Tubà, un tube à essai de l’innovation contributive centrée usager

source : Association Tubà
24 Juin 2021 | Lecture 5 minutes

À mi-chemin entre un espace de coworking et un incubateur de projet, l’équipe TUBÀ accompagne l’amélioration de la vie en ville grâce à un lieu qui favorise les rencontres, mais aussi les réflexions et les actions impliquant un grand nombre d’acteurs d’horizons divers. Ainsi, le grand public, les entreprises, les collectivités, les associations et aussi les chercheurs sont invités à expérimenter ensemble au sein du Lab, en plein cœur du quartier de la Part-Dieu à Lyon.

Pour en savoir plus, nous avons rencontré Mathilde Colin et Mariétou Diagne, coordinatrices projets et lieu au Tubà. Ensemble, nous avons évoqué les enjeux actuels de l’innovation urbaine et la spécificité de ce lieu lyonnais, entre privé et public.

Comment est né le projet Tubà ?

Née en 2014, Tubà est une association qui a émergé des réflexions du Grand Lyon à propos de l’évolution de ses services pour intégrer des thématiques comme l’open data et la transformation numérique. “Cette association est aussi le résultat d’une demande de grands groupes comme Veolia, SFR, GRDF, KEOLIS, EDF, Caisse d’épargne, qui souhaitaient questionner et améliorer leur manière de travailler avec les données et les services numériques” précise Mathilde. C’est le début des réflexions sur la Smart city en lien avec les technologies émergentes, comme la robotique, le big data, l’intelligence artificielle. “Ces différentes entreprises et le Grand Lyon se sont donc unis pour créer l’association Lyon Urban Data qui porte le projet Tubà. Ce lieu est le fruit du croisement des enjeux de la collectivité et des opérateurs privés, à partir de ce nouveau consortium de partenaires larges (PME, associations, grandes entreprises, écoles, recherche)”.

Pour aborder le numérique et décloisonner les secteurs d’activités, Tubà devait aussi être un lieu hybride, à la fois incubateur de startups et espace de test et de démonstration, pour exposer l’innovation. Tubà s’implante près de la gare Part Dieu, à un point stratégique bénéficiant d’un flux énorme permettant le croisement des publics. “Notre ambition initiale était d’en faire un laboratoire de la smart city pour l’ensemble des acteurs du territoire, en s’adressant aux grandes entreprises adhérentes, les porteurs de projet, jusqu’au grand public”, précise Mathilde.

En quoi l’approche Tubà est-elle distincte d’autres structures ?

“Le projet initial portait la vision de la Smart City au sens technologique du terme, mais très vite l’équipe Tubà adopte une approche en faveur d’une innovation centrée usager, plutôt que techno-centrée”, nous explique Mariétou. “C’est d’ailleurs ainsi que notre structure est devenue un lieu où faire grandir les innovations en hébergeant des jeunes entreprises ou associations de l’ESS. Tubà n’est pas un incubateur classique ou un accélérateur de start up. Nous avons comme objectif avant tout de développer le relationnel, de créer du réseau entre les acteurs publics et privés et de questionner leurs projets d’innovation, tout en accompagnant des projets« , précise Mathilde.

Le point de départ de l’originalité du lieu est le croisement de deux disciplines clés, la psychologie sociale et le design de service, avec la sphère de l’innovation. Alors qu’au début des années 2010, l’idée de Smart City fait des émules et que le big data apparaît comme une ressource à exploiter pour l’innovation, Tubà choisit de ne pas intégrer des profils d’informaticiens, codeurs ou ingénieurs. À la place, l’association Lyon Urban Data fait le pari des sciences humaines sociales et d’une vision centrée usagers pour le développement de ses activités.

“Tubà a eu la grande force d’intégrer dès son commencement une équipe projet ayant un regard critique des technologies de la Smart city, précise Mathilde. Les compétences qui ont été privilégiées sont issues du design de service et d’espace, de la psychologie sociale et ergonomie, de la gestion de projet innovation. Les projets se nourrissent donc des méthodologies issues des sciences humaines, telles que l’observation terrain, les focus groupe, les entretiens, les retours d’utilisateurs, etc. Nos méthodes sont une porte d’entrée essentielle pour créer de nouveaux services, où nous intégrons des usagers dès l’exploration des besoins, que ce soient les salariés des entreprises que nous accompagnons ou les bénéficiaires et utilisateurs de services publics.”

Cette démarche inédite en 2014-2015 a su convaincre les différents responsables de projets impliqués. “Ils ont rapidement compris l’intérêt de ce que nous proposions. Nous avons su faire la relation entre leurs expertises très techniques et notre approche innovante”, nous précise Mathilde.

