Sensibiliser à la ville – L’école d’architecture pour enfants
Depuis 1981, le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) défend une vision démocratique de l’architecture. Il dispense notamment des cours d’architecture pour enfants, afin de leur permettre de se reconnaître comme acteurs et usagers de leur cadre de vie. Un peu d’architecture dans vos devoirs de vacances ? Discussion avec la responsable de l’École d’Architecture pour Enfants, Stéphanie Cauchi.
Comment est née l’école d’architecture pour enfant ?
En 1977, la loi sur l’architecture a créé les Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE), qui sont des associations départementales. Elles ont comme mission de sensibiliser et de conseiller le grand public en architecture et en urbanisme, mais aussi les collectivités territoriales lorsqu’elles en ont besoin pour leur différents projets d’aménagement. Il y a 17 ans, sous l’impulsion du président de l’époque Pierre Mansat, le CAUE de Paris a décidé de renforcer son action pédagogique, notamment auprès des jeunes. Cela s’est fait d’abord dans les écoles, puis progressivement sur le temps extra-scolaire pour toucher aussi des enfants qui étaient sensibles à l’architecture (parce qu’ils ont des parents architectes, qu’ils aiment le dessin ou les Kapla…). C’est comme ça qu’en 2012, nous avons créé l’École d’Architecture pour Enfants. On s’est inspiré d’un projet finlandais équivalent qui s’appelle Arkki, c’est la première et la seule école d’architecture pour enfants en France.
Comment cela fonctionne ?
On propose à plusieurs groupes d’enfants classés par tranche d’âge de 6 à 18 ans de venir toutes les semaines pendant un an et d’avoir une sensibilisation à l’architecture. On aborde différentes thématiques en adaptant la complexité à l’âge. C’est un peu le même principe qu’un conservatoire de musique, les enfants s’inscrivent à l’année et on leur fournit une culture de la ville et de l’architecture, des connaissances historiques et techniques. Nos bureaux sont au niveau du pavillon de l’Arsenal, on peut les emmener se balader, voir des expositions et surtout on leur fait faire des projets comme quand on est en école d’architecture. On propose aussi des stages pendant les vacances scolaires.
C’est un peu une prépa aux écoles d’architecture ?
Non ce n’est pas une prépa aux écoles d’architecture, on ne veut pas former des architectes. La loi de 1977 déclare que « l’architecture est une expression de la culture », c’est une mission d’intérêt public. Il s’agit d’apporter une culture : qu’ils regardent différemment leur environnement, qu’ils aient envie de participer au développement de leur quartier plus tard, à la vie de leur commune et qu’ils soient sensibles à ce qui les entoure. C’est un enjeu de citoyenneté quelque part. On leur demande beaucoup leur avis, on leur transmet des outils qui vont leur permettre de donner leur avis, de participer et de comprendre comment fonctionne la ville. Alors forcément, certains élèves à l’approche du bac ont pour objectif d’entrer dans une école d’architecture, mais on ne fait pas le programme en fonction des écoles. Chez nous, les élèves ont déjà fait des meubles en bois, ils ont travaillé le plâtre, ils font de l’urbanisme… tout ça n’est pas au programme de la première année en école d’architecture.
Cela ne vous empêche de leur transmettre des compétences assez spécifiques…
Oui, à la fin de l’année même les 6-8 ans savent faire une maquette, dessiner un plan ou faire une coupe. On leur transmet ces outils là. C’est important de ne pas se contenter d’un cours théorique mais de leur transmettre aussi des compétences techniques et de les mettre en pratique dans la rue ou à l’atelier.
Des exemples de projets sur lesquels vous avez travaillé ?
