Télétravail : la fin des quartiers tout bureaux ?
Avec la période de confinement et de distanciation physique que nous venons de vivre, les pratiques de télétravail se sont largement diffusées et sont même devenues le quotidien de beaucoup de citadins.
Nouvelles habitudes de déplacements, autre approche de l’espace de travail, le télétravail implique de nombreux changements dans la vie des urbains. Et si demain, les quartiers tout bureaux venaient à disparaître ? C’est la question que nombreux se posent. Mais plus précisément, quel est l’avenir de l’immobilier tertiaire et à quoi vont ressembler les quartiers d’affaires de demain ?
Le futur n’a jamais été aussi imprévisible. Cela questionne l’essence même de l’architecture : la permanence dans le temps de l’objet construit et son obsolescence.
Comme le résume justement Raphaël Ménard, directeur d’Arep, dans une interview de Bruno Monier-Vinard, prédire la future organisation de nos villes, dans cette période de crise sanitaire et climatique, est un exercice difficile et hasardeux. Malgré l’incertitude et la complexité de se projeter aujourd’hui dans ce monde d’après, il est tout de même nécessaire de réfléchir collectivement à de nouveaux modes de vivre, d’habiter et de travailler.
La période de confinement que nous avons vécue nous a en réalité déjà propulsés dans le futur et a notamment fait évoluer de manière très importante et inédite nos modes de travail. Grégoire de la Ferté, directeur général adjoint bureaux IDF chez CBRE, assure en effet qu’en temps normal, cette nouvelle organisation de travail aurait dû mettre 5 à 7 ans avant d’être durablement mise en place et effective. Pendant le confinement, ce sont près de 5 millions de salariés qui ont modifié leurs habitudes et opté pour le télétravail. Pourtant aujourd’hui, la région Ile-de-France comptabilise à elle seule 54,5 millions de m² de bureaux. Alors quels seront les bureaux de demain ? Se dirige t-on vers un profond changement des méthodes de travail et par conséquent de l’organisation de nos villes ? Comment nos territoires vont-ils muter afin de s’adapter à l’évolution des usages ?
Les dynamiques spatiales du travail en ville
À l’origine, les quartiers d’affaires étaient en fait les places de marché au sein desquelles commerçants, agriculteurs et consommateurs se rencontraient au centre de la “cité” pour marchander. L’urbanisation des territoires a progressivement fait évoluer leur fonction pour devenir, à partir du XXème siècle, des centres urbains commerciaux et financiers. Aujourd’hui de prestigieux quartiers d’affaires structurent les villes du monde entier et participent grandement à leur dynamisme à l’international. La densification et l’architecture verticale qui façonnent ces quartiers permettent de centraliser les fonctions commerciales et financières d’un territoire et de ce fait, de renforcer considérablement leur rayonnement.
Classé quatrième quartier d’affaires le plus attractif au monde, La Défense a la particularité de ne pas être un quartier de centre-ville, contrairement au QCA de Paris, à la City de Londres ou au Midtown de New York. Développé dans les années 1960, La Défense comptabilise 3,6 millions de m² de bureaux, 400 entreprises et près de 160 000 salariés. Quelles dynamiques urbaines ces quartiers de bureaux engendrent-ils ?
Bien que ce modèle de quartier d’affaires ait l’avantage de regrouper des bureaux à un même endroit et par conséquent de permettre la mutualisation de certains moyens ou la création d’aménagements pratiques et durables comme des pôles de déplacements multimodaux, ils peuvent également avoir un impact plus problématique sur nos villes, notamment en termes de mobilité. Ce serait près de 16,7 millions de français qui changeraient quotidiennement de commune pour aller de leur lieu de résidence à leur lieu de travail. Ce type de déplacements domicile-travail, qu’on appelle en urbanisme la mobilité pendulaire, participent à dessiner et à structurer nos territoires. Ils produisent de l’hypermobilité et entraînent inévitablement des problématiques de congestion du trafic automobile et de pollution de l’air en ville.
Pendant la période de confinement, le déploiement massif du recours au télétravail, du moins pour toutes les personnes dont l’activité professionnelle nécessite habituellement un bureau, a chamboulé cette organisation spatiale et modale de manière inédite. Et cette période a notamment mis en lumière, de manière positive comme négative, les enjeux que concentrent les quartiers tout bureaux. D’une part, l’arrêt soudain et à grande échelle de la mobilité pendulaire d’une partie de la population a permis de limiter la propagation de l’épidémie, de modifier le rythme de vie, souvent effréné, des urbains et d’assister à une baisse significative de la pollution atmosphérique. D’autre part, cette situation sans précédent a également montré les limites des quartiers d’affaires monofonctionnels, qui ont été désertés et qui ont révélé un usage très limité à leur simple fonction professionnelle.
Visions prospective du “future of work”
Le fait que des quartiers tout entiers se soient presque totalement éteints pendant la période de confinement entraîne nécessairement remises en question et réflexions prospectives de la part des professionnels de la fabrique urbaine. Comment participer à répondre aux enjeux liés aux crises sociales, sanitaires et climatiques actuelles, par l’aménagement du territoire ? De quelle manière la problématique du travail urbain peut-elle enrichir les réflexions sur les villes durables de demain ?