En 2014, le philosophe Ludovic Vievard, docteur de l’Université Paris Sorbonne et co-fondateur, en 2008, de l’agence de sciences humaines appliquées, publie le rapport “La ville intelligente : modèles et finalités” pour le Grand Lyon. Une réflexion qui a influencé le destin de Tubà, comme nous le raconte Mariétou : “C’était une étude de la Direction de la Prospective et du Dialogue Public qui cherchait à théoriser la ville intelligente et ses différentes approches. Cela a permis d’apporter un regard moins techno-centré sur la question de la Smart city, avec une vision où la collectivité porte la ville intelligente. Forcément, une telle approche modifie les objectifs et donne un cadre différent, avec un équilibre entre les acteurs privés et publics, un besoin de faire collaborer l’ensemble de ces partenaires. D’ailleurs, il conceptualise l’idée d’une ville contributive, où se développe des logiques de collaboration et où les différentes parties prenantes travaillent ensemble pour résoudre les différentes problématiques. Dans cette vision, l’usager est au centre de la démarche et peut aussi être contributeur, apporteur d’idées, ce qui transcende son simple rôle de “testeur”. Tubà s’est imprégné de cette approche.”

Comment la ville intelligente peut-elle davantage intégrer les usagers ? Comment cela s’est concrétisé pour Tubà ?

Tubà est un lieu ouvert qui s’adresse aussi au grand public. “Nous avions envie de faire de la médiation, c’est-à-dire de donner de l’information et de ne pas porter seulement des projets innovants de startups”, explique Mathilde. “Notre objectif est d’intégrer tout le monde dans la réflexion y compris les citoyens. Pour cela, nous avons créé un poste de chargée de médiation numérique et culturelle, auquel Marie-Amandine Vermillon, psychologue sociale a répondu. Issue du monde associatif, elle savait comment travailler avec des publics différents et les intégrer, ce qui a beaucoup apporté au développement des méthodes du Tubà. Dès ses débuts, elle a pu souligner les points d’amélioration dans l’intégration des usagers, en apportant son bagage méthodologique et des protocoles d’expérimentation adaptés.”

Tubà est un lieu dédié à l’innovation, comprenant différents résidents et mettant à disposition un espace de travail gratuit ouvert à tous. source : Association Tubà

Tubà est un lieu dédié à l’innovation, comprenant différents résidents et mettant à disposition un espace de travail gratuit ouvert à tous. source : Association Tubà

 

L’intégration du grand public a donc aidé à mieux comprendre les besoins du territoire, notamment grâce à cette compétence en psychologie sociale. Mariétou nous décrit la pertinence de la démarche : “Cette discipline est intéressante car elle étudie l’individu au sein d’un groupe. Or c’est particulièrement adapté lorsqu’on aborde l’usage de la technologie dans la ville. Grâce à ces outils, on essaye de faire changer les comportements pour les objectifs de développement durable, tels que la mobilité, les consommations d’énergie, par exemple. Il y a un réel intérêt de la psychologie sociale appliquée qui guide vers les bons leviers d’actions.”

“Avec une approche par le design, Tubà questionne le besoin et le format de réponse possible (services/accompagnement/outils). Par la psychologie sociale, la méthodologie va au-delà, en intégrant ce que l’usager ressent”, précise Mathilde. “Il s’agissait de rappeler le besoin derrière cette demande d’innovation, aller au plus profond du pourquoi, afin de creuser si d’autres solutions n’étaient pas envisageables et sortir d’une réponse uniquement technologique. On constate un retour vers l’essentiel, vers des besoins basiques pour bien vivre en ville. Les réponses sont plus simples, en fait non, plus complexes qu’un simple déploiement d’une technologie. Ce que l’on recherche avec l’innovation urbaine, c’est que la vie quotidienne de chaque urbain se passe bien”

Alors qu’au prémisse de la ville intelligente, les données étaient perçues comme le moyen d’utiliser plus efficacement les réseaux urbains, faire des économies d’échelle et développer des services, l’innovation urbaine s’oriente désormais vers des solutions qui permettent d’assurer un bien vivre en ville. “Il ne faut pas oublier que pour l’utilisateur final, l’important c’est que cela fonctionne”, rappelle Mariétou. “Il y a souvent un décalage entre les attentes des industriels et des opérateurs envers la technologie et le numérique et les besoins des usagers. Aussi, l’innovation urbaine réside autant dans le procédé et les manières de faire, que dans le produit final. Pour nous, ce qui a été vécu par les personnes pendant ces temps d’échanges et de construction a des répercussions bien au-delà, qui sont essentielles pour accompagner le changement durable.”

Aussi, le tiers-lieu Tubà développe une offre de médiation auprès du grand public pour expliquer les enjeux de la data et du numérique dans la vie quotidienne. “L’enjeu pour nous est de redonner du pouvoir d’agir aux citoyens sur le sujet des données”, explique Mathilde. “Notre mission est de leur donner des clés de compréhension pour qu’ils s’impliquent ou non dans les projets urbains, autour d’eux ou avec nous.”

