Végétaliser les rues : La rue-parc, une nouvelle manière de parcourir la ville

Les étudiants de 4ème année de l’ESAJ, L’Ecole Supérieure d’Architecture des Jardins ont rédigé des mémoires portant sur la problématique du paysage et des questions de transition écologique.  4 étudiants ont été sélectionnés pour nous livrer un rapport détaillé sur leurs travaux de recherche. Le premier est l’œuvre de Jeanne FOUILLET et s’articule autour de la végétalisation des rues.

De nos jours, on se rend compte que les enjeux de la transition écologique se font de plus en plus pressants. Repenser les villes en termes de végétation et de mobilité apporte de nombreux avantages et permet «d’atténuer les maux d’une minéralisation urbaine excessive» (Laure CORMIER, géographe urbaniste – Urbanisme et biodiversité de P. CLERGEAU).

Les avantages du végétal

Le végétal est lié à trois enjeux majeurs actuels. Le premier est d’ordre climatique : les plantations participent à la réduction des températures par le principe d’évapotranspiration*. Ce principe va également améliorer le confort respiratoire de la population en augmentant l’hygrométrie de l’air et ainsi fixer certaines particules polluantes au sol. Le deuxième concerne la biodiversité où l’objectif est de créer des habitats* et des corridors* afin de favoriser le mélange d’espèces animales et végétales. Le troisième concerne le bien-être. En effet la végétation joue un rôle sur la qualité du cadre de vie en offrant un cadre apaisant et serein. Elle invite également à la promenade et permet de développer les déplacements actifs* qui participent à l’activité physique quotidienne recommandée par l’OMS. Depuis la pandémie, des études sur la mobilité parisienne montrent une augmentation de 7% de la marche à pied.

La perception des habitants

Suite à l’arrêt des produits chimiques pour l’entretien, plusieurs villes ont vu se développer une végétation sur les trottoirs. Une étude, réalisée par BONTHOUX S. et Coll. dans la ville de Blois, montre que le recouvrement végétal dépend du revêtement des trottoirs : les surfaces en stabilisé hébergent deux fois plus d’espèces qu’un trottoir en asphalte. Puis des enquêtes ont été menées à la fois sur le terrain et par le biais d’internet, sur la base de photomontages, afin de déterminer les préférences des habitants. Les résultats, contre toute attente, montrent qu’ils préfèrent un trottoir végétalisé.

Une intention naissante

Dans plusieurs villes de France, on constate une envie, un besoin de végétaliser les rues. Plusieurs d’entre elles ont déjà engagé des actions . A Lyon depuis 2015, on trouve ‘‘les jardins de rue’’. Bordeaux tout comme Marseille et Montpellier pratiquent les permis de végétaliser, invitant ainsi les habitants à planter dans des fosses creusées à même le trottoir ou bien dans des jardinières.
Mais est-ce suffisant ?
Durant la dernière année de pandémie et les différents confinements, plusieurs espaces publics ont été fermés et plus particulièrement les parcs, les jardins et les squares ; nous privant ainsi de nos espaces de verdure dans les villes. Les habitants ont ainsi redécouvert l’importance du rôle des rues.
Mon intention est de végétaliser les rues tout en offrant de nouvelles perspectives de circulation. J’ai donc axé mon sujet sur le concept de rue-parc.

Une histoire de la rue

La première notion de ‘‘rue/voie’’ apparaît sous l’empire romain vers -312 avec la voie romaine. Il s’agit à l’époque d’un besoin militaire, administratif et commercial du fait d’un territoire très étendu.
Au moyen-âge, la rue des villes est structurée de façon à tourner autour du lieu de pouvoir. Elle est alors étroite, tortueuse et obscure car les habitations sont généralement mal alignées et irrégulières. À cet époque, elle est agitée et encombrée, sans trottoirs. Il s’agit d’un lieu d’exposition où des étalages se succèdent le long des murs d’habitations.
Au XVIIème siècle, les voies commencent à être élargies. Certaines routes ou allées plantées de château sont insérées à la ville, introduisant la notion de voies urbaines plantées. Le XVIIIème siècle, le siècle des lumières, fait apparaître de grandes perspectives et des compositions dignes de l’art des jardins.
Le XIXème siècle accueille les plus grands changements concernant l’agencement de la rue. Les voies sont considérablement élargies et font place à de nombreux trottoirs. Les nouveaux tracés parisiens, par exemple, n’accueillent désormais plus d’équipements marchands car le Baron Haussmann préfère installer des axes destinés au logement. Le XXème siècle est celui de l’automobilisation. En effet, dès 1920, à l’apparition du code de la route, les villes modifient les rues pour le confort de la voiture. Ainsi les voies pavées laissent place à l’enrobé. Le domaine du piéton est considérablement réduit et subit l’encombrement des équipements de voirie. Dans les années 1980, la voiture arrive à son apogée, elle est omniprésente et occupe tout l’espace disponible (trottoirs, places…).

