“On est tous piétons, mais on l’oublie peut-être un petit peu !” : retour sur le Festival Demain la Ville #4
Le soleil se couchait paisiblement sur Lyon, en ce mercredi 22 septembre 2021, quand s’est amorcée la quatrième et dernière table ronde du Festival Demain la ville. Une table ronde placée sous le signe de la marche, et plus largement des imaginaires qui l’accompagnent et qui augurent une ville plus apaisée. Pourquoi choisir ce sujet en guise de point d’orgue de ce premier festival ? Le sujet peut paraître anodin, du moins sous certains atours. Après tout, la marche n’a besoin de rien pour exister – là où les autres modes dépendent d’infrastructures plus ou moins perfectionnées…
Pourtant, à bien y regarder, la marche mérite qu’on s’y attarde et dépend de nombreux outils urbanistiques : espaces publics de qualité, signalétique dédiée, coutures entre les différents quartiers, etc. C’est à ce travail que s’échinent, chacun dans leurs domaines, les différents intervenants mobilisés pour cet ultime temps d’échange. Design, psychologie sociale, urbanisme et mobilités étaient représentés sur scène ; autant d’expertises qui se coordonnent pour permettre à la marche de gagner ses lettres de noblesse.
“Comment inciter à la marche, et surtout pour quoi faire ?” C’est, en substance, la question qui anime cette dernière table ronde et que reformule à sa façon Catherine Debrand, consultante en psychologie sociale au sein de l’agence lyonnaise Nova7. Car la question du “pourquoi” revient souvent quand il s’agit de la marche. A quoi abonde Joséphine Combe, designer au sein de l’agence Vraiment Vraiment : “On est tous piétons, mais on l’oublie peut-être un petit peu !”. L’invisibilisation de la marche est l’un des chevaux de bataille de tous les intervenants réunis, comme l’explique avec ferveur Tom Dubois, responsable de la communication et porte-parole du Forum Vies Mobiles, un institut de recherche qui se donne pour mission de “préparer la transition mobilitaire” :
“Comment faire pour que les décideurs se saisissent de la marche ? Le premier frein que l’on observe, c’est paradoxalement que c’est ‘trop évident’ ! On marche en permanence. Même si on utilise le vélo, la voiture ou les transports en commun, il y a toujours un moment où on marche. Et en plus on se débrouille bien ! S’il y a un obstacle, on arrive à l’enjamber, on ne se plaint pas. Résultat : la marche est invisibilisée. C’est pourquoi il faut créer des outils pour la rendre visible, à l’instar du Baromètre des villes marchables [vaste étude menée en 2020 et dont les résultats ont été publiés quelques semaines avant le Festival, ndlr].”
Fort heureusement, les choses commencent à changer, et tous les participants s’en félicitent d’ailleurs – sans oublier le public présent en nombre, malgré l’horaire tardif. Les acteurs de la fabrique urbaine, très directement concernés, tentent d’intégrer la marche dans leurs projets et méthodes de travail. Laurent Michelin, directeur Nouvelles Offres & Design chez Bouygues Immobilier, témoigne ainsi des raisons qui amènent un promoteur à travailler plus assidûment sur les parcours piétons :
“L’activité physique la plus accessible à tous, c’est la marche. Chez Bouygues Immobilier, on est partis de ce point-là. Mais la marche coche aussi d’autres cases ! L’environnement, évidemment : plus on marche, moins on prend sa voiture. Et c’est aussi le meilleur moyen de s’approprier un quartier. On a beaucoup travaillé sur ce sujet, notamment avec l’experte de la marche Sonia Lavadinho, au sein du projet Ginko à Bordeaux.”
Cette approche de la marche, étonnamment encore assez nouvelle dans le paysage urbanistique, implique de construire de nouvelles compétences et savoir-faire. C’est l’une des missions de Joséphine Combe chez Vraiment Vraiment, là encore avec le design en étendard :
“On a besoin de tester, d’éprouver et surtout d’évaluer, pour pouvoir alimenter toute une ‘science de la marche’, comme il existe une science de l’automobile. On en est aux balbutiements opérationnels de la marche. Et le rôle du designer, c’est justement d’opérationnaliser toutes ces théories encore balbutiantes sur la marche. Si on ne met pas en pratique on ne peut pas tester, si on ne peut pas tester on ne peut pas évaluer, et si on ne peut pas évaluer on ne peut pas convaincre. Pour donner envie, il faut pouvoir convaincre !”
Mais comment expliquer que la marche soit encore un “impensé” alors que, justement, tout le monde ou presque est piéton ? Selon Tom Dubois, tout est question d’imaginaires, et le terme n’est pas le fil rouge du Festival sans raison. Il est d’ailleurs le coauteur d’un ouvrage publié par le Forum Vies Mobiles et les Éditions de l’Aube, au titre sans équivoque : “Pour en finir avec la vitesse”. Selon lui, cet imaginaire de la vitesse, porté dans les villes par l’automobile, a contribué à effacer la marche du paysage urbanistique :
“L’imaginaire de la vitesse est extrêmement dominant dans les villes depuis le XXe siècle, et a continué à s’imposer. Mais c’est un imaginaire construit : la voiture, c’est le 1er budget publicitaire en France ! Si on veut vraiment changer de système de déplacements, pour que la marche puisse prendre sa place, il faut créer des imaginaires alternatifs à la voiture et à la vitesse. Mais c’est très difficile. C’est un imaginaire de la proximité qui va avec la réduction des vitesses.”
Effectivement, il semble nécessaire d’identifier d’autres imaginaires qui puissent rivaliser avec le culte de la vitesse et de la performance en matière de mobilité. C’est du moins l’avis que partage la psychologue sociale Catherine Debrand, qui rappelle à quel point la marche ouvre d’autres externalités positives :
“On envisage trop souvent les choses sous l’angle de l’efficacité. Mais marcher en ville c’est aussi redécouvrir de nouvelles échelles, de nouvelles temporalités, de nouveaux liens avec les habitants…”
On retrouve là les valeurs essentielles d’une ville plus humaine et plus résiliente, déjà évoquées sur la table ronde précédente : il est nécessaire d’englober la marche dans une approche quasi-philosophique, qui embrasse le sujet dans sa dimension pleinement humaine. “Car le piéton est un usager sociable, rappelle Joséphine Combe. C’est le seul qui peut s’arrêter, dire bonjour, interagir avec les autres usagers !” “Les études montrent d’ailleurs que plus un quartier est marchable, plus les petits commerces de proximité en profitent”, rappelle aussi Tom Dubois. Et Laurent Duchemin de corroborer :
“Quand on regarde la ville à hauteur du piéton, on fait davantage attention aux pieds d’immeubles. C’est pour ça qu’on introduit le design chez Bouygues Immobilier. On devrait commencer tous les projets par le cheminement du piéton, du moment où il entre dans le quartier jusqu’au moment où il arrive dans son logement.”
A travers ce nouveau regard porté sur la marche, c’est tout l’urbanisme qui se réinvente, non pas en surface mais bien en profondeur. Changer d’échelle, se mettre “à hauteur des piétons” dans toute leur diversité, permet d’observer la ville sous un jour nouveau. Et donc aussi de penser l’urbanisme de demain tout en gardant les pieds bien ancrés dans le sol. Une manière de concilier la ville rêvée et la ville concrète, les désirs et les possibles, en résonance directe avec les intentions de ce premier Festival Demain la ville.
Vos réactions
TRES INTERRESSANT ET TELLEMENT PLEIN DE BON SENS !!!!!