Une frugalité heureuse pour nos villes ?
Depuis quelques années, les enjeux du réchauffement climatique se font de plus en plus prégnants et on le sait, notre planète subit une pression démographique forte liée à une population mondiale en permanente croissance. Ainsi, chaque année, le Jour du dépassement mondial arrive plus tôt. Il s’agit du jour où la consommation annuelle de l’humanité en ressources écologiques dépasse la capacité de la régénération de la Terre, nommée bio capacité. Pour résumer, alors qu’en 1970 la terre suffisait à combler l’empreinte écologique de la population mondiale, aujourd’hui il faudrait 1,7 planètes terrestre pour éponger notre consommation des ressources, et même 2,8 Terre si toute l’humanité vivait comme les français.
Ce double constat, celui d’un changement climatique sans précédent et d’une accélération de notre pression sur les écosystèmes liée à notre consommation toujours plus importante des ressources terrestres, mène de nombreux professionnels à questionner la manière de faire nos villes et nos territoires. Plusieurs mouvements écologiques se sont succédés : de la smart city, qui utilise la technologie pour la maîtrise des consommations par exemple, à la ville durable, qui développe différents principes dans un objectif de développement durable. Sans oublier l’ensemble des démarches citoyennes très inventives, ambitieuses et humaines, mais qui dans la majorité des cas ne parviennent pas à dépasser l’échelle locale.
Depuis quelques années, avec le mouvement Colibris notamment, est en train de naître une philosophie encore plus engageante, celle d’une écologie retrouvée dans la sobriété, cherchant à tendre vers le moins, le mieux, le nécessaire, à contrario du superflu, pour aller vers une société plus écologique, qui sait prendre en compte la nature, ses limites et sa richesse pour des territoires plus durables.
Alors la sobriété heureuse est-elle possible pour nos villes ? Quelles sont les solutions possibles pour une frugalité heureuse pour nos villes ?
Une situation de plus en plus critique, un constat alarmant
On l’a dit, la Terre, notre maison, est de plus en plus malmenée. Et le secteur du bâtiment n’est pas en reste car il possède bien une part non négligeable de responsabilité. En effet, rien qu’en France, “les bâtiments résidentiels et tertiaires produisent 24% des émissions de CO2 et consomment 44% de l’énergie utilisée” d’après la Fédération Française du Bâtiment. On parle ici d’énergie dépensée lorsque les bâtiments sont utilisés, mais la consommation et les effets débutent dès leur construction. Une réglementation thermique ambitieuse est donc importante mais elle ne fera pas tout.
L’architecte et urbaniste Philippe Madec, ainsi que Alain Bornarel (ingénieur) et Dominique Gauzin-Müller (architecte) se sont mobilisés en début d’année pour créer un Manifeste de la frugalité heureuse. Un cri de ralliement pour un réel engagement écologique au quotidien de la part des professionnels de l’aménagement, de l’urbanisme et de la construction qui fait sens et écho à la récente démission de Nicolas Hulot.
Face à l’urgence climatique, ils plaident pour l’action des “bâtisseurs”, soulignant en préambule la responsabilité nécessaire de l’ensemble de la profession, en soulignant que “leurs domaines d’action émettent au moins 40 % des gaz à effet de serre pour les bâtiments, et bien plus avec les déplacements induits par les choix urbanistiques, telle la forte préférence pour la construction neuve plutôt que la réhabilitation”. Face aussi à la consommation des terres agricoles par l’étalement urbain toujours plus vorace, malgré les différentes réglementations successives, le Manifeste appelle à un “engagement collectif et individuel”.
Mais comment répondre aux enjeux de notre société, sa pression urbaine, le besoin pressant de logements, alors même que nous sommes confrontés à de nombreux enjeux écologiques toujours plus prégnants ?
Pour nos territoires, et si finalement la solution était de penser autrement ? La sobriété semble être une des chemins possibles avec ses solutions qui tendent vers la frugalité en énergie, en matière, en technicité (low-tech), à toutes les échelles, du territoire au bâtiment, du rural à l’urbain.
Au revoir au béton pour un retour aux sources !
Penser autrement l’architecture de nos bâtiments, c’est questionner les techniques de construction ainsi que les matériaux à utiliser. Ainsi, il s’agit de remettre en question le tout béton pour tendre vers l’utilisation de matériaux biosourcés locaux. Pourquoi prendre du sable dans les fonds marins quand on peut développer des filières courtes de bois, de chanvre, de miscanthus sur nos territoires ? En plus d’avoir l’avantage de reconnecter les techniques de construction aux savoir-faire locaux, cela permet de recréer des emplois. Une dynamique importante pour un renouveau de nos campagnes !
Utiliser des matériaux de qualité, c’est aussi miser sur l’avenir, permettre un cycle de vie du bâtiment performant sur le long terme. Car construire autrement, c’est créer pour chaque lieu et chaque projet, une recette adaptée. Autrement dit, se soucier du contexte, puiser dans le local l’inspiration et créer un projet qui respecte au mieux son environnement pour alléger son empreinte écologique. On peut dire qu’on se dirige ainsi vers le retour d’une architecture vernaculaire qui puise dans les anciens savoir-faire, dans la richesse du territoire où elle prend vie, mais bien sûr tout en innovant pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui.
