Tour d’horizon des mesures adoptées dans les villes pour faire face au Covid-19
Le 11 mai a sonné l’heure du déconfinement mais le Covid-19 est toujours là, comme une menace qui plane. À défaut de se réinventer complètement, la métropole va devoir s’adapter. Peu à peu, notre quotidien et nos habitudes vont se transformer pour intégrer l’épidémie, cohabiter avec elle. Des transports à l’immobilier en passant par l’alimentation, essayons de brosser un tour d’horizon des évolutions urbaines provoquées par le coronavirus.
Difficile encore de dire ce qui fera date, ce qui ne sera qu’éphémère. L’épidémie est encore mal connue et bien malin celui qui peut affirmer quand le Covid-19 sera derrière nous, si c’est le cas un jour. Mais nous l’avons rappelé dans un précédent article, les épidémies façonnent la ville. Les crises forcent ainsi le destin dans des directions que l’on ignorait ou que l’on tardait à prendre. Tâchons donc de voir dans les signaux faibles d’aujourd’hui quelles pourraient être les tendances de demain.
Y-a-t-il un pilote pour sauver les transports en commun ?
C’est assurément le plus grand défi dans l’immédiat. L’idée de transport de masse semble inconciliable avec les précautions d’usage contre le coronavirus. Et pourtant les opérateurs de transports ont du répondre aux demandes du gouvernement concernant le port du masque obligatoire et les règles de distanciation. Pour cela, de nombreuses mesures ont été mises en place pour contenir la propagation du virus. Pour l’heure, la situation semble être contrôlée en attendant les premiers résultats.
Mi-avril, le maire de Moscou a dû suspendre les contrôles systématiques à l’entrée du métro : en sous effectif, ceux-ci avaient provoqué des files d’attente gigantesques. Une nouvelle logistique doit donc voir le jour, mais peut-être aussi de nouvelles techniques. Alors que des études indiquent le rôle de la climatisation dans la propagation de l’épidémie, les transports devront peut-être imaginer des systèmes de ventilation alternatifs. Côté billettique, le Covid-19 achèvera peut-être la transition vers le paiement et la validation sans contact (par smartphone ou carte bleue). On peut imaginer également qu’à long-terme, les portes automatiques s’imposeront.
L’auto en question
Au delà des transports en commun, les mobilités changeront-elles ? La critique du modèle tout voiture n’avait pas attendu l’épidémie pour se faire entendre, et elle s’en est trouvée renforcée. Reprises par le Guardian, plusieurs études ont soutenu la corrélation (pas la causalité) entre la mortalité du coronavirus et la pollution de l’air. En effet, les décès liés au coronavirus dans quatre pays (France, Espagne, Italie, Allemagne) se concentrent à 80% dans les zones les plus polluées par les moteurs diesel, notamment là où la circulation de l’air est limitée par des raisons géographiques et météorologiques. « Les résultats indiquent qu’une exposition longue à ces polluants (dioxyde d’azote) pourraient être un des facteurs principaux des décès liés au Covid-19 dans ces régions, et peut-être dans le monde » explique Yaron Ogen, en charge de la recherche.
La ville de Milan fait partie de ces villes particulièrement touchées par la pollution et le Covid-19. Elle a beaucoup fait parler d’elle en annonçant mi-avril un plan drastique de réduction de la place de la voiture au profit des mobilités douces. L’épidémie est l’occasion inespérée de mettre en place un plan de transition dans les tiroirs depuis des années. De la même manière, l’idée d’un « plan Marshall urbain » a été débattue à Toronto, pour une relance post-covid centrée sur les problématiques chroniques de la ville.
La réduction nette des mobilités reste un enjeu clé, ne serait-ce à court terme pour pallier aux réductions de transports collectifs. Bonne nouvelle : selon l’étude du Forum Vies Mobiles, le télétravail gagne en popularité. La moitié des personnes contraintes au télétravail par l’épidémie voient positivement l’expérience, malgré des conditions aléatoires. L’étude laisse ainsi entendre qu’une partie des Français souhaite réduire ses trajets quotidiens et repenser ses habitudes de vie. L’articulation d’une stratégie métropolitaine et de réponses locales sera déterminante.
