Sécurité en ville : jusqu’où faut-il aller ?

Installées dans les années 90, suite à des attentats de l’Armée républicaine irlandaise, les caméras sont omniprésentes à Londres.
6 Fév 2019

Cambriolages, vols à main armée, attentats-suicides… et si l’aménagement urbain pouvait nous éviter toute cette insécurité urbaine, voire même ces drames ? Les violences en marge des manifestations médiatisées, les attaques terroristes, ou encore la recrudescence de la criminalité, l’insécurité en ville peut prendre plusieurs formes et la sécurité urbaine peut être appréhendée de diverses manières.

Les dispositifs anti-sdf se développent dans de plus en plus d’espaces publics

Les dispositifs anti-sdf se développent dans de plus en plus d’espaces publics

Quand Londres s’arme de caméras de surveillance pour mieux contrôler les violences urbaines, New York a réduit son taux d’homicides grâce à une politique judiciaire sévère. À Bogota en Colombie, le maire Enrique Peñalosa a contribué à réduire la violence menée par les trafiquants en concentrant sa politique sur la mobilité. À Medellín, c’est une politique de refondation sociale et d’équité qui a transformé la ville en seulement une décennie.

Mais face à ces politiques diversifiées, quelles sont les réponses les plus appropriées pour répondre au besoin de sécurité ? Est-il possible de prévenir l’insécurité en développant des alternatives à la répression ? L’état d’urgence mis en place depuis les attentats de Paris a transformé la ville, où la force est devenue maîtresse pour maintenir l’ordre. N’est-il pas temps de proposer une ville apaisée et équitable pour diminuer les violences urbaines ? Comment assurer à la fois sécurité et liberté aux citadins, tout en maintenant une urbanité optimale ?

Des mesures répressives qui posent question

Afin de tendre vers une ville plus apaisée, de très nombreuses villes ont ces dernières années, choisi de mettre en place des aménagements empêchant aux malfaiteurs de trouver un contexte propice à leurs méfaits. Ainsi, de nombreux concepteurs d’espaces publics ont pris soin d’éviter de laisser des coins isolés ou sombres qui pourraient servir d’embuscade. C’est ce que l’on appelle des aménagements de prévention situationnelle. Mais ce concept peut également viser un certain type de population. Par exemple, le mobilier urbain anti-SDF, quelle qu’en soit la forme, continue de se répandre dans les moindres espaces urbains. Les petites pièces métalliques vissées contre les rampes pratiquées par les skateurs semblent également être en vogue… Autrement appelé « urbanisme sécuritaire », le principe d’éviter à certaines personnes d’accéder à des espaces publics précis peut surtout poser de vrais problèmes de liberté.

A ce propos, après l’appel de la fondation Abbé Pierre contre l’usage du mobilier urbain, une pétition a été lancée dans le but d’interdire ces aménagements parfois douteux. L’installation d’une douche à l’entrée d’un parking pour repousser les SDF est-elle vraiment utile, et rend-elle vraiment la ville plus accueillante ? L’installation de bancs monoplaces dans le métro ou de pics au pieds des fenêtres peut-elle vraiment résoudre la situation des personnes qui vivent dans la rue ? Sans parler de tous les autres citoyens qui souhaiteraient profiter pacifiquement de la rue…

En matière de prévention des risques, la ville de Londres a mis en place un système de caméras de surveillance dans les rues de la capitale afin de pouvoir observer les faits et gestes de chaque passant. Bien entendu, ces caméras ne sont pas stigmatisantes vis-à-vis de telle ou telle population, mais soulèvent toutefois de lourdes questions éthiques quant à la liberté individuelle des citadins. Qu’elle fonctionne ou non, cette méthode est elle aussi considérée comme une mesure répressive dans la mesure où elle semble s’infiltrer dans la vie personnelle des piétons. Mais alors est-il possible de sécuriser une ville sans pour autant entraver la liberté et la santé des habitants ?

Installées dans les années 90, suite à des attentats de l’Armée républicaine irlandaise, les caméras sont omniprésentes à Londres.

Installées dans les années 90, suite à des attentats de l’Armée républicaine irlandaise, les caméras sont omniprésentes à Londres

La sécurité par l’aménagement, ou le concept de Security by design

La ville se barricade et fait preuve de plus d’agressivité à mesure que les altercations se multiplient. Le risque est d’accentuer le clivage entre forces de l’ordre et les citoyens. Pour éviter cela, un aménagement adapté et rassurant des espaces urbains est un premier pas pour enrayer les éventuelles menaces. Cela est surtout concevable dans des espaces « cibles », c’est-à-dire plus exposés aux potentielles attaques à cause de leur symbolique ou leur fréquentation. Cette approche, désignée par le concept de Security by design, est d’apporter une réflexion sur l’intégration de dispositifs de prévention des risques en ville.

Cette conception propose différentes idées aux aménageurs urbains. Par exemple en choisissant d’installer une borne Vélib’ entre la chaussée et le bâtiment sensible, une voiture aura plus de difficulté à s’engager sur le trottoir en direction des piétons ou bien du bâtiment lui-même. Cela permet ainsi d’augmenter discrètement la protection des personnes, en proposant un aménagement utile. De la même manière, l’élévation du niveau des trottoirs par rapport à la chaussée est également une alternative face au risque de voiture-bélier.

