Toyo Ito, l’architecte poète engagé
Le japonais Toyo Ito, 71 ans, a remporté en mars le prix Pritzker, considéré comme le prix Nobel d’architecture. Une distinction méritée pour un créateur qui a su faire sortir de terre des bâtiments intemporels.
« Il a su donner une dimension spirituelle à ses réalisations, une poésie transcende tous ses travaux. » Le jury du prix Pritzker ne tarissait pas d’éloges le 17 mars dernier, au moment d’annoncer que Toyo Ito devenait le sixième architecte japonais à remporter cette prestigieuse récompense. Des louanges justifiées, tant Ito s’impose aujourd’hui comme une signature majeure dans le milieu de l’architecture.
Son irrésistible ascension débute en 1971, date de création de son propre cabinet d’architectes, baptisé d’un nom insolite : Urban Robot. Huit ans plus tard, malgré son succès précoce, l’architecte renomme son cabinet Toyo Ito & Associés. Un nom plus sage, qui va lui permettre de s’exporter plus facilement. Expert dans l’art de concevoir des maisons individuelles innovantes, il s’ouvre à de nouvelles expériences au début des années 1990. Il accepte des commandes publiques, concevant des médiathèques, des pavillons, des théâtres, des parkings et même des parcs. Des réalisations à travers lesquelles Toyo Ito « s’efforce à chaque fois d’étendre le champ des possibles de l’architecture », d’après le jury du prix Pritzker. Jouant sur la transparence des structures et l’épure des bâtiments, il est parvenu à faire sortir de terre des espaces intemporels, qui traversent le temps sans prendre une ride. Son secret ? La remise en question permanente des codes les plus établis de l’architecture : « Quand une construction est terminée, je deviens douloureusement conscient de mes propres insuffisances, et cela se transforme en énergie pour me confronter au projet suivant. »
Traumatisé par le drame de Fukushima
S’il se méfie des modes et des courants de pensée trop contraignants, Toyo Ito n’est pas pour autant un artiste déconnecté de son temps. Au contraire. Profondément affecté par le tsunami qui a ravagé son pays en mars 2011, l’architecte met aujourd’hui son savoir-faire au service de la reconstruction des régions dévastées du Japon. Avec d’autres architectes japonais, il a créé le groupe Kisyn pour réinventer les espaces collectifs et publics. D’après Ito, il est grand temps de « nous départir de cette attirance pour l’expression personnelle qui a si longtemps prévalu en architecture » et de concevoir des bâtiments et des espaces qui donnent tout son sens à la notion de fraternité. « Pendant un moment, j’ai pensé à brouiller les lignes qui fragmentent l’architecture entre ce qui est dedans et ce qui est dehors. J’ai cherché une relation à l’espace urbain, une connexion avec la nature. Aujourd’hui, il est temps pour moi de mettre cette philosophie en pratique et de la développer », déclarait Ito quelques semaines après le drame de Fukushima. Passant de la parole aux actes, le nouveau prix Pritzker a déjà ouvert une « école de l’architecture » destinée aux enfants. Et planche désormais sur de nouveaux projets d’espaces souples et malléables, au service du vivre ensemble.