Se nourrir dans les poubelles des villes (1/2)
Militants anti-gaspillage, les « déchétariens » font les poubelles pour se nourrir. Une démarche écologique radicale, qui trouve un certain écho dans les grandes villes, où le gâchis alimentaire est colossal.
« La solution à la faim dans le monde se trouve dans les poubelles de New York. » Tel est le credo de Warren Oaks, le leader américain du mouvement freegan. La formule, provocatrice, est loin d’être dénuée de bon sens. En effet, chaque année, 50 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées aux États-Unis. En France, les chiffres sont tout aussi effrayants. Selon l’Ademe, nous jetons 20 kg de déchets alimentaires par personne et par an, dont 7 kg de produits encore emballés et 13 kg de restes de repas, de fruits et de légumes. Et les perspectives d’avenir sont encore plus sombres. D’après les prévisions de la Commission européenne, en 2020, les 27 pays de l’UE devraient jeter 126 millions de tonnes d’aliments par an, soit une hausse de 40 % par rapport à aujourd’hui !
Éthique anti-consumériste
La quantité d’aliments qui finissent à la poubelle est l’un des grands drames de l’urbanisation. Dans ces conditions, pas étonnant que de plus en plus de citoyens se mettent à faire les poubelles pour se nourrir gratuitement. Pour les plus fauchés, c’est un moyen de faire des économies en temps de crise. Pour d’autres, c’est une façon de démontrer l’absurdité du mode de production et de consommation alimentaire. Une dimension écologique essentielle pour comprendre le freeganisme, cette « éthique anti-consumériste de la nourriture » comme la définit Warren Oaks. En France, les déchétariens sont sortis de l’anonymat en 2000, quand la réalisatrice Agnès Varda leur a consacré un documentaire poignant. Les Glaneurs et la glaneuse est une plongée dans le quotidien de ces femmes et ces hommes qui se nourissent en faisant les poubelles des supermarchés ou en ramassant les restes de récoltes.
http://vimeo.com/37089032Colossal gâchis
Les déchétariens sont en croisade contre les « DLC », ces « dates limites de consommation », plus connues du grand public sous le nom de « dates de péremption ». Déterminées par le producteur du produit, ces DLC sont obligatoires depuis le milieu des années 1980 pour l’ensemble des aliments périssables susceptibles de présenter au bout d’un certain temps un danger pour la santé (lait, viande, plats cuisinés…). Dès qu’ils atteignent leur date de péremption, ces produits sont donc jetés par les grandes surfaces, pour éviter tout risque d’intoxication alimentaire. Des milliers de tonnes d’aliments encore comestibles sont ainsi jetés sans que personne ne les consomme. Un gâchis colossal dénoncé par les déchétariens, qui jugent ces DLC sans rapport avec les risques sanitaires réels liés à la consommation de ces produits.
Nouvelle génération
Début 2012, le Parlement européen a demandé l’adoption de mesures d’urgence pour diminuer de moitié le gâchis alimentaire d’ici à 2025. Il s’agit notamment de sensibiliser les enfants dès l’école primaire et de redistribuer les produits invendus dans les supermarchés et les restaurants aux personnes les plus démunies. L’UE a également décrété que 2014 serait « l’année européenne contre le gaspillage alimentaire ». Des initiatives louables mais qui ne suffiront pas à faire bouger les lignes. Seul un tissu associatif efficace sur le terrain permettra d’enrayer le grand gâchis alimentaire, comme le prouve le succès populaire rencontré par plusieurs mouvements récents de lutte anti-gaspillage. En France, le plus connu est la Disco Soupe. Originaire d’Allemagne, apparu en France en mars 2012, ce « mouvement solidaire et festif s’approprie l’espace public et le rebut alimentaire pour sensibiliser au gaspillage ». Cela se traduit par des réunions publiques où chacun peut cuisiner en musique les aliments récupérés sur les marchés. Les plats sont ensuite offerts gratuitement aux passants. La formule a trouvé son public puisqu’au moins une Disco Soupe est organisée chaque jour dans une grande ville française. À Lyon, c’est le mouvement des Gars-Pilleurs qui « fait les poubelles » des boulangeries et des supermarchés avant de distribuer gratuitement son butin aux passants. Autre démarche louable, celle de Robin Food, « la start-up anti-gaspi » qui achète aux producteurs locaux les fruits et légumes mis de côté faute de correspondre aux standards esthétiques de la grande distribution, et leur offre une seconde vie.
Lentement mais sûrement, la cause déchétarienne progresse. De là à enrayer sur le long terme le grand gaspillage alimentaire, c’est une autre histoire…
Respectez-vous les dates de péremption indiquées sur les produits alimentaires ?
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