Avec les 15-18 ans, nous avons réalisé un travail approfondi autour d’une petite place, la place Henri Fiszbin qui dans le 19ème, juste à côté de l’école de Belleville (l’ENSAPB est partenaire de l’école d’architecture pour enfant) où on faisait les cours. Les jeunes ont réfléchi à l’amélioration de cet espace public, d’abord avec un diagnostic, puis des relevés, des observations le soir et le matin, puis des mises en scène dans l’espace. Nous avons organisé une rencontre avec les élus et les membres du conseil de quartier pour qu’ils soient confrontés aux besoins des habitants et à cette notion d’usage qui est primordiale dans l’espace public. Ils ont ensuite transmis des propositions à la mairie du 19ème. C’est un vrai travail d’enquête et de terrain qui leur permet de s’interroger et de trouver leur place dans la ville.
Cette année nous avons aussi expérimenté une nouvelle formule d’ateliers communs. Pendant 1h30, toutes les tranches d’âge travaillaient sur une consigne qui mettait en relation l’architecture avec une autre discipline. L’architecture et la musique, ou l’architecture pliée par exemple. Certains étaient un peu désemparés, mais cette approche artistique permet de travailler aussi l’imaginaire.
Quelle est votre approche pédagogique ?
L’équipe pédagogique se renouvelle fréquemment ce qui permet de changer les approches. Chacun peut apporter ses compétences et ses connaissances propres. Mais globalement l’enseignement se veut bienveillant et participatif. Je ne veux pas qu’il y ait de pression, de comparaison ou de compétition. Les enfants viennent là pour apprendre. Je veux que ce soit un moment de partage. On leur apprend à travailler individuellement, à deux ou par groupe, à faire des maquettes communes. Il n’y a aucune évaluation, aucune note. Je suis contre, ça peut les stresser. Alors que là, ils arrivent aux cours détendus, ils adorent et ils reviennent.
L’école veut démocratiser l’architecture aux plus jeunes, comment faîtes-vous pour toucher des familles plus défavorisées ? Il n’y a pas un effet d’entre-soi entre enfants d’architectes ?
Notre objectif était que ce soit ouvert à tous, du coup on a fait un système d’inscription en fonction du quotient familial. Ça permet aux personnes qui ont des revenus moindres de s’inscrire sans payer le prix maximum (405 €, et au minimum 225€). Ils peuvent aussi payer en plusieurs fois. Je pensais effectivement que j’aurais 80% d’enfants d’architectes et en fait pas du tout. À l’inscription je demande la profession des parents (ils sont libres de répondre ou non), et les réponses sont très variées. Dès le départ ça l’a été. Tous les milieux sociaux sont représentés et on accepte aussi des candidatures de banlieue, qui sortent en théorie de notre périmètre d’action.
Vous abordez des questions d’actualités ?
Oui bien sûr, en ce moment on leur parle par exemple des trottinettes et de l’encombrement de l’espace public pour qu’ils aient un regard un peu critique sur ce qu’ils voient. On parle aussi beaucoup de la question environnementale et à toutes les tranches d’âge. On fait des projets d’un trimestre sur la ville durable. Les 6-8 ans ont imaginé un éco-quartier et ont fait une immense maquette sur 12 séances. À chaque séance ils ont un livret avec les notions importantes de la séance : comment peut se concevoir un éco-quartier, la mixité du programme, les circulations douces, la végétalisation des façades, les différents matériaux…
La formule plaît, les élèves reviennent ?
50% des élèves se réinscrivent et 90% des lycéens sont des anciens élèves, je pense qu’on peut dire que la formule leur plaît, on a un vivier d’élèves qui reviennent, même si parfois ils sautent une année. Ça plaît aux parents aussi d’ailleurs. À la fin de l’année, j’organise une grande restitution où les enfants présentent ce qu’ils ont fait pendant l’année. Les parents sont là, les grands parents parfois, les animateurs et l’équipe du CAUE, tout le monde vient. C’est souvent à l’école de Belleville dans le grand amphithéâtre, les enfants adorent. Ça vient clore l’année de manière festive, avec un apéro et plein de bonbons.