Tout plaquer et s’acheter un bunker
Êtes-vous prêts pour la catastrophe ? Qu’elle soit sanitaire, climatique ou économique, de plus en plus de gens font l’acquisition d’un bunker pour assurer leurs vieux jours à travers l’apocalypse. Riches ou pauvres, ils s’offrent un ticket pour l’autarcie dans des villas ultra-sécurisées sur des îles ou des bunkers désaffectés. Des entreprises plus ou moins cyniques misent déjà sur ce filon.
Relancé par la Covid, le survivalisme continue à faire bon chemin, discrètement mais sûrement. La société Vivos a récemment fait parler d’elle en achetant un immense terrain abandonné par l’armée américaine dans le Dakota du Sud. Dans cette plaine jaunie de 4600 hectares se trouvent 575 bunkers, construits pendant la guerre froide, que l’entreprise veut commercialiser.
Dans son dernier numéro, Usbek et Rica est parti en reportage sur le site baptisé xPoint, ce point de départ à partir duquel “ceux qui sont préparés survivront”. On connaissait les stages de survie et les bunkers sécurisés, mais il faut admettre que le projet de village atomisé, où chaque maison est blindée et enterrée nous laisse songeur. Faut-il y voir un nouvel urbanisme de survie, de défense ou peut-être de sécession ?
Suburbian dream
De loin, on voit une architecture cuirassée pour résister aux attaques, une logistique pour les stocks, un cercle social resserré à la famille proche, une culture de l’autarcie… Les codes de l’habitat survivaliste sont déjà bien réunis. Mais de l’intérieur, ce sont de petites maisons américaines avec une cuisine, un salon et des chambres. Selon le terrain, certains s’installent un petit potager en extérieur ou une serre artificielle souterraine. On pense tout de suite aux “fallout shelter”, ces abris anti-atomiques qui étaient aménagés pendant la guerre froide. Mais là, c’est la version sous stéroïdes. Il faut débourser 35 000 euros pour 200m2.
Les acheteurs ? Ce sont des survivalistes plutôt modestes, retraités et ouvriers au chômage, convaincus qu’une crise majeure va bientôt remettre en cause le confort moderne et l’organisation de la société telle que nous la connaissons. Ils engagent leurs économies dans ce projet de vie, et c’est dans cette ville fantôme, enfouie et distendue, qu’ils entendent survivre à l’apocalypse.
Lotissement survivaliste
Pompier noir américain, Jason Charles a lancé un réseau de survivalistes à New York. Il n’a pas les moyens de s’acheter un bunker mais investit tout son argent dans du matériel et des formations de survie. Son témoignage à la Radio Télévision Suisse est frappant : « On ne sait jamais quelle catastrophe peut arriver, l’objectif est d’être autosuffisant, car on ne peut pas compter sur le gouvernement ni sur ses voisins. On ne doit compter que sur soi-même. » Traumatisé par l’ouragan Katrina de 2005, il semble résigné. Dans sa bouche, la peur de la catastrophe naturelle vient s’emboîter dans une condamnation de la faillite des institutions.
xPoint est situé en plein centre des Etats-Unis, il reste ainsi à l’écart des grandes villes qui sont les « cibles potentielles en cas de guerre civile, chimique ou nucléaire », comme l’explique à Usbek et Rica Robert Vicino le promoteur à l’origine du projet. À la faveur de la Covid, l’engouement commence à prendre, le nombre de candidatures a augmenté de 2000% en 2020 par rapport à 2019. Une centaine de propriétés ont été vendues et une douzaine de familles vivent à xPoint à plein temps. On se demande à quoi pourrait ressembler le projet à terme. Le paysage pourrait prendre des airs d’immense lotissement de bunkers ou de plaine squattée façon Mad Max.
Il ne faut pas oublier que dans le même temps, les plus riches milliardaires se fabriquent des villas ultra-sécurisées dans des contrées isolées. Le visage de l’habitat de la fin du monde pourrait bien ressembler à l’urbanisme que l’on connaît déjà.
“Assurance contre l’apocalypse”
En janvier 2017, le New Yorker publiait une riche enquête (traduite ici) sur les milliardaires survivalistes de la Silicon Valley. « Quand vous travaillez dans ce secteur, développer des choses à l’infini devient une seconde nature et vous débouchez sur des utopies et des dystopies » explique Roy Bahat, président de Bloomberg Beta. Pour Reid Hoffman, le fondateur de LinkedIn, « plus de 50 % des milliardaires de la Silicon Valley ont pris, d’une manière ou d’une autre, une assurance contre l’apocalypse ».
Parmi eux, le cofondateur de Paypal Peter Thiel souhaite construire un bunker de luxe en Nouvelle Zélande pour plusieurs millions d’euros. Son manoir est dessiné par l’architecte du stade olympique de Tokyo, Kengo Kuma de manière à se fondre dans le paysage vallonné du lac Wanaka. Et le lieu n’est pas choisi au hasard.
Toujours prêt à décoller
Une étude publiée l’année dernière dans la revue Sustainability s’est penché sur les territoires les plus résilients face à divers types d’effondrement à travers le monde. Cinq pays sont retenus selon trois critères : l’isolement, l’autosuffisance et la capacité de charge (terres disponibles pour accueillir la population et pour l’exploitation agricole). La Nouvelle Zélande fait partie des finalistes, ce qui consacre le succès dont elle bénéficie depuis plusieurs années auprès des milliardaires survivalistes. En 2018, le pays s’est d’ailleurs vu obligé d’interdire la vente de logements aux étrangers pour maîtriser la hausse du prix de l’immobilier.
Evan Osnos, dans l’article du New Yorker insiste sur un point : certains milliardaires craignent moins la fin du monde qu’une revanche des exclus. Hélicoptère avec le plein, ils sont prêts à décoller à tout instant pour rejoindre leur villa. Les damnés dans leurs bunkers n’auront qu’à faire l’apocalypse entre eux.