The Architect, Paris – « Confronter le jeu au rêve »
Architecte et fan de jeux vidéo, Jean-Baptiste Reynes est fondateur d’Enodo, une agence spécialisée en modélisation 3D. En octobre 2018, Enodo s’associait avec Focus, deuxième éditeur français afin de développer son premier jeu vidéo, The Architect : Paris. Dans ce « city builder » novateur, le joueur devra adapter Paris aux défis urbains de demain. Pour nous aider à attendre d’ici la sortie du jeu (encore indéterminée) nous avons rencontré Jean-Baptiste Reynes pour discuter du projet.
En quelques mots, pouvez-vous nous résumer The Architect : Paris ?
Le joueur est un jeune architecte en 2020. Il démarre le jeu à la tête d’un cabinet d’architecture dans un quartier en ceinture de Paris. Il devra faire ses preuves pour étendre son influence et gagner peu à peu les arrondissements centraux. On s’inspire d’un city builder classique (ce genre de jeux vidéo où vous construisez vous-même la ville de A à Z) mais on change complètement les règles, puisque la ville est déjà là. Le joueur devra transformer la ville sur elle-même en tenant compte des transformations environnementales, de la pression démographique, des enjeux énergétiques etc. La partie se termine en 2080 quand le joueur aura sauvé ou non Paris.
« Quand le joueur aura sauvé Paris » ?
La question que se posent les villes aujourd’hui est « est-ce que l’on peut continuer à s’étendre ? ». La réponse est non. Je pense que tout le monde en est là, les vieilles villes européennes comme les villes en phase de développement. Elles doivent se reconstruire sur elles-mêmes et inventer d’autres façons de vivre. On imagine tous plus ou moins la ville du futur haute et technologique. Mais si la ville de 2080 était un village ? À en croire les recommandations des climatologues, elle ressemble plutôt à un village qu’à un mastodonte de bâtiments. Elle est à échelle humaine, elle est structurée différemment, elle a fait entrer la nature… Au moins pour survivre.
Votre pari est donc d’intégrer une dimension environnementale et durable dans un city builder ?
Je pense que le genre a eu du mal à se renouveler, parce qu’il continue à être sur des bases déconnectées de la réalité. Il défend une vision de la ville qui est largement dépassée. Je vous donne un exemple, dans Sim City quand vous avez besoin d’électricité vous construisez une centrale. À mesure que votre ville grandit, vous construisez toujours plus de centrales pour subvenir à vos besoins. C’est idiot, à aucun moment le jeu ne vous met face à une limite. Les derniers city builder ont introduit des éoliennes pour produire de l’énergie « propre », mais on reste dans une logique de « toujours plus ». Les gens savent qu’une ville ce ne sont pas uniquement des routes et des bâtiments. Toutes ces problématiques-là qui appartiennent aux urbanistes, il faut les donner aux gens et qu’ils s’amusent avec. Je pense que si on allie la problématique de la ville et la problématique du durable on tient quelque chose d’intéressant.
Pour gagner, le joueur devra suivre un modèle de ville durable ?
Le joueur fera ce qu’il veut. S’il veut raser tout Paris et faire un zoo géant ou Gotham City à la place, il pourra. Seulement, il sera confronté aux conséquences. À trop pousser certains curseurs, il crée un déséquilibre. Le jeu se base sur un outil de stratégie de développement durable créé dans les années 90 pour les entreprises : le « triple bottom line ». Il note les actions du joueur selon trois critères : un critère social, un critère environnemental et un critère économique. Alors qu’habituellement, les jeux distinguent les bâtiments de commerce, logement ou industrie. Cette logique est certes un peu caricaturale, mais elle donne au joueur des outils pour faire face aux problèmes actuels de la ville.
Donc votre point de départ est Paris, vous avez dû le reproduire à l’identique ?
Nous l’avons reproduit quartier par quartier, bâtiment par bâtiment, jusqu’aux plus récents comme le tribunal à Batignolles. Nous utilisons les chiffres réels de population, de consommation, les données sur l’état de vétusté, les pertes d’énergie etc. Paris intramuros, c’est déjà un sacré défi à reproduire. En général, les jeux trichent sur les échelles de représentations. Le rapport entre le bâtiment et la route est modifié, le nombre d’habitants n’est pas crédible… On va être les premiers à représenter une ville de 100 km² dans son échelle réelle et dans ses moindre détails.
…Pour que le joueur puisse tout raser immédiatement ?
(Rires) Pourquoi pas ? J’aime beaucoup Paris, mais je pense que ça mériterait d’être secoué. Les gens vénèrent Haussmann qui est quand même celui qui a entièrement détruit Paris… Aujourd’hui, c’est du patrimoine intouchable. Mais je tiens à préciser que, sauf à jouer en mode bac à sable où les contraintes sont supprimées, le joueur ne pourra pas changer Paris du jour au lendemain. Nous avons introduit des mécaniques de jeu assez réalistes. Il y a 2 millions de personnes dans Paris. Dans un city builder classique on peut tout raser, les habitants s’en vont, ils disparaissent. Là ils voudront non seulement être relogés, mais si possible dans leur quartier. Si le joueur ne trouve pas de solution, il y a une révolution dans le quartier ! Il y aura également un PLU (Plan Local d’Urbanisme, le document qui régit les règles de construction sur un territoire donné) par district et qu’il faudra le respecter. Plus vous avancerez dans le jeu, plus vous serez connu et plus vous pourrez y déroger. Exactement comme dans la réalité.
