Retrouver son fleuve : une nécessité pour la ville durable
Paris, Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg … Le point commun entre ces grandes villes françaises ? Elles sont toutes construites en bordure de fleuve. Longtemps considéré comme un atout, le fleuve est aujourd’hui souvent vécu comme une contrainte. En la matière, Nantes a fait figure de championne : autrefois considérée comme la Venise de l’Ouest, la Ville a peu à peu comblé les différents bras de la Loire, tournant ainsi le dos à ce patrimoine naturel. Pourtant, dans la ville durable, le fleuve doit retrouver toute sa place, et la tendance commence à s’inverser. Alors pourquoi et comment revaloriser ce patrimoine particulier ? Eléments de réponse.
Une nécessaire revalorisation de l’espace urbain
Après une longue période de désamour entre l’homme et le fleuve, les nouveaux enjeux liés au développement durable de nos villes enjoignent à retourner vers nos cours d’eau. Qu’elles soient économiques, sociales, écologiques ou encore culturelles, les raisons qui nous poussent à retourner vers notre fleuve sont nombreuses.
Bien souvent, l’histoire de la ville est liée avec le fleuve. La désertion des activités fluviales est alors en partie responsable du désamour entre les citadins et leur cours d’eau. Il s’agit donc de ramener de l’activité sur ces berges délaissées afin de réapprendre à aimer notre fleuve. A Nantes, la culture s’est emparée des berges de la Loire, devenues une promenade familiale prisée des citadins. A Bordeaux, les quais de la Garonne ont retrouvé un intérêt, grâce à la présence du fameux miroir d’eau. On peut également noter le succès de Paris Plage qui a permis de convertir de nombreuses villes au concept de plages urbaines : Toulouse, Metz, Strasbourg, Reims ou encore Rouen prennent tous les étés des airs de stations balnéaires grâce à leur cours d’eau. Plus récemment, des grands débats citoyens comme « Nantes, la Loire et nous » ont permis aux habitants de manifester leur intérêt pour la revalorisation de leur fleuve. Un sujet désormais incontournable.
Le fleuve : un patrimoine particulier
Si le fleuve est redevenu une préoccupation des décideurs, acteurs et citoyens, c’est aussi parce qu’il constitue un patrimoine de nos villes, un patrimoine particulier. Ce bien commun dont on hérite et que l’on lègue peut constituer un médium idéal de sensibilisation. Car au-delà de son aspect utilitaire, le fleuve est également un espace urbain poétique qui inspire artistes, architectes, designers…
Parmi les premiers à avoir utilisé le fleuve comme véritable support à une œuvre d’art, les artistes du Land Art (mouvement né dans les années 1960) ont invité les spectateurs à redécouvrir le potentiel du fleuve. Cette opportunité de sensibiliser le spectateur, c’est également ce qui a motivé l’artiste chinois Cai Guoqiang pour son œuvre « The Ninth Wave ». Ce bateau échoué sur le Huangpu à Shanghai sur lequel sont jonchées des peluches semblables à des animaux morts interpelle sur le scandale sanitaire dont la ville a été victime en 2013 lorsque 16 000 cadavres de porcs malades ont été découverts dans l’eau du fleuve.
Habiter l’écosystème fluvial : sensibiliser par le design
Si les artistes se sont depuis longtemps emparés du fleuve pour sensibiliser à son importance, le sujet semble être assez nouveau pour les designers. Aurélien Ballandras, étudiant en 2e année de cycle Master Ville Durable à l’École de design Nantes Atlantique, a choisi de saisir cette opportunité pour son Projet de Fin d’Études.
Son terrain d’étude : Nantes, ville au patrimoine naturel et fluvial riche, qui a la chance d’être encore dotée de quelques berges ni bétonnées ni artificialisées. Pour Aurélien, ces berges urbaines sont apparues comme une opportunité de réouverture et de revalorisation fluviale. Aller au-delà de la ripisylve* pour découvrir la ville, son fleuve et sa biodiversité rivulaire sous un nouvel angle s’avère être une opportunité adéquate à la réappropriation fluviale pour le designer. Le fait de s’affranchir des limites de la berge et d’établir une présence en coexistence avec le milieu naturel et son écosystème se présente comme une manière pédagogique et responsable de retourner vers le fleuve dans l’optique de la ville durable. Mais alors comment le designer peut-il révéler ce fleuve et ses richesses en milieu urbain ? Aurélien apporte une réponse à cet enjeu à travers son projet « Survol ligérien », une microarchitecture surplombant la Loire, combinant habitat insolite et équipement urbain. L’ensemble offre un belvédère supérieur : espace de contemplation, d’observation et de sensibilisation sans précédent sur les berges et le paysage ligérien. Quant à la passerelle inférieure du projet, elle mène à un petit habitat ossature bois accessible au public en période diurne et privatisable pour y passer une nuit. Cet espace de retrouvailles offre lui aussi une expérience sensibilisatrice et bienveillante de l’environnement. Le projet se veut responsable et respectueux de son lieu d’implantation, par l’emploi de bois locaux et par son porte-à-faux en retrait de la biodiversité de la berge.
Par Zélia Darnault, enseignante
* La ripisylve est « l’ensemble des formations boisées, buissonnantes et herbacées présentes sur les rives d’un cours d’eau, d’une rivière ou d’un fleuve » (source : Wikipedia).