Revoir Paris : quand l’utopie devient capitale
Avec Revoir Paris, le dessinateur belge François Schuiten et l’écrivain Benoît Peeters livrent une BD d’anticipation explorant les grandes utopies architecturales qui ont transformé la capitale. Les deux acolytes sont aussi commissaires de l’exposition du même nom à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Une expo à ne pas manquer.
La « Tour Triangle » verra-t-elle le jour dans le Parc des Expositions de la Porte de Versailles ? À l’heure où l’on écrit ces lignes, cette question continue de diviser architectes, urbanistes et politiques. Une chose est sûre : l’évidente crispation entre partisans et opposants de cet édifice pyramidal imaginé par les architectes suisses Herzog et De Meuron témoigne des difficultés actuelles de la capitale à initier et accueillir des projets architecturaux un tant soit peu audacieux. Le hasard de l’actualité faisant parfois bien les choses, c’est dans ce contexte tendu que la Cité de l’Architecture et du Patrimoine organise l’exposition Revoir Paris, qui propose justement un « voyage au pays des possibles », à travers la confrontation entre différents projets d’architectures utopiques imaginés depuis deux siècles pour la capitale. Les commissaires de l’exposition ne sont autres que le dessinateur belge François Schuiten et l’écrivain Benoît Peeters, coauteurs depuis la fin des années 1970 de nombreux albums de bande dessinée. Les deux hommes viennent d’ailleurs de publier le premier tome de Revoir Paris, une BD d’anticipation dans laquelle ils racontent le trajet en provenance d’une lointaine planète et à destination de Paris d’une jeune femme « utopiomane », qui se shoote avec les différentes images d’Épinal de la capitale qui lui tombent sous la main.
Dialogue avec Robida, Perret et Le Corbusier
À vrai dire, la double actualité parisienne de Schuiten et Peeters n’est pas vraiment une surprise car l’idylle artistique entre les deux hommes et la capitale française ne date pas d’hier. « Dès la fin des années 1970, nous mettions déjà en scène Paris dans le travail qu’on a pu réaliser pour des revues comme Métal Hurlant ou À Suivre », raconte François Schuiten dans son atelier bruxellois du quartier de Schaerbeek. Depuis ce temps, les deux hommes n’ont cessé d’explorer cette ville qui les fascine. C’est le cas notamment avec l’album Les Mystères de Pâhry, qui met en scène une cité aux arcades majestueuses et aux vastes carrières de « pierres de sable » ; avec le travail d’illustration de Paris au XXe siècle, le roman de Jules Verne publié pour la première fois en 1994, cent trente et un ans après son écriture ; avec le décor tout en cuivre de la station de métro Arts et Métiers ; ou encore avec les dessins réalisés dans le cadre d’une consultation sur le Grand Paris. Autant de travaux que l’exposition permet de (re)découvrir, et de faire dialoguer avec les œuvres d’autres artistes et architectes pour « rêver l’avenir de la capitale ». « Pour préparer l’exposition et l’album, il a fallu dans un premier temps reconstituer la mémoire de Paris en faisant un gros travail de recherche des archives dans les musées et les bibliothèques. Ce retour aux sources était nécessaire pour arriver à une vision d’ensemble cohérente », raconte Benoît Peeters. Ce travail de fourmi a permis à François Schuiten et Benoît Peeters de sélectionner toute une série de dessins et de plans plus ou moins utopiques. C’est le cas notamment des « villes tours » de Jacques Lambert, des immeubles pyramidaux chers à Henri Sauvage, des voitures volantes d’Albert Robida, ou encore la « fontaine aux éléphants » imaginée par Jean-Antoine Alavoine et mise en scène dans plusieurs albums de Schuiten et Peeters. Des œuvres créées ou présentées pour certaines d’entre elles dans les cadre des cinq expositions universelles organisées à Paris entre 1855 et 1900, qui furent autant de « réceptacles d’utopies miniatures », selon Benoît Peeters.
Notre-Dame sous cloche
Le clou de l’exposition, c’est la projection sur un écran circulaire de trois quartiers emblématiques de Paris (Notre-Dame, La Défense, la Tour Eiffel) imaginés dans le futur par François Schuiten, en collaboration avec l’institut « Passion for Innovation » de Dassault Systèmes. S’il le souhaite, le visiteur peut ainsi survoler ces sites historiques projetés en 3D et zoomer à sa guise pour les découvrir sous tous les angles. « Nous avons imaginé que Notre-Dame serait mise sous une cloche de verre pour la protéger des pluies acides. La cathédrale serait fermée aux visiteurs et des passerelles aériennes permettraient de se promener autour », raconte François Schuiten. Méconnaissable, le quartier de La Défense a quant à lui été « verticalisé », avec ses « flammes d’énergie équipées de capteurs de lumières, de vent et d’humidité, permettant de climatiser les tours », ajoute le dessinateur. Autant de projections spectaculaires, qui donnent à réfléchir sur l’avenir de la capitale, à l’heure où l’enthousiasme populaire pour le Grand Paris s’est pour le moins étiolé. « Il faut être un peu naïf pour rêver les villes. Et puis nous sommes des « raconteurs d’histoires », pas des architectes ni des urbanistes : on peut tout se permettre », souligne le dessinateur. « Avec Revoir Paris, on a donc voulu redonner le goût de la vision, on a voulu donner envie d’inventer le Paris de demain. » Mission accomplie.
En savoir plus :
– L’exposition : Revoir Paris, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (du 20 novembre 2014 au 9 mars 2015), dans la galerie basse des expositions temporaires.
– L’album : Revoir Paris (Casterman, 2014, 64 p, 15 euros)