Le Security by design propose d’intégrer le mobilier urbain, comme l’installation de bornes de Velib’, dans une logique de sécurité

Le Security by design propose d’intégrer le mobilier urbain, comme l’installation de bornes de Velib’, dans une logique de sécurité

Ces aménagements doivent en revanche être pensés en amont et dès le début du processus d’aménagement urbain, ce qui alourdit la procédure. Une autre difficulté du concept de Security by design est de combiner des impératifs qui visent d’une part à empêcher d’éventuels agresseurs d’entrer dans le bâtiment, d’autre part à permettre au public de pouvoir en sortir rapidement en cas de danger, comme un incendie par exemple. Enfin, si ces solutions alternatives ont le mérite d’être efficaces contre une violence en particulier, elles peuvent sembler plus anecdotiques contre d’autres types de danger.

Investir dans l’humain pour une autre approche de la sécurité

Outre le développement d’aménagements, il semble également intéressant de miser sur des aspects plus humains pour instaurer une atmosphère urbaine plus apaisée. C’est par exemple le cas de la ville de Medellín, en Colombie. Dans une interview pour Courrier International datant de janvier 2015, le maire de l’époque Aníbal Gaviria Correa indique que le taux d’homicides a été réduit de 95% entre 1991 et 2015. Si la mort du baron de la drogue Pablo Escobar n’y est peut-être pas étrangère, ce résultat est surtout le fruit d’une politique de transformation sociale et urbaine. L’ouverture du téléphérique dès 2004 a par exemple permis de relier les quartiers défavorisés au centre-ville et de rééquilibrer l’équité entre les territoires desservis. En parallèle, l’investissement dans l’éducation et l’égalité des chances, dans la création de programmes scolaires et d’activités culturelles a semble-t-il permis de détourner les enfants de la délinquance. Le sentiment de bien-être au sein d’une ville, l’inclusion de tous les habitants, permettent alors de tendre vers une atmosphère plus propice à la paix urbaine.

Medellín a misé sur une approche sociale pour réduire l’insécurité, notamment avec le développement de liaisons téléphériques qui permettent un décloisonnement des quartiers

Medellín a misé sur une approche sociale pour réduire l’insécurité, notamment avec le développement de liaisons téléphériques qui permettent un décloisonnement des quartiers

Renforcer l’engagement citoyen et les politiques de prévention de sécurité ?

Il semble donc exister des alternatives face aux mesures répressives mises en place par les autorités municipales. Mais pour une ville plus sécuritaire il ne faut pas non plus négliger l’importance de l’implication des citoyens. Dans d’autres situations, la population est invitée à participer à une meilleure sécurité ou une meilleure santé urbaine. France Info a par exemple initié le 3 décembre 2018 une enquête participative auprès des citoyens pour que ces derniers puissent alerter les autorités concernant les sites pollués situés près de chez eux, directement depuis leur téléphone.

Par ailleurs, en cas de catastrophe imminente, des mesures préventives d’éducation civique couplées à des outils numériques peuvent être utiles quand des premiers soins doivent être administrés par des citoyens non-professionnels. Parmi ces mesures, l’offre d’une formation annuelle aux premiers secours, à tous les citoyens, pourrait être mise en place. Le développement et la communication concernant les outils numériques comme des applications d’urgence de premiers soins ne sont pas à négliger. Par exemple, la cartographie participative « Staying Alive » indique la localisation d’équipements de santé comme les défibrillateurs, nouveaux ou anciens.

L’application Staying Alive cartographie et recense les défibrillateurs

L’application Staying Alive cartographie et recense les défibrillateurs.
Source : bfmbusiness.bfmtv.com

Parmi les politiques de prévention, des solutions pour favoriser l’engagement citoyen existent aussi. Des applications de démocratie participative permettent par exemple d’informer les citoyens sur la situation locale de leur quartier et de prendre des décisions collectives sur des sujets d’intérêt général. Dans le cadre de l’explosion de la rue de Trévise, dans le 9ème arrondissement de Paris, l’application Fluicity permet par exemple de s’exprimer sur la sécurité du quartier et de proposer des mesures d’aménagement aux personnalités politiques. Un habitant a même lancé une demande pour réviser l’aménagement du quartier afin de favoriser l’accès de la rue de Trévise aux secours et de faciliter l’évacuation des blessés.

Pour apaiser les villes, des alternatives existent donc. Elles sont mises en place de manière plus ou moins importante selon les situations locales. Mais les maires sont conscients des enjeux qui atteignent l’urbanité et la liberté des citoyens. En 2018, la Mayors Conference de l’Union Européenne, qui s’est tenue à Bruxelles, portait sur la construction des défenses urbaines contre le terrorisme. Cette réunion a rassemblé de nombreux maires de villes européennes afin de discuter de cette question et de partager une réflexion commune sur le sujet. L’aménagement des villes peut alors participer à rendre la ville plus sûre, mais encore faut-il le penser suffisamment en amont pour éviter de créer des villes forteresse ou même des villes prison.

LDV Studio Urbain
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