Starbucks, fossoyeur de la ville ?

6 Sep 2013

À Londres, Paris, New York ou Bangkok, on retrouve les mêmes banques, les mêmes cafés et les mêmes enseignes alimentaires. Une conséquence de la mondialisation économique et des nouveaux flux de population, qui tend à uniformiser le visage des grandes capitales mondiales. Le temps est-il venu de «démondialiser» les mégapoles ?

« Nous avons changé la façon dont les gens vivent leur vie. » Tel est le constat, un brin prétentieux, établi par Orin Smith, l’ancien PDG de Starbucks. Mais remplacez dans sa phrase le mot « vie » par celui de « ville » et le constat demeure tout aussi pertinent. Au même titre que Mc Donald’s, la multinationale grignote l’espace urbain au point d’en transformer l’aspect. Chaque semaine, plus de 50 millions de personnes s’arrêtent dans l’un des 20 000 cafés Starbucks déjà ouverts sur les cinq continents. À moins de vivre au Groënland ou de passer ses vacances en Papouasie, impossible pour les habitants des grandes villes et les touristes de ne pas apercevoir, en centre-ville, le célèbre logo vert à la sirène.

Mondialisation = uniformisation ?

Face à l’ampleur de la controverse, Starbucks a finalement décidé en 2007 de fermer le café ouvert depuis 2000 dans la Cité.Interdite de Pékin. ©David K K / Flickr

Dans un premier temps, Starbucks était la cible favorite des altermondialistes, qui voient en elle le symbole du capitalisme triomphant. Mais ces dernières années, les critiques qui s’abattent sur l’enseigne ont largement dépassé le cadre militant. À force d’étendre ses tentacules un peu partout, la pieuvre Starbucks a fini par se faire de nouveaux ennemis. Emblème de la mondialisation, elle tend ainsi à devenir également celui de l’uniformisation des villes. Comme Mc Donald’s et Ikea, elle est critiquée parce qu’elle impose ses standards de vie partout dans le monde : c’est le même café pour tous, le même menu pour tous, le même lit pour tous. Et donc, en creux, la même ville pour tous.
Bien sûr, pour les voyageurs, les cafés Starbucks constituent des points de repères pratiques et rassurants, petits îlots de confort en territoire inconnu où l’on aime pouvoir se réfugier. Mais l’extension du domaine de la sirène va de pair avec la disparition despetits bistrots de quartier. Dans certaines villes américaines, on compte même plusieurs Starbucks sur chaque trottoir d’une même rue… Une omniprésence qui tend à déshumaniser les villes. L’espace urbain devient alors un parc commercial, un hall d’aéroport standardisé et duplicable partout dans le monde, sans réflexion préalable sur la culture ou l’identité d’un quartier.

Le temps des « paquebots urbains »

Le succès des cafés Starbucks est tel que la marque a même désormais sa déclinaison en Lego. ©keiichirou shikano / Flickr

Starbucks et Mc Donald’s ne sont pas les seuls responsables de l’uniformisation des mégapoles. La finance a également un impact sur les formes urbaines, notamment à travers ses investissements dans la construction de mégacentres abritant toutes sortes d’activités : « L’introduction d’une nouvelle ingénierie juridique et financière dans le montage des opérations urbaines donne naissance à desproduits nouveaux, sorte de « paquebots urbains » que l’on peut définir comme des objets hypertechniques, intégrés et multifonctionnels. Ils correspondent à une modernité globale, car ce sont des édifices détachés dulieu, ils pourraient être implantés dans n’importe quelle ville au monde », écrit ainsi le socio-économiste Dominique Lorrain, directeur de recherche au CNRS*.

« City branding » : se distinguer à tout prix

Le succès des cafés Starbucks est tel que la marque a même désormais sa déclinaison en Lego. ©Loozrboy / Flickr

Si toutes les villes se ressemblent, comment les distinguer ? Comment une ville peut-elle rester attractive si elle apparaît comme le clone de sa voisine ? Réponse : grâce au « city branding », une forme de marketing territorial qui consiste à faire d’une ville ou d’un territoire « une chose et une histoire belles et désirables pour ceux qui y vivent et pour ceux qu’on souhaite séduire », comme l’écrit Benoît Meyronin, auteur de Marketing Territorial – Enjeux et Pratiques (Vuibert, 2012). Pour continuer d’attirer touristes et investisseurs, les villes cherchent à se distinguer à tout prix grace au « storytelling ». Elles « se rêvent uniques », comme l’écrivait Le Monde dans un article paru en décembre 2012. Et ce au risque de finir… par toutes se ressembler. Les unes misent sur leur capital culturel et jouent la carte de l’économie créative, quand d’autres parient plutôt sur le développement durable pour verdir leur image. D’autres encoremisent sur la science et les grandes écoles pour attirer les cerveaux. Mais au final, les recettes du marketing territorial sont assez limitées et presqueaussi uniformes que l’apparence de certains centre-villes.

Les citadins, détenteurs de l’âme urbaine

L’identité urbaine passe, bien entendu, par le patrimoine architectural. Ce dernier est donc directement menacé par l’extension continue de l’espace dévolu aux grandes enseignes commerciales. Pour autant, l’identité d’une ville ne ne résume pas à la nature des façades. Elle tient aussi au profil culturel et sociologique de celles et ceux qui y vivent et qui la façonnent, jour après jour. À travers leur culture, leur langue et leurs comportements, les citadins sont les vrais détenteurs de l’âme urbaine. Ce sont eux qui s’approprient la ville, qui valident, brisent ou transforment les modèles qu’on tente de leur imposer.
La vitesse et la richesse deséchanges est désormais telle qu’il est désormais impensable de « démondialiser » l’espace urbain. La ville d’antan où il faisaitsoi-disant bon vivre est une chimère derrière laquelle il ne sert à rien decourir. À l’heure de la mondialisation, la ville apparaît comme ce lieu d’hybridité propice à la rencontre et au mélange des cultures. Et plus encore qu’hier, elle doit savoir préserver et valoriser ces identités multiples pour leur permettre de s’exprimer. Car l’identité d’une ville n’est pas un concept marketing destiné à séduire les investisseurs mais bien plutôt le produit d’un héritage historique et culturel.

*« La main discrète. La finance globalisée dans la ville », Revue française de science politique, juin 2011, vol.61.

Des enseignes comme Starbucks et Mc Donald’s constituent-elles une menace pour l’identité des villes ?

Usbek & Rica
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Vos réactions

Nether
16 septembre 2013

Bonjour,
Présidente d’une association qui a permis le classement en secteur sauvegardé (le premier de France, le Vieux-Lyon) et qui fut à l’origine il y a 15 ans du classmeent au Patrimoine Mondial de l’Unesco du Site Historique de Lyon, j’ai été très sensible à votre conclusion :
« l’identité d’une ville n’est pas un concept marketing destiné à séduire les investisseurs mais bien plutôt le produit d’un héritage historique et culturel ».

A l’échelle d’un quartier il en va de même J’ajouterai il est aussi le fruit de ce que ce que veulent en faire ceux qui LE vivent : utilsitateurs, (l’économique), l’haitant (le social) et ceux qui la pensent (le politique/urbanisme).

Il n’est de vrai quartier de ville que lorsque le meilleur consensus peut-être trouvé.

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