Différents concepts des débuts de la rue-parc à aujourd’hui

Afin de comprendre ce que l’on appelle aujourd’hui une rue-parc, il est important de remonter à son invention et d’étudier différentes visions du concept à son début, telles que celles d’ALPHAND, OLMSTED et FORESTIER, pour ensuite observer l’évolution du concept sur des projets contemporains.

Adolphe ALPHAND (1817-1891)

C’est en 1850 qu’est considéré pour la première fois le concept de promenades urbaines. Napoléon III revenant de son exil en Angleterre, commande au Baron Haussmann un plan de rénovation de Paris avec plusieurs objectifs en vue : assainir, mieux circuler et embellir. Le Baron va faire appel à Adolphe ALPHAND, alors ingénieur des ponts et chaussées de la ville de bordeaux, pour prendre la tête du service des Promenades et plantations de la ville de Paris. Les enjeux d’ALPHAND, plus de rigueur aujourd’hui, sont principalement liés à l’assainissement. Ses aménagements sont pauvres en végétation, une seule strate arborée est présente sur la majorité de ses installations. Bien que son intention de planter soit louable, aujourd’hui la présence d’une seule strate n’est plus suffisante. De plus, dans ses principes de rues, il met en place une hiérarchie des voies en ordonnançant les espaces destinés à chaque mode de transport. Or c’est cette répartition qui va favoriser la ségrégation du piéton au profit de la voiture dans les années 1920.

Frederick Law OLMSTED (1822-1903)

Parti en Europe, en tant que journaliste, Frederick Law OLMSTED visite les jardins pittoresques de l’Angleterre. il y est impressionné par la dimension sociale. A son retour en Amérique, il réalise Central Park. Il retourne en Europe quelques années plus tard où il découvre les boulevards et les avenues de Paris après l’intervention d’Adolphe ALPHAND.
Dans ses travaux, OLMSTED conserve le principe de circulation et de connectivité d’ALPHAND ainsi que la hiérarchisation des voies. Par contre, il va plus loin en affirmant la nécessité d’un mélange de strates végétales : il va même jusqu’à recréer des milieux comme le Back Bay Fens (cf. p23 du rapport complet en lien en fin d’article). Aussi, Frederick Law OLMSTED insiste sur la mise en valeur du terrain et des éléments naturels. Il travaille avec la topographie existante, les rivières et les ruisseaux en cherchant à conserver ces éléments pour le «public enjoyement» (le plaisir de la promenade).

source : l’architecture de la voie de Eric Alonzo

source : l’architecture de la voie de Eric Alonzo

Jean Claude Nicolas FORESTIER (1861-1930)

Successeur d’Adolphe ALPHAND à la direction du service des Promenades et des plantations de la ville de Paris, Jean Claude Nicolas FORESTIER s’inspire beaucoup du concept de Frederick Law OLMSTED. Lorsqu’il reprend la direction du service des Promenades et plantations de la ville, il pense le système avant la ville. En prévoyant la future extension de Paris, il définit un réseau de parcs déjà implantés avant même de réfléchir à la structure de la ville.
Concernant son échelle de la rue-parc, qu’il appelle ‘‘avenue-promenade’’. il fait ressortir les enjeux de connectivité et de circulation mais aussi de promenade qu’il lie au cadre de vie, au cadre social et aux enjeux de santé et de bien-être.

