Une architecture de l’accueil pour les réfugiés
C’est un domaine peu discuté de l’architecture, auquel l’actualité donne malheureusement de la visibilité : les infrastructures et bâtiments liés à l’immigration. Conçus dans l’urgence ou dans une logique bureaucratique, ces lieux de vie n’en sont souvent pas. Quelles réponses l’architecture peut-elle offrir ?
Ces dernières semaines, les élans de solidarité en faveur des réfugiés ukrainiens ont pu sonner faux, alors que deux rapports dénonçaient le traitement « cruel » réservé aux migrants jusque là. Le premier, du Conseil de l’Europe, vigie des droits humains sur le vieux continent, a critiqué une politique de refoulement généralisé sur le territoire européen, contraire aux droits de l’homme. La France y est spécifiquement pointée du doigt. Dans le second, Amnesty International dénonce le refoulement de réfugiés afghans l’année dernière, mais aussi de manière plus large, les conditions de vie toujours aussi dégradantes des migrants à Calais.
Sans pouvoir agir sur les renvois et les refoulements vers d’autres pays, les architectes se sont intéressés au sujet de l’accueil : comment loger dignement les migrants ? Des personnes qui, selon leur situation, cherchent des soins, un accompagnement ou attendent une décision administrative. Parfois dans un contexte de crise majeure où les services d’accueil sont débordés par un afflux de personnes important.
La question avait divisé la profession pendant les années Trump. En effet, son administration avait multiplié la construction de camps de détention le long de la frontière avec le Mexique où les conditions de vie étaient dégradantes et indignes. En réponse à cela, les activistes du groupe Architecture Lobby avaient purement et simplement appelé au boycott des futurs projets de centres de détention.
Stratégie du boycott
« Les architectes surestiment souvent leur capacité à définir les règles de leur travail ou à changer le débat public » estime Keefer Dunn dans un article du magazine Bloomberg Citylab. Architecte et membre du groupe Architecture Lobby, il dénonce un système sur lequel l’architecte n’a pas de réelle emprise. « Quand nous envisageons le design avec un état d’esprit solutionniste, nous présumons que les maux de la société sont le résultat d’un dysfonctionnement. Mais le système fonctionne exactement comme prévu. Le design de projets comme des murs frontaliers, des prisons ou des centres de détention ne correspondra jamais à nos termes. ».
Cette posture radicale et anti-carcérale est à rapprocher de celle du collectif canadien No One Is Illegal qui milite pour mettre un terme à ce type de détention. Depuis 2006, expliquent-ils, plus de 100 000 migrants ont été incarcérés au Canada, sans procès ni audience, et sans perspective de sortie. « Le Canada est une des rares juridictions au monde où la détention liée à l’immigration peut-être illimitée », peut-on lire sur leur site.
Celle-ci se fait le plus souvent dans des prisons de haute sécurité. Dans son roman graphique Undocumented : The Architecture of Migrant Detention, l’artiste Tings Chak documente les infrastructures de cette incarcération de masse : les cellules collectives sans intimité, les fouilles, les barbelés et les caméras…
Designer l’accueil
D’autres architectes revendiquent la posture inverse au boycott. Ils sont partisans de transformer ces lieux grâce aux outils de l’architecture et du design, pour les rendre plus humains. C’est ce qu’il s’est passé en France où plusieurs expériences ont été menées dans ce sens. En 2016, le centre humanitaire Paris Nord ouvre ses portes sur le site du futur campus Condorcet. Le terrain est mis à disposition de Emmaüs Solidarité et de l’architecte Julien Beller qui élève un bâtiment en forme de bulle. Par son souci de créer des espaces de vie chaleureux et de protéger l’intimité des résidents, par le soin apporté aux matériaux, aux couleurs et aux lumières, le centre tranche avec les infrastructures traditionnelles d’accueil d’urgence.
L’année 2015 avait vu un nombre record de migrants arriver en Europe, un million d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), soit quatre fois plus qu’en 2014.
« C’est le plus gros afflux depuis la seconde guerre mondiale », avait déclaré l’OIM. Près de 80% d’entre eux venaient de pays en guerre (49% de Syrie, 21% d’Afghanistan et 8% d’Irak). Dans ce cas, ils sont quasiment automatiquement considérés comme des réfugiés ce qui rend leur accueil obligatoire. Pour dénoncer l’incapacité des pays européens à mettre en place une réponse coordonnée et adaptée, la « crise migratoire » avait été renommée en « crise de l’accueil ».
Les villes s’en chargent
À l’hiver 2015, la ville de Grande Synthe avait sur les bras un bidonville boueux de 2500 migrants, décrit comme « pire que tout » par des responsables de MSF. En réaction, le maire Damien Carême avait décidé de créer le premier « camp humanitaire » de France. L’expérience qui avait pris fin au printemps 2017 à cause d’un incendie reste un moment clé dans l’accueil des migrants, montrant qu’une alternative plus humaine est possible.
« C’est la première fois en France qu’une ville prend en charge la mission d’accueil légalement dévolue à l’État » explique Cyrille Hanappe. Cet architecte est également enseignant-chercheur à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville où il dirige le Diplôme spécialisé en architecture (DSA) « Architecture et risques majeurs ». Pour lui, l’initiative de Damien Carême réactive le mouvement municipaliste qui entend s’approprier des missions régaliennes à l’échelon local. Elle a encouragé de nombreuses villes européennes à faire de même pour pallier aux insuffisances – voire à la xénophobie – des politiques gouvernementales.
Anthologie de l’ouverture
Suite à la tentative de camp humanitaire de Grande Synthe, Cyrille Hanappe a travaillé sur le concept de “ville accueillante”. Il imagine une ville d’intégration, où les infrastructures sociales et humanitaires sont intégrées au tissu urbain et non plus mises à l’écart. Cette ouverture est aussi le concept central du livre du sociologue Richard Sennett Bâtir et habiter : pour une éthique de la ville. Il y propose une ville poreuse, qui facilite le refuge et l’abri aux plus précaires.
Le même thème avait été présenté par le pavillon allemand à la XVe Biennale d’architecture de Venise en 2016. S’appuyant sur les travaux du journaliste Doug Saunders et son concept de “Arrival City”, l’exposition défendait la vision d’une ville ouverte où les migrants peuvent trouver des tremplins vers une nouvelle vie. Pour signifier cette ouverture, les murs du bâtiment avaient été percés, donnant la vue sur les jardins et la lagune de Venise.