Urbanisme transitoire et politique de la ville : un bon mélange ?

Le quartier actuel du Banlay à Nevers, un exemple de quartier politique de la ville via flickr
10 Mar 2021 | Lecture 4 min

Espaces en transition, les quartiers politiques de la ville font face à des transformations urbaines conséquentes, bouleversant la vie des habitants qui y résident, et ce, parfois depuis de nombreuses années. En parallèle, la fabrique urbaine développe des approches innovantes, notamment l’urbanisme transitoire, dont nous assistons au développement croissant depuis une dizaine d’années. Une démarche inédite qui se renforce et apporte avec elle différents outils qui apparaissent cohérents pour engendrer de nouvelles dynamiques locales pour ces quartiers.

Alors que l’urbanisme transitoire impulse de nouvelles façons de concevoir nos villes, est-il pour autant adapté aux projets de renouvellement urbain ? Comment questionner ce modèle au regard des problématiques des quartiers dits “politique de la ville” ?

Une politique de la ville en pleine mutation

En France, les inégalités sociales sont souvent synonymes d’inégalités urbaines. Or depuis les années 80, la politique de la ville agit pour réduire ces dernières. Dans un premier temps, l’approche était essentiellement axée sur la transformation urbaine des grands ensembles d’habitat, devenus pour la plupart insalubres et malgré eux, l’emblème de la stigmatisation dont peuvent souffrir la population de ces quartiers dits prioritaires. L’une des premières approches a donc été centrée sur le remodelage des cités, notamment par une volonté de désenclavement de ces lieux de vie, souvent fermés sur eux-mêmes. Excentrés, ils concentrent des difficultés de mobilité pour les habitants, y compris du point de vue résidentiel. Il est donc nécessaire de créer une mixité sociale avec une diversification de l’offre de logements dans les nouvelles constructions.

L’ANRU, Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine, est ainsi missionnée depuis 2003 en ce sens, étant “chargée de piloter et de financer le Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU)”. Après de nombreuses interventions, la démarche questionne. Parfois, la seule rénovation urbaine ne suffit pas à transformer durablement les quartiers. En 2014, afin de pallier ce constat, un Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU) est lancé, toujours piloté par l’ANRU. Une autre approche se dessine. Les projets urbains se complexifient avec une dynamique enclenchée qui dépasse la simple mutation architecturale des bâtiments.

Car ces quartiers prioritaires sont aussi en besoin de revitalisation, pour la création d’un cadre de vie appropriable par les habitants, afin de faire émerger leur créativité et mettre en valeur leur richesse culturelle. En cela, les enjeux se rapprochent d’espaces dévitalisés et délaissés, ces lieux en transition urbaine à réinvestir, à se réapproprier et à réinventer.

En parallèle, les préoccupations environnementales se renforcent, menant à une nouvelle vision de l’aménagement favorisant le renouvellement urbain pour permettre la préservation des terres naturelles et agricoles. On assiste à une densification grâce à des projets urbains réinvestissant les dents creuses des villes et la reconversion d’anciennes friches urbaines. Les territoires délaissés sont revalorisés, les bâtiments vacants sont réinvestis. Et quelques fois, l’urbanisme transitoire accompagne cette mutation urbaine impliquant une importante transformation des fonctions et des usages. Une occupation passagère qui a pour objectif d’initier le changement, par une démarche mettant au centre de son action l’expérimentation et le temporaire, inscrits dans un temps long pour changer le visage des lieux, préfigurer les futurs usages et faciliter l’appropriation à venir.

La naissance d’un intérêt pour le transitoire

Certains acteurs du transitoire, ayant conscience que les quartiers prioritaires sont des lieux en plein changement et propices au développement de ces démarches, lancent très tôt des projets ambitieux. Ainsi, la ville de Marseille innove en ce sens. Ses services dédiés à la politique de la ville s’orientent dès 2013 vers des projets facilitant les usages spontanés, l’animation avec des acteurs locaux et la préfiguration d’aménagements définitifs. Différentes expérimentations se sont développées au sein du territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence, portées par des collectifs d’architectes, urbanistes, paysagistes tels que Yes We Camp, le Collectif ETC, les Marsiens ou bien le Cabanon Vertical.

Des structures qui portent de nouvelles manières de faire, en développant des propositions ancrées dans les réalités de ces quartiers et une démarche vectrice d’usages fédérateurs. Un nouveau champ d’intervention qu’il s’agit de qualifier. En 2017, Cabanon Vertical crée un guide pratique pour accompagner le développement de l’aménagement transitoire. Une initiative qui résulte d’un travail collectif, initié par le service Politique de la ville à Marseille dès 2016, autour de ces pratiques dans les quartiers populaires. Dans cette présentation des méthodes du transitoire, la recette pour les quartiers populaires n’est pas la seule mentionnée et on y présente l’ensemble des applications, dans une approche globale.