Michel DESVIGNE

Paysagiste contemporain de renommée mondiale, Michel DESVIGNE s’inspire beaucoup du modèle de Frederick Law OLMSTED dans la réalisation de ses systèmes de parc. Il travaille avec l’existant, qui bien souvent a été transformé par l’homme. Il va également étudier le site dans l’objectif de retrouver une topographie ou des milieux souvent effacés par l’intervention humaine.
Un point très intéressant sur lequel il insiste est la gestion du projet dans le temps. En effet, un grand nombre de ses projets durent sur plusieurs années, ce qui permet de s’adapter à la croissance des végétaux et aux imprévus qu’ils soient d’ordre naturel ou humain.

Nicolas SOULIER

Constatant la stérilisation des rues aussi bien au niveau du sol que des usages, Nicolas SOULIER, architecte et urbaniste contemporain, s’inspire d’autres pays afin de proposer des solutions concrètes. Dans son concept, il contredit A. ALPHAND et F. L. OLMSTED en intégrant la notion de partage modal de la voie. En effet, il prône la confiance en les usagers pour mettre en place un mélange des voies de circulation. Il insiste sur la question de respect du plus fort envers le plus faible. Concernant les rues, il inclut l’habitant à son concept l’invitant à faire appel à sa créativité, introduisant ainsi la spontanéité, l’imprévu. Ce faisant, il l’intègre à la ville et ainsi à la vie urbaine. Cela peut toutefois poser des problèmes dans le fonctionnement, par exemple avec les permis de végétaliser et le parrainage lorsque qu’il y a désintéressement des habitants et abandon des parcelles.

source : Reconquérir les rues de Nicolas Soulier

La ville de Paris

En deux siècles, la ville de Paris s’est considérablement étendue et les espaces naturels ont disparu au profit d’espaces artificialisés*. La ville se trouve aujourd’hui dans une dynamique de transition écologique et notamment grâce à la végétalisation et le développement des mobilités actives.
Bien que certaines rues soient plantées, le manque de variété au niveau des strates et des espèces explique une insuffisance de la biodiversité. Cette insuffisance est également renforcée par un réseau discontinu. En combinant au réseau des mobilités, les voies plantées à améliorer et celles à potentiel, on peut obtenir un véritable filet vert, tissant sa toile dans Paris.

Mon objectif est de proposer des solutions pour la ville de Paris en s’appuyant sur tous ces concepts de rue-parc dont j’ai retenu les enjeux suivants : celui de la mobilité, du bien-être et de la biodiversité.
Mon étude s’appuie sur trois sites à potentiel qui serviront de témoins pour l’élargissement du maillage du filet vert. Ceux-ci présentent des caractéristiques différentes qui sont le gabarit, le contexte et la localisation. Ainsi les rues étudiées sont l’avenue d’Iéna du quartier Chaillot du 16ème arrondissement, les rues Charles Moureu et Dr Magnan du quartier de Choisy dans le 13ème arrondissement, la rue Portefoin situé dans le quartier des Enfants-Rouges dans le 3ème arrondissement.
Ces trois sites témoins, représentatifs de la ville de Paris, proposeront, lors de mon TPFE, des solutions d’accueil pour le végétal.

Pour en savoir plus, voici mon rapport complet. 

Ci-dessous, quelques définitions sur les termes précédemment utilisés :

*Évapotranspiration :

Quantité d’eau qui s’évapore par le sol, les nappes liquides et la transpiration des végétaux. (Le Robert)

*Habitat :

Partie de l’environnement définie par un ensemble de facteurs physiques, et dans laquelle vit un individu, une population, une espèce ou un groupe d’espèces. (Larousse)

*Corridor écologique :

Un corridor écologique permet la circulation fluide des espèces animales et végétales. C’est un couloir naturel, un lien essentiel entre des territoires fragmentés ou séparés par l’homme. (ecovégétale.com)

*Déplacements actifs :

Déplacements, généralement utilitaires, pour lesquels l’énergie est fournie par l’être humain par le biais d’un effort musculaire sur le parcours qui mène à sa destination. La marche et le vélo sont les modes de déplacement actifs les plus courants. (collectivitesviables.org)

ESAJ (Ecole des paysages de la transition écologique)
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