Les services urbains nomades et éphémères : une tendance remise au goût du jour !
Alors que la société change à une vitesse inégalée, que les besoins des habitants se diversifient et que la consommation mondiale est en plein boom, les commerces et les services urbains sont amenés à innover pour répondre à une demande toujours plus diversifiée. Parmi eux, différents services nomades et éphémères, circulent désormais dans les villes, entraînant alors une transformation de ces dernières. De la librairie mobile aux marchés urbains, cette nouvelle tendance nomade peut prendre diverses formes et répondre à des besoins variés, selon les besoins d’un lieu, à un moment donné.
Mais alors quel est l’intérêt et l’impact de ces nouveaux services dans l’espace public ? En quoi peuvent-ils être une solution pour redonner vie à certains quartiers ? Cette réponse atypique présente-t-elle aussi des limites ?
Les marchés, une première forme de service nomade et éphémère ?
Nomades et éphémères, les marchés sont nés avec les villes, devenant le lieu privilégié où l’on commerce différentes denrées. Il s’agit d’un espace où des producteurs locaux apportent en ville les denrées produites à l’extérieur de celle-ci. Temporaires, ils marquent l’espace urbain en créant une animation attractive qui fédère. C’est au début du 19ème siècle, que les marchés se développent fortement, connectant les centres urbains aux ceintures maraîchères et apportant ainsi les aliments frais au cœur de la ville. Les marchés évoluent alors avec l’histoire des villes, s’implantant là où ils peuvent sur les places publiques et autres espaces vides en ville. Mobiles et évolutifs, ils rythment les saisons, les semaines, créant une identité de quartier, un lieu où venir rencontrer les producteurs locaux de son territoire et créer des liens avec les habitants de son quartier.
Leur histoire est néanmoins plus lointaine, car au moyen-âge, ils sont accompagnés de foires de plusieurs jours qui attirent des commerçants de toute l’Europe, ce qui donne la possibilité aux habitants des villes d’avoir accès à tout un ensemble de produits inédits. Lors de celles-ci, la population doublait dans les espaces urbains, durant toute la durée de l’événement et ces festivités pouvaient être accompagnées de nombreuses animations.
Bien qu’ils apparaissent le matin, disparaissent en début d’après midi, les marchés marquent aujourd’hui une temporalité éphémère, créant le temps d’une demi-journée une animation urbaine unique. Le marché anime ainsi le quartier par des interactions riches qui mêlent des publics très divers. Une répercussion a pu être importante puisque certains de ces marchés éphémères ont amorcé la création de nouveaux quartiers, comme cela a pu être le cas au Moyen-Âge à Paris lors du déménagement du marché de l’Île de la Cité près du Grand Pont en bord de Seine, qui engendra la création d’un nouveau quartier.
D’ailleurs, les marchés prennent aussi différentes formes, se spécialisant selon leur type d’activité, avec des marchés aux bestiaux, des marchés de tissus, d’autres à la criée. Cela marque l’identité de certains quartiers, et certains d’entre-eux finalement s’ancre dans leur territoire, à tel point qu’ils se formalisent et deviennent couverts. Leur aspect nomade et éphémère disparaît alors pour laisser place à un lieu inscrit dans la ville, tout en gardant néanmoins sa fonction et son âme.
Prémisses d’un modèle éphémère, les marchés témoignent de la flexibilité du nomadisme que permet la ville et de l’importance que peut revêtir l’éphémère dans l’espace urbain.
Des services de proximité aux services atypiques
Alors que l’itinérance des commerces, notamment dans l’alimentation, se multiplie dans les espaces publics, de nouveaux mobiliers mobiles apparaissent aujourd’hui pour répondre à d’autres besoins émergents.
Plusieurs raisons peuvent expliquer la naissance de ces services atypiques.
Pour l’une d’entre elles, il s’agit de redonner un accès facilité aux services de proximité dans des endroits isolés. C’est le cas de certaines initiatives comme les librairies ambulantes de “The Uni Project”, co-fondé par Leslie Davol et Sam Davol en 2011, qui apparaissent depuis, dans l’espace public de divers quartiers de la ville de New York en ayant pour objectif d’apporter des opportunités d’apprentissage et de lecture dans toute la ville. La coccinelle partagée, une bicyclette dite partagée imaginé par LUO Studio propose un projet similaire à Pékin avec une bibliothèque cachée sous les ailes d’une coccinelle installée sur tricycle, facilitant encore la mobilité de l’infrastructure.