Car il s’agit bien sûr non pas seulement d’imiter les techniques passées, mais aussi d’intégrer des techniques et savoirs actuels pour aller plus loin. Construire une tour en bois ? Il y a quelques années la chose semblait irréalisable et pourtant, voilà que les projets de ce type ne cessent de fleurir ! Les éco-matériaux sont pris de plus en plus au sérieux et étudiés afin de permettre des projets toujours plus ambitieux tout en évitant un recours au béton.
Passer de la technophilie smart à une conception frugale
Le concept de smart-cities inonde le monde de la construction. On intègre de plus en plus d’innovations technologiques et connectés dans les bâtiments, pour des constructions plus “smart”, capables de réduire les consommations d’énergies. Cependant, une autre approche est également possible, celle de la ville low-tech. Elle n’implique pas de supprimer la technologie, mais plutôt d’y recourir de manière mesurée, avec des systèmes pertinents qui s’inscrit dans une optique de simplicité (facilité de réparation et réemploi) et de respect de l’environnement (non polluante et peu consommatrice en énergie).
Cette démarche vise aussi une réduction maximale des besoins énergétiques des bâtiments. Autrement dit, la technologie sert à éviter le recours à l’énergie plus que d’en optimiser son usage. Il s’agit par exemple de concevoir des bâtiments où la climatisation, la ventilation mécanique et le chauffage ne sont pas nécessaires.
Comme le souligne Ivan Fouquet, l’architecte DPLG et co-fondateur de l’agence d’architecture ‘Fair’, dans un récent article du Moniteur, “cette escalade technophile n’est d’aucun secours pour les problèmes à venir. Les architectes doivent réapprendre à concevoir de manière simple leur bâtiment”.
Il plaide pour une formation des architectes enrichie avec une meilleure connaissance du fonctionnement thermique des bâtiments pour des conceptions qui intègrent pleinement les enjeux environnementaux actuels. Il faut savoir que souvent, un architecte propose un projet puis le soumet à des études thermiques afin de l’améliorer et d’effectuer les modifications nécessaires pour une meilleure conception environnementale. Il suggère donc une formation qui intègre ces connaissances techniques pour les étudiants ou les professionnels déjà diplômés, dans le but que dès la conception ces éléments soient intégrés.
Toujours plus de conscience écologique et citoyenne !
Concevoir un bâtiment écologique sans donner la clé de son usage aux habitants, c’est malheureusement restreindre son bon fonctionnement. Comme le dit très bien le Manifeste de la frugalité heureuse, “ce n’est pas le bâtiment qui est intelligent, ce sont ses habitants”. Ce sont bien les futurs résidents qui permettront par leurs usages d’atteindre les objectifs environnementaux. Les constructeurs misent souvent essentiellement sur une réponse technique ou constructive, oubliant le rôle que peuvent avoir les habitants.
C’est d’ailleurs une des problématiques qui a été soulevée pour les écoquartiers. Dans celui de Ginko par exemple, des enquêtes avaient mis en relief un écart entre les aménagements proposés et les modes de vie des habitants avec un manque de civisme pour le tri par exemple. Quant à l’éco-quartier de Bonne à Grenoble, les consommations d’énergie des usagers ont atteint jusqu’à 70 % de plus que l’objectif initial
Avoir une approche frugale peut également se concrétiser par l’intégration des habitants dès la conception des bâtiments et du quartier. En les impliquant en amont, il est possible de transmettre les bonnes pratiques et impulser un nouveau mode de vie. D’autant plus que la conscience citoyenne vis-à-vis des enjeux écologiques est croissante et se manifeste de plus en plus, comme l’atteste les différentes mobilisations qui ont eu lieu pour la COP21 ou plus récemment avec les marches pour le climat.
Pourquoi une frugalité heureuse ?
La frugalité est donc une démarche nouvelle pour des villes plus durables et elle se veut optimiste. Dans un monde qui valorise le numérique, les technologies, les matériaux innovants, les conceptions complexes, c’est une ode à la simplicité, une réponse plus contextuelle qui cherche à davantage créer du lien avec les territoires. Alors que nos villes et nos territoires sont en permanente quête d’innovations et de projets ambitieux, la frugalité heureuse peut apparaître comme une restriction, mais elle pourrait bien être une des réponses alternatives qui propose une vision différente de l’écologie pour l’aménagement, plus raisonnée, locale et humaine.
Vos réactions
Très bien la frugalité heureuse, je me demande toutefois si cela concerne nos sénateurs, députés et touti quanti ?
Les éco-quartiers sont souvent moches et sans vie. Serait-ce un argument pour vendre des bâtiments chers qui finalement fonctionnent au gaz de ville ?
peut-on tranformer en bâtiment frugal un batiment des années 70 avec chauffage électrique collectif et vmc simple ?
peut-on tranformer en bâtiment frugal un batiment des années 70 avec chauffage électrique collectif et vmc simple ?