Il est encore trop tôt pour tirer des solides conclusions sur ce que nous avons vécu et ce que nous devons changer dans la manière d’aménager nos villes. Certaines études tendent à affirmer que le télétravail est le “future of work” et qu’il va massivement se développer dans les années à venir. D’autres assurent que les salariés commencent d’ores et déjà à se lasser de ce mode de travail qui ne leur correspond pas. Ce que nous pouvons par conséquent envisager, c’est que les villes de demain seront des territoires au sein desquels l’aménagement des quartiers de bureaux sera repensé, tout comme de bonnes conditions pour le télétravail seront assurées. C’est finalement la combinaison durable des deux modes de travail qui permettra à nos villes de trouver un équilibre intéressant et pérenne.
Dans un premier temps, les professionnels de la fabrique urbaine doivent mener une réflexion sur la reconfiguration des espaces de travail. Avec les conséquences de la crise sanitaire et les nouvelles mesures gouvernementales, notamment la distanciation sociale, il faut par exemple repenser la densité du bureau. “
C’est sûr qu’il sera difficile à l’avenir de conserver des bureaux privilégiant la densité et où nous nous retrouvons collés les uns aux autres. L’idée c’est d’avoir moins de monde au bureau et plus de m² par salarié grâce à des espaces agiles et reconfigurables
affirme Rémi Calvayrac, spécialiste en immobilier d’entreprise, dans une interview de Guillaume Errard. De même pour répondre aux enjeux de la crise climatique que nous sommes en train de vivre, il est dès aujourd’hui essentiel, et le sera d’autant plus demain, d’intégrer pleinement les problématiques liées à la production et à la consommation d’énergie propre, ainsi que le développement d’îlots de fraîcheur urbains dans les nouvelles constructions. Pour aller plus loin, et pour accompagner durablement l’évolution de nos modes de vie, les bâtiments de bureaux de demain pourraient également intégrer une forme de réversibilité. L’architecte Nicolas Laisné affirme d’ailleurs que
L’immobilier doit accompagner nos modes de vie. Or ceux-ci changent aujourd’hui très vite.
Le deuxième grand enjeu que concentre la question du futur des bureaux en ville est la programmation. Aujourd’hui les quartiers tout bureaux ont presque tous exclusivement une fonction professionnelle et sont de ce fait fortement déconnectés de la ville ou du quartier. Aujourd’hui le quartier ou le bâtiment 100% bureaux ne peut plus se développer durablement. Il est nécessaire d’intégrer une mixité programmatique et fonctionnelle à l’immobilier tertiaire, de concevoir des quartiers mixtes, de créer des bureaux ouverts sur leur quartier et en interaction avec les riverains, les habitants, les passants. Comme l’assure Jacques Perpère, secrétaire général de l’Association des Directeurs Immobiliers :
Les salariés auront une exigence de qualité de vie dans l’expérience de travail. Nous constatons que cette qualité de vie s’obtient par l’imbrication de l’entreprise dans la ville.
À ce sujet, des réflexions sont en cours, mais la réglementation urbaine est encore trop restrictive pour assurer par exemple une mixité programmatique ailleurs qu’en rez-de-chaussée des immeubles.
Pourtant l’innovation urbaine se développe rapidement. Dans le secteur de l’habitat, de nombreux projets d’habitat participatif, de co-living, de services type conciergerie partagée, émergent partout en France. L’innovation dans l’immobilier de bureaux est moins visible, en tout cas sur la question des usages. Bien que de nouvelles manières de travailler se développent depuis quelques années comme les espaces de co-working Wojo ou WeWork qui permettent de faire évoluer l’environnement traditionnel de travail.
Finalement ne serait-ce pas la fonction du bureau lui-même qu’il faut repenser, avant d’élaborer une réflexion sur l’évolution de l’aménagement urbain ? Pourquoi allons nous au bureau ? Quelle plus value nous apporte t-il dans notre vie professionnelle ? Le confinement a mis en évidence un fait : le bureau est important pour maintenir le lien social et pour pérenniser l’esprit d’équipe entre collaborateurs. Demain, le bureau pourrait ainsi ne plus avoir pour fonction principale, celle de travailler. Demain, le bureau pourrait devenir un lieu d’inspiration, de création, de rencontres. Pour créer un équilibre durable avec le télétravail, le bureau devra demain s’enrichir d’une plus value que l’on ne peut trouver chez soi. Certains professionnels réfléchissent par exemple au futur rôle des sièges sociaux dans la ville de demain. “Dans une entreprise où le télétravail est la norme, le siège social a le même rôle que le concept store pour les enseignes 100% web : il est une incarnation de la plateforme de marque, une matérialisation du marketing employeur. Il est d’abord porteur de symboles.” écrit Sébastien Rocq. Le bureau en ville de demain, au sein du siège social, pourrait en fait devenir, plus qu’un espace de travail personnel, un lieu où l’intelligence collective, la collaboration et la co-innovation sont stimulées et vivement pratiquées !