Dans certains pays du Sud, ces services sont particulièrement utiles et des initiatives naissent pour proposer des cours aux enfants vivant dans les quartiers les plus défavorisés. C’est ce que propose la Dynamic Teen Company à Cavite City, une petite ville à quelques kilomètres de Manille, une équipe de jeunes adolescents ont monté une initiative pour apporter l’éducation dans les bidonvilles à l’aide d’une charrette, ”Caritons”, communément utilisée pour la vente de biens dans les espaces publics. En Inde, c’est un train ambulant qui a été transformé intégralement en hôpital ambulant pour aller à la rencontre des populations les plus démunies du pays. Actif depuis 1991, sillonne les routes de l’Inde depuis 1991. Il prodigue des soins gratuits pour les plus démunis. En France, la Communauté de Communes Thiérache Sambre & Oise a mis en place un service public de santé également itinérant sous la forme d’un camping car qui va à la rencontre des patients en milieu rural.
D’autres services nomades moins substantiels se développent également dans les pays développés. C’est le cas des musées comme les ateliers nomades du quai Branly qui se sont développés depuis 2013 à Paris. Ces derniers proposent des évènements variés dans l’espace public comme des ateliers, des conférences, des expositions ou encore des soirées festives. L’objectif de cette initiative est de rapprocher l’offre culturelle du musée des habitants. Dans le secteur de l’alimentation, les boulangeries deviennent aussi nomades. Les cinéma peuvent également être itinérants pour se dévoiler en plein air dans les espaces publics et inviter le passant à profiter d’un film. Ces services itinérants culturels permettent aussi d’apporter de l’animation dans les villages. C’est ce que propose le Cinéma Solaire en période estivale. Ce cinéma ambulant se caractérise par un camion doté de panneaux photovoltaïques permettant d’alimenter un écran pour des séances de cinéma en plein air et qui s’installe dans une quinzaine de villages et investit également les festivals.
Des commerces itinérants atypiques apparaissent également, pour répondre à des besoins spécifiques dans des lieux où l’offre est limitée, comme c’est par exemple le cas des “Tartines Itinérantes” à Mecquignies. Ce commerce nomade sillonne les routes de France et investit les marchés et les places de villages du nord de la France, entre Lille et l’Avesnois, pour vendre du pain au levain biologique fabriqué de façon traditionnelle et au feu de bois. Il s’agit aussi d’installer des stands dans les festivals pour vendre des tartines garnies, mais aussi d’aller plus loin par la transmission d’un savoir-faire par des rencontres, des ateliers et des formations.
Ces projets atypiques permettent donc d’animer la ville : ils incitent à déambuler et donnent une belle occasion de sortir dans l’espace public. Ils vont à la rencontre des curieux, de ceux qui ne s’attendent pas à leur présence surprise. Les services éphémères peuvent ainsi se révéler comme les ingrédients d’une recette citoyenne visant à compenser ou pallier temporairement un manque dans la ville.
Quelle évolution et quelle place dans la ville ?
Cette pratique urbaine d’occupation par des services éphémères questionne la place qui leur est attribuée dans les espaces publics. Entre développement accéléré de ces derniers dans certains pays, engendré par le manque d’infrastructures et/ou de services, et émergence de nouvelles formes de mobilier éphémères et itinérants dans différentes villes, leur existence est plus ou moins tolérée et leur apparition plus ou moins facilitée.
Dans les pays en développement, ce type de nomadisme éphémère et de commerces ambulants ont souvent été tolérés et leur nombre a pu dans certaines villes se multiplier et même devenir envahissant pour l’espace public. L’émergence de ces aménagements temporaires dans les pays plus développés y est ainsi plus cadrée, voire limitée. Ainsi, les foodtrucks n’occupent que des emplacements spécifiques dans la ville en échange d’une location, comme c’est par exemple le cas pour les foodtrucks qui occupent le parvis du cinéma MK2 de Bibliothèque François Mitterrand à Paris. Parfois même, ils n’occupent des espaces qu’à des horaires aménagés, comme pour les camions de pizzas présents les midis dans les zones de bureaux en manque de restaurants. Cet état de fait interroge donc sur les différentes façons d’intégrer ces nouveaux modes de vie dans l’espace public, surtout lorsqu’ils contribuent à les animer.