Les usagers peuvent par exemple contribuer au développement d’innovations en les testant ou en répondant à des enquêtes dédiées. source : Association Tubà

Les usagers peuvent par exemple contribuer au développement d’innovations en les testant ou en répondant à des enquêtes dédiées. source : Association Tubà

“Intégrer tous les publics ne fait pas toujours sens, nous sommes tous confrontés à la limite de la diversification des publics cibles car tout le monde n’a pas la volonté ou le temps de participer”, explique Mariétou. “Certaines personnes ont d’autres priorités que l’amélioration d’un service de transport en commun ou tri des déchets par exemple, nous devons donc imaginer qui va être intéressé réellement, sans forcer des publics non intéressés par notre démarche, même si nous les imaginions à la base comme cibles pertinentes.” Mathilde complète : “On ne peut pas sur-solliciter les gens. D’autant plus qu’il peut y avoir un risque de frustration : En leur expliquant l’intérêt de telle innovation ou amélioration, nous les embarquons avec nous, et si in fine le projet n’aboutit pas, faute de financements par exemple, les gens peuvent se désintéresser des démarches de « co-construction »”. “Finalement, il s’agit surtout d’identifier à quel moment il est pertinent d’intégrer les publics cibles, puis selon leurs retours exprimés, faire nos ajustements”, résume Mariétou.

Quelle a été la relation avec les entreprises ?

Mathilde nous explique : “Tubà est un lieu d’accompagnement de la transformation numérique, avec comme optique d’intégrer les acteurs privés et publics dans la démarche. Pour cela, nous avons besoin de comprendre comment chacun travaille au sein de ses équipes et pour mener à bien cette mission, c’est un atout d’être une association, d’être un tiers de confiance. Peu à peu, nous avons compris les process à respecter dans les grands groupes ou au sein de la collectivité, ce qui nous a permis ensuite de savoir contourner certains freins à l’innovation, grâce aussi au lien régulier et de confiance que nous avons avec nos adhérents. Cela permet d’aller plus loin que d’autres acteurs de l’innovation.

Aussi, l’accompagnement à l’innovation c’est une histoire d’individu. Chaque nouvelle personne « référente » qui intègre une structure adhérente, nous nous devons de lui faire comprendre la démarche que nous adoptons, notre vision de l’innovation, c’est tout un travail à réenclencher. Souvent, l’innovation change avant tout les manières de faire. Tous ces programmes d’innovation qu’on a mené depuis 2015 (Challenge Habitat, Remix Energy, Mob’Up, Eliom, Challenge Transport, Eureka Club, Bizartech, Datathon Déchets) ont à minimum permis le dialogue entre les services, pour penser des projets ensemble et travailler en transversalité. C’est déjà très bénéfique.”

Échanges lors d’un Datathon Déchets, deux journées d’innovation collaborative et multipartenaires, où divers acteurs se sont questionnés sur le potentiel de la donnée numérique sur les enjeux des déchets. source : Association Tubà

Échanges lors d’un Datathon Déchets, deux journées d’innovation collaborative et multipartenaires, où divers acteurs se sont questionnés sur le potentiel de la donnée numérique sur les enjeux des déchets. source : Association Tubà

Depuis 10 ans, la transition numérique transforme aussi le monde du travail. “Les grands groupes ont commencé à parler d’innovation ouverte, de méthodes collaboratives et les collectivités d’un besoin d’évoluer. Tubà est arrivé au bon moment pour répondre à ces attentes”, s’enthousiasme Mathilde. “Aujourd’hui, les tiers-lieux d’innovation se multiplient sur le territoire national, mais au commencement, peu connaissait ce modèle. On parlait davantage de living lab ou coworking plus largement, même si c’est différent.”

Au départ, le Tubà devait être un laboratoire. Comment cela a évolué ? Quel a été l’impact sur les projets ?

“Au commencement, le laboratoire Tubà, dit « le LAB » c’était un showroom de la smart city”, nous précise Mathilde. “Quand je suis arrivée début 2016, il y avait seulement la possibilité de voir des projets technologiques sur tablettes ou de tester des applications, donner son avis sur des prototypes numériques de startups. Rapidement, nous nous sommes rendu compte que ce principe ne fonctionnait pas, que nous ne pouvions pas tester les services de demain sans faire des études avec les usagers et ouvrir notre lieu.”

Le laboratoire a donc évolué vers un modèle de living lab, où des porteurs de projets volontaires peuvent venir utiliser le tiers-lieu Tubà comme un espace de test. Le lieu autrefois à l’identité technologique s’est transformé pour véhiculer une autre vision de l’innovation, autour notamment d’un coworking ouvert et gratuit (LAB). “La définition d’un laboratoire a pas mal évolué avec la définition de la ville intelligente et de la smart city”, précise Mariétou. “Tubà est toujours un living lab dans son approche méthodologique. La métropole entière est devenue le terrain de jeu de nos expérimentations, elle est le laboratoire vivant de nos tests et innovations.”

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