Réver(cités) : « La ville doit être mixte et multifonctionnelle »

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8 Nov 2016

Suite de nos articles concernant l’exposition Réver(cités), villes recyclables et résilientes : aujourd’hui, retrouvez une interview croisée des experts de l’Observatoire de la Ville. Pour François Bertière, PDG de Bouygues Immobilier, comme pour l’architecte-urbaniste Christian Devillers et le sociologue urbaniste Alain Bourdin, la ville doit être flexible, réversible et faire preuve de résilience. Une nécessité pour répondre à la croissance des populations urbaines et aux nouveaux usages.

Pourquoi avoir choisi cette année le thème de la ville recyclable et résiliente ?

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François Bertière, PDG de Bouygues Immobilier. Crédit photo : Cyril Abad

François Bertière : En discutant avec les élus, on se rend compte qu’il faut sans cesse faire évoluer la ville et que ces adaptations nécessaires sont complexes et coûteuses. Le monde va de plus en plus vite, les modes de vie changent et les nouvelles technologies font irruption dans la vie des gens. Et l’on sait que tout ira encore plus vite à l’avenir. La question est donc de construire des villes capables de s’adapter dans des conditions techniques, économiques et sociales viables.

Quel message souhaitez-vous faire passer au public ?

F.B. : Nous voulons expliquer au public que le changement est inéluctable. Il est souvent rapide, dérangeant, difficile à accepter mais on ne peut pas le refuser. Les nouveaux projets dans les villes suscitent souvent de l’inquiétude. Notre rôle en tant que promoteur, avec les élus, est de porter ces changements en associant les populations, en coconstruisant la ville avec ses habitants. En contrepartie, ces derniers doivent y croire et s’engager dans les démarches de transformation urbaine.

Alain Bourdin : Il y a un mot très à la mode en ce moment : agilité. On l’entend beaucoup dans l’entreprise. La faculté d’agilité s’applique aussi à la ville et à ses différents acteurs.

Quels sont les grands défis de la ville durable ?

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Alain Bourdin, sociologue urbaniste et membre du comité éditorial de l’Observatoire de la Ville

A.B. : Le problème de la ville durable, c’est d’abord… la ville. C’est-à-dire le fait qu’on ne vit plus à la campagne mais majoritairement en ville – 70 % de la population mondiale sera urbaine en 2050. C’est donc un gros enjeu pour l’équilibre fonctionnel des villes, qui sont sans cesse confrontées à des problèmes d’aménagement, de mobilité, de fonctionnement des réseaux… Dans ces conditions, il faut fabriquer un milieu de vie acceptable et désirable pour tous. Pas évident quand on voit le nombre croissant d’actifs, notamment des cadres vivants à Paris, qui souhaitent partir en province. Or, si la vie n’est pas supportable pour les plus nantis, elle doit l’être encore moins pour les populations les plus fragiles.

Christian Devillers : Dans une perspective où la majeure partie de la population vivra en ville, on ne parle plus de « ville monde » mais de « monde ville ». Un tel changement soulève des questions politiques, économiques et bien sûr environnementales. Les villes sont, rappelons-le, les principales responsables du réchauffement climatique, à 80 %.

C’est donc en travaillant sur les villes, leur forme, leur fonctionnement, qu’on va pouvoir agir le plus efficacement au niveau écologique.

Un enjeu planétaire qui suppose un développement durable des villes mais aussi des conditions de vie acceptables pour les habitants. Or nous vivons partout dans un système qui génère plus de séparations sociales, d’exclusion… qui menacent la cohésion, voire l’équilibre de nos sociétés.

Comment une ville peut-elle devenir flexible et s’adapter aux aléas du temps ?

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Christian Devillers, architecte urbaniste et membre du comité éditorial de l’Observatoire de la Ville.

