Se nourrir dans les poubelles des villes (2/2)
Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, le mouvement lyonnais des Gars’pilleurs fait les poubelles et distribue son butin aux passants. Rencontre avec Eolaõ, 27 ans, l’un des cofondateurs du mouvement.
Comment est né le mouvement des Gars’pilleurs ?
L’année dernière, je me promenais avec un ami dans les rues de Lyon. Nous connaissions bien les coins de la ville où l’on pouvait récupérer de la nourriture car je suis « glaneur » depuis plusieurs années déjà. Nous sommes passés près d’un supermarché, nous avons soulevé le couvercle d’une poubelle et là, il y avait plus de 110 kg d’aliments comestibles… On a décidé de récupérer toute cette nourriture et de la distribuer gratuitement. Au départ, ça s’est fait de façon un peu sauvage, mais les citoyens ont été très réceptifs à notre démarche. En mars 2013, nous avons donc créé le mouvement des Gars’pilleurs. Notre fonctionnement est très simple. Nous annonçons sur notre blog le lieu de la distribution avec trois jours d’avance. La veille, nous glanons toutes sortes de produits, et le jour dit, on installe notre stand. Le lieu de la distribution change à chaque fois, histoire de toucher les quartiers populaires comme les quartiers plus bourgeois. Nous avons également testé avec succès la livraison à domicile de produits récupérés dans les poubelles. Et en novembre 2013, nous avons organisé une chasse au trésor dans les rues de Lyon, avec dans le rôle du trésor un cabas rempli de 15 kg de denrées jetées par les supermarchés.
Peut-on avoir une nourriture équilibrée en se contentant de glaner dans les poubelles ?
Mais bien entendu ! Vous savez, cela fait un peu plus de deux ans que je suis « déchétarien » et, durant cette période, je n’ai quasiment pas acheté d’aliments. Au départ, je glanais les rebuts de fin de marché. Et puis j’ai commencé à fréquenter les poubelles des boulangeries et celles des supermarchés. Et là, on trouve une grande diversité d’aliments en très grande quantité. De quoi cuisiner des centaines de repas ! On récupère des produits frais, souvent emballés, encore congelés. En fait, on trouve dans les poubelles des supermarchés la même diversité de produits que dans les rayons. Je viens, par exemple, de récupérer en pleine journée 30 kg de fruits de mer dans les poubelles d’un supermarché bio. J’ai aussi souvent de la gelée royale dans mes placards ou bien des magrets de canard dans mon congélateur. Et on trouve aussi pas mal d’aliments secs, non périssables, mais que les magasins jettent quand même… Autant de produits qui, sans notre action, finissent forcément leur course dans une usine d’incinération ou une décharge à ciel ouvert.
Les « dates limites de consommation » fixées par les producteurs sont-elles justifiées ?
Personne n’est venu nous dire qu’il avait été intoxiqué suite à une de nos distributions de nourriture. Un yaourt, on peut le manger au moins un mois après sa date de péremption. Un saumon fumé, on peut le manger deux mois plus tard sans problèmes. Mais la logique de la grande distribution, c’est de raccourcir au maximum les dates de consommation pour faire tourner à plein régime la chaîne de production. Et à force de fixer des normes draconiennes en termes de sécurité et d’hygiène, beaucoup de consommateurs oublient de se servir de leurs sens. Ces normes tendent à se substituer à notre instinct. Or, il faut aussi savoir se fier au goût, à l’odorat ou au toucher pour savoir si un produit est encore consommable.
Dans l’imaginaire collectif, le glanage est associé au dénuement. Peut-on vraiment lutter contre cette représentation ?
C’est le principal problème. Pour la plupart des gens, seuls les clochards font les poubelles. Un jour, en pleine distribution, j’ai proposé des denrées à une femme qui m’a rétorqué : « Je ne suis pas une SDF ! » C’est vraiment regrettable car cela n’a rien d’humiliant ; c’est plutôt une forme de bon sens. Quand on fait des actions de sensibilisation, je dis souvent, avec ironie : « Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de pauvres… ». C’est ma manière de dire qu’il est bien dommage que seuls les plus démunis soient des glaneurs. Cela dit, on voit aujourd’hui de plus en plus de gens faire les fins de marché pour glaner des aliments.
Faire les poubelles est-il légal ?
C’est une forme de désobéissance civile. Certains glaneurs se sont faits surprendre en flagrant délit et ont été condamnées à 5 ans de prison avec sursis et 75 000 euros d’amende pour « violation de la propriété privée ». Et c’est là toute l’ambiguité : pour pouvoir être récupéré, un déchet doit être « intentionellement abandonné ». Il suffit donc que son propriétaire dise qu’il ne l’a pas jeté intentionnellement pour que le glaneur soit condamné… Cela dit, nous n’avons jamais eu directement de problèmes avec les autorités.
Quelle politique faut-il mettre en place pour limiter le gâchis alimentaire ?
Les collectivités devraient prévoir au moins un système de compost par immeuble pour le recyclage des déchets organiques. Aujourd’hui, ils sont encore trop souvent mélangés aux autres déchets, alors qu’ils pourraient tout à fait être valorisés. Concernant la grande distribution, il faut rompre avec une logique commerciale devenue décadente et obsolète. Aujourd’hui, la revalorisation des déchets n’est pas du tout prise en compte dans les contrats et c’est bien dommage elle pourrait constituer une source de revenus importante. Enfin, il faut concentrer l’action politique sur l’ensemble des citoyens, au lieu de se focaliser sur les plus démunis. Les banques alimentaires et les associations caritatives sont nécessaires, mais pour espérer réduire le gaspillage alimentaire, il est essentiel d’éduquer l’ensemble des citoyens. Cette idée est au coeur de la démarche des Gars-Pilleurs. Et ça semble fonctionner puisque des personnes aux profils très différents s’intéressent à notre action. Cela va des enfants de 7 ans aux retraités, en passant par les élus, les cadres, les étudiants ou les personnes sans emploi. C’est bien la preuve que les lignes commencent à bouger.
Pour aller plus loin : Retrouvez le blog dess Gars’Pilleurs
Êtes-vous prêt à faire les poubelles des supermarchés pour vous nourrir ?
Lire la 1ère partie de l’article : Se nourrir dans les poubelles des villes (1/2)
Vos réactions
Bravo pour vos actions ! La grande distribution devrait être obligée de vendre toutes les produits périssables à un prix dégressif quelques jours avant de les jeter.