Cette ville est trop petite pour nous deux
La question omniprésente est la répartition d’un espace public limité. À Paris, il est aujourd’hui occupé à 50% par la voiture, qui ne représente pourtant que 13% des déplacements. Dans un sursaut face aux avenues vides, l’urbanisme tactique (ou acupuncture urbaine) s’est soudain propagé aux quatre coins du monde comme solution temporaire pour réorganiser l’espace. Le consultant en mobilité Julien de Labaca explique que ces solutions rapides, frugales et éphémères ont parfois été salutaires, mais elles ne doivent pas faire l’économie d’un processus citoyen et se penser dans un temps long. Sa tribune encourage ainsi à une ville plus souple et adaptable, mais pas opportuniste et au rabais.
Si l’urbanisme tactique a beaucoup illustré l’apparition de voies vélo (les coronapistes), mieux répartir l’espace public signifie aussi repenser la place du piéton, souvent laissé orphelin par l’aménagement public. Les trottoirs seront trop étroits pour respecter la distance physique, comme l’a mesuré pour Paris « l’agence de design d’intérêt général » Vraiment Vraiment dans un billet Medium. À défaut de cinéma, de salles de concert et de bars, nos seuls lieux de sociabilité seront les espaces publics. Leur qualité sera déterminante. On sait d’ailleurs les bienfaits qu’ils apportent aux commerces alentours.
Dernier point du partage de l’espace, les lieux publics et les commerces qui resteront ouverts verront naître une nouvelle signalétique de la distanciation physique. Elle voit le jour un peu partout, notamment à Singapour dans les files d’attentes, les bancs publics et les lieux de rassemblement. Scotch coloré, affichettes, rubans guideurs se multiplieront et apporteront une esthétique nouvelle à ces lieux. Il serait dommage de négliger la qualité et le design de ces éléments au prétexte que nous les subissons.
La pierre tremble
Le secteur immobilier aussi est impacté. Dans l’immédiat, les acheteurs frileux attendent de voir l’horizon se dégager et la plupart des chantiers mettront du temps à redémarrer. À moyen-terme, il faut s’attendre à un afflux de biens en vente et une baisse des prix. Mais c’est du côté d’Airbnb que le choc est le plus violent puisque l’entreprise a vu son activité s’effondrer avec le tourisme. Les nouvelles réservations ont chuté de 85% et les annulations atteignent quasiment 90% selon l’analyste AirDNA.
Déjà, des propriétaires se retournent vers la location longue durée, moins rentable mais plus sûre car moins dépendante du tourisme. Cette « apocalypse Airbnb » aurait-elle de bons côtés ? Certains y voient une occasion d’assainir le modèle économique de l’entreprise qui s’était éloigné de son concept originel. En effet, la plateforme s’apparente plus aujourd’hui à un site de référencement hôtelier pour des gros propriétaires qu’à un moyen d’arrondir les fins de mois pour les habitants. Cela avait pour conséquence de raréfier l’offre de logements et de faire grimper les loyers. Le fondateur de la plateforme Brian Chesky a d’ailleurs évoqué un repositionnement vers la location longue durée. Ainsi la guerre ouverte que certaines villes menaient contre Airbnb pourrait voir ici une victoire inattendue.
L’occasion de relocaliser ?
Enfin, une tendance de fond à la relocalisation pourrait s’installer. La grande distribution n’a pas été paralysée mais la crise a une fois de plus souligné les questions d’autonomie alimentaire en milieu urbain. Pour pallier à la fermetures des marchés, des solutions locales et de vente directe auprès des producteurs sont apparues. Applis et AMAP ont bien résisté au confinement mais ces alternatives restent marginales. Dans un secteur encore fragile, difficile de dire quelles solutions perdureront. La création d’une plateforme de livraison officielle du marché de Rungis démontre cependant qu’un seuil – au moins symbolique – a été franchi.
Même chose pour la production : le réseau des makers a eu le vent en poupe ces derniers mois. Il a permis en urgence, localement et à bas coût de produire des masques, des protections, des applis d’entraide etc. En atteste la commande par l’AP-HP de 60 imprimantes 3D au plus fort de la crise, le mouvement des makers offre des réponses crédibles et de la résilience à la ville.