C’est justement en réponse à cette volonté de tendre vers un aménagement statique que l’urbanisme transitoire et éphémère s’est développé et s’est ainsi, d’une certaine manière, formalisé dans nos villes. Des espaces temporairement inoccupés prennent alors vie pour sauvegarder l’animation d’un quartier. Parmi les exemples, des projets en attente d’une nouvelle construction qui accueille toute type d’animation, ou bien même des concept-stores éphémères qui proposent un mélange de services tel que Connect Paris, mêlant high tech et pop culture, Super Shop entre boutique, atelier et showroom, ou encore Aujourd’hui Demain qui regroupe livres, épicerie, vêtements ou cosmétiques. On invite les créateurs à exposer leur produit pour un temps donné.
Ces boutiques éphémères sont également une inspiration pour accompagner la revitalisation des espaces commerciaux des centres-villes en “déperdition”. Parmi celles-ci, “Ma Boutique à l’essai” a été une des mesures mises en place à Barbezieux-Saint-Hilaire, commune de 4 500 habitants, dont les commerces peuvent toucher de 20 000 à 80 000 habitants, si on élargit le périmètre. Ainsi, dans le cadre d’un programme de revitalisation, l’ouverture de ces commerces consiste à offrir un loyer à un tarif préférentiel avec des services administratifs comme de la comptabilité, des services bancaires ou encore d’assurance, et cela à titre gratuit ou bien à un tarif réduit. Pour diversifier l’offre commerciale, la commune a misé sur des boutiques à vocation éphémère, permettant aux porteurs de projet de tester leurs activités pendant quelques semaines dans la commune. Sept boutiques ont ouvert en 2016 avec un artisan chocolatier qui a prolongé son bail et s’est finalement installé dans la ville, ou encore une boutique de vêtements pour hommes qui a également pérennisé son activité.
Plus largement, des services et de l’animation sont aujourd’hui proposés sous la forme d’un urbanisme dit “transitoire”. Afin de pallier à une vacance temporaire, il s’agit d’apporter un calendrier d’activités, des services éphémères pour éviter l’inactivité sur une partie d’un quartier. C’est ce que propose des associations comme Yes We Camp ou des coopératives telles que Plateau Urbain avec des projets comme Igor dans le 18ème arrondissement de Paris, ouvert depuis juin 2018 jusqu’à juin 2020, ou encore Coco Velten à Marseille ouvert depuis décembre 2018 jusqu’à décembre 2021.
Ainsi l’offre de services éphémères joue un rôle particulier sur la planification d’une ville et sa dynamisation. Ils influent également sur la temporalité en participant à la création de rythmes urbains. Cet urbanisme transitoire peut donc permettre un urbanisme éphémère qui participe à varier les ambiances sur un site et animer un quartier tout en proposant des services qui permettent de répondre à un besoin spécifique, à un moment donné, et qui permettent aux acteurs de la ville, aux habitants et aux commerçants d’y trouver leur compte. Cet urbanisme éphémère est aussi l’opportunité de tester différentes expériences, à l’image des Parkings Days qui proposent différentes installations éphémères sur des places de parking pour imaginer un espace public sans voiture et de nouveaux usages, ou encore les constructions innovantes de Bellastock qui chaque été innove et imagine de nouvelles manières de bâtir ou habiter. On peut penser aussi aux différentes installations de loisirs en été, comme Paris Plage ou de baignades urbaines, venant transformer les berges des villes pour leur donner un aspect plus récréatif offrant des services estivaux aux habitants.
Alors que les espaces urbains connaissent depuis longtemps les services itinérants, et cela sous différentes formes, des traditionnels marchés aux concepts plus atypiques, ces derniers connaissent aujourd’hui un renouveau en prenant des formes innovantes et en touchant de nouveaux secteurs pour répondre à une demande de plus en plus diversifiée. Une tendance révélatrice d’un besoin de flexibilité de l’espace urbain.
Bien qu’ils se développent aux quatre coins du monde et constituent un atout pour le développement des villes, leur place dans les espaces urbains n’est pas toujours facilitée, notamment à cause d’aménagements inadaptés, ce qui questionne leur devenir. L’urbanisme éphémère pourrait permettre de leur donner plus de place, notamment en intégrant de manière davantage systématique cette forme de service. Ces modèles nomades et éphémères pourraient ainsi répondre toujours plus à des logiques de proximité, s’intégrant dans un renouveau des espaces publics essentiel à notre urbanité. Demain, nos villes deviendront alors très certainement plus modulables et accueillantes grâce à l’éphémère et au nomadisme urbain, pour des espaces publics toujours plus animés et créatifs.