Se réapproprier les espaces défensifs ou déconsidérés de nos villes
Couvrez cette ville que je ne saurais voir ! Depuis quelques années, les décideurs publics et les aménageurs urbains jouent les Tartuffe à trop vouloir se protéger des dérives de nos villes. Mobilier urbain anti SDF, éclairage spécial dans les gares pour éviter les drogués, dispositifs sonores anti-jeunes, la ville préfère contourner ses problèmes par des aménagements à tendance discriminatoire. Pour lutter contre ce phénomène, des artistes, des designers ou des collectifs hybrides ont choisi de redonner le plein accès à ces espaces afin que l’espace public réappartienne à tous. Tour d’horizon des solutions retenues pour redevenir maître de son espace public.
Lutter contre le mobilier urbain défensif
Chasser les SDF ou les marginaux de nos villes, voilà le programme non avoué de certains décideurs. Rien de plus simple : pour empêcher des personnes de dormir sur les bancs publics, remplaçons-les par des chaises ; afin que des groupes ne viennent pas s’installer sous les ponts, plaçons-y des boulons. C’est pour lutter contre ces raisonnements simplistes que l’artiste américaine Sarah Ross a décidé de créer une ligne de vêtements spéciaux : Archisuits. Ces combinaisons atypiques destinées aux Sans Domicile Fixe forment des sculptures en négatif qui viennent s’imbriquer dans le mobilier urbain hostile. Ainsi, dormir sur un banc sectionné par des barres de fer redevient possible. La créativité comme alternative à la ville hostile, c’est également la réponse apportée par deux artistes et architectes : Gordan Savicic et Selena Savic. A eux deux, ils ont monté le concours Unpleasant Design récompensant les projets innovants. Parmi les vainqueurs, le projet SI8DO propose de créer des plaques métalliques qui peuvent se fixer au mobliler urbain existant (comme les feux de signalisation) afin de permettre aux gens de s’asseoir et de se reposer un temps dans une ville trop souvent inhospitalière.
Réinvestir les espaces déconsidérés
Certains espaces déconsidérés par les pouvoirs politiques ou par les usagers, comme les tunnels ou encore les dessous des ponts, sont propices à servir d’abris naturels pour les plus démunis. Ce sont en quelques sortes des oubliés spatiaux qui abritent les oubliés sociaux. Réinvestir ces lieux en créant des usages appropriés aux réelles attentes de leurs utilisateurs relève de la notion même du terme design. Rendre accessible à tous et offrir un nouveau regard, voilà les objectifs du collectif de designers et d’architectes anglais Assemble. Pour le projet Folly for a Flyover, le groupe a choisi d’investir le dessous d’un pont du quartier londonien Hackney Wick. Le résultat : un pop-up urbain géant formant un espace hybride de convivialité. Bar et lieu de départ pour des excursions le jour, l’espace se transforme en salle de cinéma en plein air et scène pour des performances artistiques à la nuit tombée.
Grégoire Moinard, étudiant en cinquième année à l’Ecole de Design Nantes Atlantique, s’intéresse lui-aussi aux dessous de ponts. Il souhaite redonner vie à ces espaces souvent déconsidérés en leur donnant un nouvel accès, un nouvel usage et en apportant un nouveau regard. Pour Grégoire, « C’est par l’usage que l’on s’approprie un lieu. C’est grâce à des éléments que l’on perçoit un lieu d’une manière plus positive. La sous-face d’un pont regorge de possibilités d’aménagements. En plus, elle forme un abri quasi naturel. Cet espace doit être un espace de qualité sans rupture dans le continuum urbain. Créer un lieu de repère pour tous sans ghettoïser mais plutôt déstigmatiser les usages qui s’y trouvent est là un levier d’innovation. je cherche donc à créer un espace repère, signalé à distance, servant de meeting point afin d’accueillir des usages fondamentaux ». Car derrière la réappropriation de l’espace public se pose la question de la ville pour tous.
Par Grégoire Moinard, étudiant en 5ème année à l’Ecole de Design Nantes Atlantique option Mutations du cadre bâti, et Zélia Darnault, enseignante