C.D. : Il n’y a rien de moins figé qu’une ville. Les villes changent tout le temps et sont le meilleur exemple de la résilience – sinon Paris ne serait plus là au bout de 2 000 ans. Les villes ont une extraordinaire capacité à s’adapter aux changements sociaux, sociologiques, technologiques. Mais la transformation ne se fait pas toute seule, il faut certaines conditions de gouvernance, de structure et de forme urbaine. On voit par exemple que les grands ensembles, inventés dans les années 50-60, ne se sont pas adaptés : ces morceaux de ville ont vécu, se sont dégradés et ont fini par être démolis. Résultat, on a tout perdu, rien accumulé, c’est un gaspillage gigantesque. L’exemple même de la non-résilience. Car la résilience ne veut pas dire revenir à la forme initiale après un désordre, mais revenir à un état stable.

F.B. : Je pense que l’erreur fondamentale de ces quartiers est qu’ils sont monofonctionnels. Ils sont issus de la théorie, qui a été dévoyée, de Le Corbusier. Celui-ci voyait la ville comme une machine à habiter dans laquelle on sépare les fonctions, avec des endroits différents pour habiter, consommer, travailler… C’est là précisément l’échec des quartiers où l’on répond de manière parcellaire à des fonctions. La ville doit au contraire être mixte et multifonctionnelle.

C.D. : Dans n’importe quelle ville ordinaire, il y a une évolutivité très grande du tissu urbain. En cela la ville est merveilleuse : elle est à la fois une création humaine qui dure très longtemps et en même temps le lieu permanent de l’invention, de la transformation, du renouvellement. La beauté des villes historiques comme Paris, Londres ou Venise, vient justement du fait qu’elles sont des mille-feuilles, accumulation de valeurs, d’histoires, de mémoires incarnées. Et c’est pour cela qu’elles sont résilientes.

A.B. : La résilience de la ville se vérifie dans la durée, avec le temps. Mais le problème aujourd’hui c’est l’accélération du temps, qui rend la flexibilité des villes plus difficile à appréhender. On doit penser la ville sur des échelles courtes de dix ans. Ce qui nécessite d’anticiper les changements à venir. Il faut donc prévoir les mutations du milieu urbain en amont de l’action sur la ville et les intégrer aux raisonnements. Jusqu’ici, cette approche n’existait pas dans la tête des gens qui fabriquaient la ville. C’est en train de changer, mais il y a encore du travail.

Quelles sont les tendances socioculturelles en matière d’habitat et d’aménagement urbain ?

F.B. : Le plus frappant, c’est la primauté des usages, le glissement de la propriété vers l’usage. De plus en plus de citadins renoncent à la voiture individuelle au profit de modes de transports publics ou partagés. Dans le bâti, on revient à des pièces communes, comme des espaces techniques ou de loisirs. Dans certaines copropriétés, on conçoit des chambres d’amis partagées. On expérimente aussi des logements modulaires, avec des parois amovibles permettant de transformer les espaces de vie pour les familles recomposées. L’autre tendance, c’est la fongibilité complète entre la vie personnelle et professionnelle, sociale et affective. La vie des gens est moins organisée en tranches étanches et cela a un impact sur la ville.

Par exemple, le concept de bureaux partagés ouverts 24h/24, que l’on peut louer au mois et au poste de travail sans engagement, marche très fort. Et on nous demande à présent d’imaginer des lieux qui feraient à la fois hôtel et bureau ! C’est dire l’évolution des usages.

A.B. : Aujourd’hui, on veut maîtriser l’organisation de sa vie quotidienne. De même, on parle de pluridisciplinarité de l’expérience, c’est-à-dire la possibilité de mélanger plusieurs activités dans un même espace-temps : travail, consommation, famille, loisirs… Cette nouvelle organisation de la vie est devenue fondamentale dans les sociétés urbaines, avec à la clé une exigence sur la qualité de l’expérience. Les usagers mettent ainsi une grosse pression sur les gens qui fabriquent et gèrent la ville.

Propos recueillis par Roman Scobeltzine et publiés initialement dans un supplément du JDD paru le dimanche 9 octobre.

 

Retrouvez l’exposition « Réver(cités), villes recyclables et résilientes » à la Cité de l’architecture & du patrimoine jusqu’au 4 décembre.

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