Un des projets menés par Yes we camp à Aubervilliers via flickr

Un des projets menés par Yes we camp à Aubervilliers via flickr

On peut néanmoins rapidement comprendre en quoi cette pratique a particulièrement convaincu les services dédiés à la politique de la ville. L’urbanisme transitoire apporte une réponse adaptée à de nombreux enjeux propres aux quartiers prioritaires. Alors que l’approche était en premier lieu de transformer l’environnement urbain, pour ensuite de ce fait, initier de nouveaux usages, l’urbanisme transitoire change complètement cette logique. L’optique est désormais de partir des usages existants, pour engager des changements grâce à des aménagements éphémères et réversibles, dans une démarche sensible d’expérimentation et participative.

Une démarche transitoire aux atouts et bénéfices indéniables

Ancré dans le contexte local, l’urbanisme transitoire s’appuie sur l’existant et s’adapte aux besoins locaux, en impliquant activement acteurs locaux et habitants, pour transformer progressivement leur environnement urbain. L’urbanisme transitoire ne se fait pas sans les usagers et les habitants, il donne la possibilité à tous de participer à la mutation des quartiers, auxquels ils sont souvent très attachés. L’appropriation des transformations par les habitants est un élément essentiel pour la réussite des projets entrepris au sein des quartiers populaires. L’urbanisme transitoire entreprend un “faire avec”, par un investissement sur le long terme, auprès des usagers et des acteurs impliqués au quotidien dans leur quartier. Il fabrique un commun et pose les bases d’une confiance envers l’échelon local, pour une démarche horizontale et implicatrice qui associe pleinement les habitants, ce qui impulse une appropriation pérenne.

Dans le quartier Saragosse de Pau, Bruit du frigo a accompagné la transition des différents parcs situés en arrière d’immeubles, afin “d’amorcer un phénomène de mobilité sur le quartier et de préfigurer le Jardin linéaire à venir (future coulée verte)”. Un Jardin Invisible devenu tangible pour les habitants grâce à la création de six installations temporaires et d’un parcours ponctué d’interventions graphiques et construites. L’appropriation devient donc une donnée centrale. Il s’agit de susciter un renouveau des pratiques, une vitalisation des différents sites traversés, rendu possible par des chantiers participatifs, un travail collectif et des temps forts participatifs. Les habitants sont impliqués de manière active, ce qui participe ainsi à l’appropriation durable de leur nouveau quartier.

Une réalisation issue d’un temps long, sur trois années, où se sont organisés différents ateliers de concertation avec les habitants et les acteurs associatifs locaux. On parle ici de transitoire, autant pour l’objectif de préfiguration, que pour l’aspect temporaire des aménagements réversibles et l’expérimentation de différents usages, basés sur un travail de concertation avec les habitants. Un travail de fond entrepris sur la durée qui a permis de “fabriquer des bases solides en prenant le temps de la rencontre, de la compréhension et de l’expérience” avec “un travail de terrain pour ressentir, expérimenter soi-même le territoire, rencontrer des individus et tenter de dessiner avec [les habitants] le visage collectif de leur quartier”. Essentielle, cette approche remet en question des barrières parfois symboliques. Aussi, elle gomme certaines perceptions ou préjugés sur les espaces, pour dessiner la réalité des espaces vécus et la richesse des usages. Le Jardin Invisible a ainsi permis aux habitants de réactiver l’envie, l’imaginaire, la poésie pour leur lieu de vie, pour révéler le potentiel de leur environnement quotidien.

Suggestion émise lors de la participation habitante d’Imagina Madrid: “Bancs et tables pour nous rassembler” via noez.org

Suggestion émise lors de la participation habitante d’Imagina Madrid: “Bancs et tables pour nous rassembler” via noez.org

Les projets d’urbanisme transitoire sont aussi facilitateurs d’un changement d’image souvent crucial pour les quartiers prioritaires. Par les aménagements éphémères et réversibles, pour des durées plus ou moins longues, on inscrit une nouvelle dynamique au sein du quartier. Par exemple, à Madrid, en 2017, est né le projet Imagina Madrid. L’objectif était de transformer des espaces publics en périphérie de la métropole, dans des quartiers délaissés, grâce à des expériences urbaines et sociales. Le projet est confié à Intermediae, un acteur impliqué dans la vie artistique de la ville, pour initier une réactivation par l’art et la culture, sans intervention urbaine lourde.

