensemble des habitations ont été ainsi « modulées » et repenser afin “d’agrandir les espaces de vie, […]d’abriter des jardins d’hivers et des balcons filants qui créent un nouveau rapport à l’extérieur, à la lumière, au ciel et aux éléments, tout en impactant positivement la dépense énergétique.”
Pour aller plus loin…
Aujourd’hui, avec un pouvoir d’achat qui ne cesse de se réduire, les foyers souhaitant accéder à la propriété dans le neuf, subissent les contraintes financières et réglementaires auxquelles font face les promoteurs. Ces derniers n’ont bien souvent d’autres choix que de créer des logements standards, ne répondant pas forcément aux besoins de tous.
Pourtant, certains architectes et promoteurs ont, ces dernières années, amorcé un virage majeur dans leurs habitudes de profession. Les rapports se multiplient et de nombreux cercles de professionnels se lancent pour réinventer leurs pratiques, à l’image du mouvement Printemps des villes, qui entend “faire évoluer radicalement les pratiques professionnelles de la fabrique urbaine, afin de permettre à des villes plus écologiques, plus démocratiques et plus humaines d’émerger”. Certains professionnels, comme les promoteurs notamment, vont même jusqu’à faire évoluer leur propre modèle économique pour tendre vers plus d’agilité, et faire émerger plus d’innovation et de co-conception dans leurs projets.
De nouveaux concepts et méthodes pour l’habitat émergent donc dans l’optique de trouver des réponses aux nouveaux besoins de la société tout en s’adaptant à ces contraintes. Pour y parvenir, il ne semble pas nécessaire d’aller trop loin dans l’innovation technologique, mais d’inclure davantage les habitants dans la construction des logements, et de mieux articuler les différentes professions de la fabrique urbaine, entre elles.
Aujourd’hui, les habitants souhaitent prendre part à la conception de leur lieu de vie. C’est pourquoi il est indispensable d’adopter des méthodes d’habitat sur-mesure, qui permettent à l’habitant de participer activement au processus en fonction de ses besoins. Car même si cette démarche du sur-mesure s’est largement développée dans la construction de maisons individuelles, les appartements n’ont pas suffisamment été pris en compte.
L’évolution de nos villes tend aujourd’hui vers une baisse des constructions de maisons individuelles et une augmentation des immeubles collectifs, en réponse aux changements démographiques et sociaux. De plus, on cherche aujourd’hui à faire avec l’existant et à limiter les démolitions reconstructions afin de faire face aux problématiques environnementales et écologiques. Au regard de ces constats, l’habitat modulable s’affirme donc comme une méthode durable et économique en matière de logement.
Ainsi, pour demain, ne faudrait-il pas démocratiser cette tendance pour la rénovation et construction des appartements ? L’appartement modulable et sur-mesure ne serait-il pas la solution qui permettrait de fabriquer des villes plus inclusives, plus durables, pouvant s’adapter aux besoins individuels et collectifs et aux changements sociétaux permanents ?