Le jeu prendra en compte le PLU ? Vous ne craignez pas que ce soit trop technique ?
La notion de PLU a l’air technique pour un novice, mais le joueur comprendra assez naturellement. Si je suis architecte et que je propose une tour en acier en plein milieu des Champs-Elysées, ça semble normal qu’il y ait des résistances. Ce sont des règles de gameplay comme il en existe dans tous les jeux. Après on va simplifier pour que ce soit compréhensible pour le joueur, il y a des finesses qui ne sont pas amusantes. D’ailleurs ça ne s’adresse pas aux architectes, ça reste un jeu vidéo, ce n’est pas un serious game (jeux éducatif). On n’a aucune vocation à apprendre quoi que ce soit aux joueurs et je ne souhaite pas qu’ils deviennent des urbanistes en herbes. L’idée est de donner un terrain de jeu aux joueurs.
La ville est souvent statique ou inerte dans les city builder, comment la rendez-vous vivante ?
Nous avons reproduit la vie urbaine, les piétons, les véhicules, les saisons, l’environnement… Quand le joueur va pousser un index, tout cela va réagir. Chaque action est à la fois positive et négative donc il faut trouver l’équilibre et jouer sur les différents curseurs. Le défi c’est de trouver des solutions durables. Le durable, c’est l’équilibre. Il n’est pas impossible que le joueur fasse face à des crises, des événements violents qui pousseront le joueur à prendre des mesures drastiques. Et la pression démographique sera permanente. On n’était pas loin de l’insurrection il y a quelques semaines. Les gilets jaunes sont dans la continuité de ce sentiment de déséquilibre, d’inégalité permanente. La société doit changer sa manière de fonctionner.
Vous pensez que la ville a un rôle à jouer dans la réduction des inégalités ?
C’est évident. On l’a bien vu avec les gilets jaunes, ils peuvent aller sur les ronds-points, dans certains endroits de Paris, mais surtout pas sur les Champs-Élysées. Il y a donc des quartiers qui sont privatisés dans lesquels on n’a pas le droit de faire des choses. Je pense que c’est une vraie problématique. Est-ce que la ville va devenir privée ? Google est devenu un acteur majeur de la ville aujourd’hui. Il est dans les poches de tout le monde, tout le monde l’utilise pour se déplacer, il a pouvoir de vie ou de mort sur un restaurant… Google a plus de pouvoir que Jean-Louis Missika à mon avis. Il est capable de dessiner l’urbanisme de manière beaucoup plus forte que la mairie de Paris. Si demain ils décident que tel quartier est chic et qu’ils y mettent des super notes, vous allez voir les prix monter. Et la mairie ne pourra rien faire. C’est ce que fait déjà Airbnb. L’urbanisme est en train d’échapper au public au profit du privé. Le rapport à l’espace est complètement biaisé et pour un urbaniste c’est très intéressant. À ce rythme, Paris finira par craquer à mon avis.
De quelle manière The Architect : Paris prend part à ces enjeux ?
Je considère que notre jeu vidéo construit le récit. Il se trouve que j’ai lu le dernier livre de Cyril Dion qui est sorti cet été (Petit manuel de résistance contemporaine, Actes sud, 2018). C’est assez violent, ça se rapproche des catastrophistes, mais ça a beaucoup nourri ma réflexion. Pour lui, le problème est que l’écologie ne se soit pas construite sur un récit. Parce qu’en face de nous, cela fait quarante ans voire plus que les libéraux construisent un récit. C’est très intéressant de voir les choses comme ça. Depuis des décennies on nous apprend ce que si on n’a pas du pouvoir d’achat on n’est pas heureux. Ce que dit Dion c’est que tant qu’on ne fera pas d’effort pour construire un contre discours, on perdra face à la force de leur discours.
Quand la Warner fait un film de super-héros, elle ne dit pas que c’est de la propagande. Mais la propagande libérale blanche WASP est là, au travers des schémas narratifs, de la vision que ça véhicule. Ces gens ont inondé la culture. Je veux faire pareil avec mon jeu vidéo. J’adore le jeu vidéo mais il est dans le mainstream absolu. C’est pour ça que j’ai contacté Cyril Dion, pour avoir son soutien. Il n’a pas donné suite, mais je considère que notre jeu vidéo construit le récit. Une petite brique au même titre que d’autres petites briques. Voilà mon objectif : construire un discours autour d’un jeu vidéo qui n’est pas traditionnellement un outil de lutte sociale.
Vos réactions
Le projet communiquerait donc encore ? Car sur le site The Architect : Paris, on a encore les vœux pour 2018…
Pas mal de monde qui attendait au moins une bêta commence à penser que ce n’est qu’un vaporware, car Enodo Games ne parle pas du tout de ce projet.
Je suis très déçu par ce manque de communication, et encore plus de tomber sur cette interview alor qu’aucune information ne nous est parvenue depuis longtemps, ni par mail, ni sur les réseaux.
PhilH
On est déjà le 18 février 2020… Ça fait longtemps que j’attends le moindre signe de vie.