Des panels d’acteurs ont été créés pour amorcer des espaces collaboratifs où chacun a pu mettre en récit le lieu. De là, sont nées les propositions de projets, jugées pour leur faisabilité, puis mises en place si elles étaient réalisables. Cuisine partagée, opéra participatif, jardin nomade de livres, les actions ont rendu possible une réappropriation des lieux, de nouveaux usages et de nouvelles dynamiques locales. Ici, on fait avec l’existant, ce qui implique une transition à faible coût financier. Un investissement qui reste néanmoins nécessaire pour faciliter la pérennité de la démarche et garantir une implication sur le long terme, nécessaire au succès de ce type d’interventions.

Des risques à anticiper, une méthodologie à respecter

Les démarches d’urbanisme transitoire sont parfois très attractives, elles viennent alors changer la dynamique du quartier, lui donner une autre dimension. Un bien, qu’il s’agit pour autant de maîtriser. Car le danger de la gentrification et de l’entre-soi guette. Divers exemples montrent les limites de ces expériences d’urbanisme transitoire, qui transforment le cadre de vie et les publics venant dans les quartiers, avec une approche culturelle qui fédère principalement des populations assez aisées. En effet, bien que les intentions de départ soient tournées vers une ouverture, les lieux créés participent parfois à une gentrification progressive.

Alors comment réussir le pari d’une transformation positive, sans se déconnecter des réalités des habitants et en répondant à leurs besoins ? Peut-être est-ce une question de méthode et d’objectifs visés ? Le transitoire propose des outils intéressants pour les quartiers politique de la ville, pour autant, il s’agit d’être particulièrement vigilants dans la démarche adaptée, qui se doit d’être inclusive et horizontale, faisant du diagnostic des usages et des besoins une étape clé et du temps long un allié pour un véritable accompagnement des populations locales.

Un constat déjà présent lors de la transformation de quartiers dévitalisés. Au début des années 2000, à Tourcoing, les habitants d’un ensemble de maisons vouées à disparaître se rassemblent en une association “Rase Pas Mon Quartier”, afin de militer pour sauver leurs logements. Cet “îlot Stephenson”, situé aux franges du futur écoquartier de l’Union, sera finalement préservé grâce à la mise en place d’une démarche de co-production des logements avec les habitants. Porté par l’agence Construire, et l’expertise de Patrick Bouchain, “des groupes de travail se réunissent régulièrement pour réfléchir, au sens et à la vie du quartier ; des projets communs sont discutés – jardins partagés, expositions, moments festifs, conversations publiques…”. Un processus participatif inspirant autour d’une Maison du projet où les habitants ont pu acquérir des connaissances nécessaires à la prise de décision et prendre ainsi activement part au renouveau de leur quartier.

L’îlot Stephenson au cœur de l’écoquartier de l’Union à Tourcoing via wikipédia

L’îlot Stephenson au cœur de l’écoquartier de l’Union à Tourcoing via wikipédia

Aussi, l’intégration des écosystèmes locaux est essentielle. D’ailleurs, cette démarche se reflète dans une des missions historiques du collectif Yes We Camp. Le programme Caravanade est un projet visant à activer et faciliter des projets participatifs auprès d’acteurs locaux (associations, centre sociaux, collectifs d’habitants, ..) sur une journée, en les accompagnant avec des outils et des compétences autour de l’action collective. Une expérience fondatrice pour le collectif qui a observé l’intérêt primordial des projets participatifs et collectifs, incluant les acteurs de terrain, pour être “vecteur d’envie et de confiance en soi”.

Car là doit être la transition, celle d’un empouvoirement grâce à ces nouvelles pratiques d’urbanisme, autant des habitants que des acteurs locaux investis dans les territoires. Ces projets ont comme rôle de rendre possible l’activation et le renforcement des dynamiques locales, d’être ainsi porteurs de sens pour les habitants. Et pour cela, les habitants doivent être au centre de ces transformations urbaines. L’urbanisme transitoire, s’il est participatif, voire démocratique, au sens qu’il laisse l’initiative aux citoyens, peut donc être dédié aux habitants et leur donner le cadre idéal pour prendre la parole, afin d’être pleinement acteurs des mutations urbaines de leur espace de vie. Ainsi, peut-être, nous faciliterons un renouveau des quartiers populaires tout en respectant celles et ceux qui y vivent.

LDV Studio Urbain
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Vos réactions

Raynaud
17 mars 2021

Bravo pour ces initiatives!

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