Le retour du camping-car : les néo-nomades s’adaptent aux modes de vie actuels
L’observatoire de nos modes d’habiter continue, puisqu’on revient aujourd’hui avec la place grandissante accordée au camping-car comme résidence principale dans certains milieux sociaux. « Tout quitter pour faire le tour du monde en camping-car », cela sonne comme un groupe Facebook dans lequel se seraient inscrits des milliers de « vingtenaires » et trentenaires (tant sur le ton de la blague qu’en trahissant un rêve irréalisable…). Et pourtant ce fantasme tragicomique semble de plus en plus être réalisé par une poignée d’individus, devenant dans l’imaginaire collectif le « nouveau rêve américain » !
Ces colonnes ne sont pas étrangères au décryptage des mutations de l’habitat dans ses formes et pratiques. Nous avions notamment abordé la tendance – ancienne mais toujours en vogue – de l’habitat modulaire. Nos collègues d’Usbek & Rica avaient de leur côté « interrogé la notion d’habitat et de campement dans le monde » pour rebondir sur une superbe exposition réalisée à La Cité de l’Architecture et du Patrimoine en avril dernier. Enfin, plus proche encore du présent sujet, on vous conseille la relecture du billet de Lumières de la ville consacré à l’exploration des différentes manières d’habiter mobile. « De tous temps, si l’homme migre et se déplace sur de longues distances, c’est pour fuir une situation de crise, passagère ou pérenne. »
Dans quel contexte socio-économique le (relatif) retour du camping-car comme idéal habitable s’inscrit-il donc de nos jours ? Un certain nombre d’études et d’articles se font ainsi les porte-paroles de cette tendance en plein renouvellement… Si l’on en croit les différents articles publiés récemment (2015-2016) et consacrés à ce nouveau rêve américain, le réveil du camping-car incarne le mode de vie choisi par des groupes sociaux et générationnels bien spécifiques.
Fuite en avant… au volant de mon camping-car !
Dans son ouvrage Young Old: Urban Utopias of an Aging Society publié en 2015, l’architecte Deane Simpson explorait les formes et pratiques socio-spatiales nouvelles qui peuvent (et pourraient) se construire afin de répondre aux besoins des personnes retraitées en quête d’activités et de dynamisme. Alors que la retraite représentait pendant longtemps (et représente encore dans certains cas) une période associée à la dépendance familiale et à la décrépitude, les « Young-Old » incarnent une génération de sexa-septuagénaires en grande forme qui profite notamment de sa situation pour voyager quand bon lui semble :
« An estimated 2 to 3 million people in the U.S. live not in traditional homes, but in campers and RVs, according to Simpson, and the majority are elderly or retired. These nomadic retirees form a kind of mobile retirement community seasonally. Quartzsite, a small town along the Arizona-California border, has hosted a total of up to 2 million senior RV settlers each winter since the 1960s. Events, trade shows, and club meetings create a pop-up community for the season. RV aficionados report greater feelings of independence and freedom when they’re out « on the road.” »
Dans un tout autre contexte, un article de Vice publié en février dernier s’intéressait de son côté à la génération des personnes nées dans les années 1980-1990 (aussi appelés « millenials » en anglais) qui décident, sur le continent américain, de quitter leur routine sédentaire pour s’adonner au mode de vie néo-nomade. Comme un miroir déformant de l’esprit hippie des années 1960, ces individus aux parcours éclectiques prennent « leur vie en main » en partant sur les routes pour répondre à un malaise social généralisé.
« Chris Trenschel and Tamara Murray thought they had the perfect life. They both had successful careers—Trenschel was a budget analyst for the city of San Francisco, Murray was the vice president of a PR firm. They got married, bought a condo. They blew cash at cool, trendy places. There was only one problem: « In a nutshell, » Murray told me, « we were dead inside. »
Les témoignages recueillis dans l’article exposent ainsi une aversion envers le monde du travail contemporain (« work culture »), le monde adulte, ou le système social en général. Ils montrent en revanche que l’abandon de cette vie normée et casanière initiale ne représente en rien une fuite de responsabilités. Elle trahit au contraire une prise de risque courageuse, vécue comme la réponse salvatrice à un désarroi social.
Les nouvelles pratiques et la technologie déplacent les lieux (en nous rendant mobiles)
Que cela concerne les « Young Old » ou les « millenials », ces escapades quotidiennes en camping-car ne tiennent évidemment pas qu’à un élan de motivation. S’il se popularise auprès d’une poignée de couches sociales, c’est surtout parce qu’un certain nombre de paramètres contemporains rendent aisément possible ce mode de vie original. On pense évidemment à la densité des réseaux de connexion Internet ainsi qu’à la démocratisation du smartphone pour une grande partie des populations. Comme l’exprimait François Bellanger sur le blog Transit City :
« La croissance actuelle du marché du camping doit beaucoup au téléphone mobile, qui a banalisé l’idée qu’une vie sans fil était possible et l’a rendue désirable. Le nouveau couple « camping car / mobile », c’est « la caravane + l’information ». »
Au-delà de la démocratisation des téléphones mobiles, c’est évidemment Internet, l’ordinateur portable et l’émergence de nouveaux métiers (sollicitant des savoir-faire conjoints à ces nouvelles technologies) qui nous rendent toujours plus facilement mobiles depuis une quinzaine d’années. Certaines mutations des pratiques de travail (télétravail possible, auto-entreprenariat etc.) qui émergent sont dès lors intimement liées à la popularisation de toutes ces technologies. On le remarque d’ailleurs clairement en constatant les branches de métiers auxquelles appartiennent les quelques interviewé-es de l’article de Vice cité plus haut : ils/elles sont game developer, ingénieurs, ou font de l’animation.
Pour s’adapter à un mode de vie existant, cette expérience néo-nomade n’est donc conciliable qu’avec certains corps de métiers relativement nouveaux. Dans le cas inverse, l’aventure reste réalisable, mais il ne faut pas avoir peur de la rupture brutale. Car même s’il est aujourd’hui possible de travailler en indépendant et à distance, ce n’est évidemment pas l’unique structure de la vie quotidienne qui est transposée dans ce mode de vie néo-nomade.
« The vandwelling life isn’t always glamorous: There are plenty of stories about buying water jugs to urinate in, showering at gyms and rec centers, and just generally struggling to meet daily hygiene necessities. Plus, without the structure of a job or a permanent location, vandwelling can get boring. And not everyone chooses to live out of their vehicle for the romantic promise of a freer, more adventure-driven lifestyle. »
Pour plus de précisions sur l’émergence de ce nouveau mode de vie, on attend avec impatience les résultats de l’enquête menée par le laboratoire Forum Vies Mobiles, avec son superbe projet noLand’s man*.
* « Le projet noLand’s man explore le monde des néo-nomades, ces individus qui rompent avec la sédentarité pour adopter un habitat mobile – des camions aménagés – sans s’inscrire dans la tradition gitane ou tzigane. L’objectif de l’étude est de découvrir les fondements politiques et culturels de ce mode de vie mobile méconnu, les croyances et valeurs qui lui sont associées, mais aussi les savoirs et arts de faire qui lui sont propres et fondent une culture commune qui ne peut être résumée à la marginalité, géographique ou sociale. Il s’agit en particulier de comprendre la spécificité du rapport des néo-nomades à la mobilité. La façon dont les pratiques de déplacement des néo-nomades influent sur leur relation aux territoires est également étudiée de près, afin d’identifier leurs modalités d’ancrage spatial. »
Pour aller plus loin :
- Néo-nomades : un mode de vie du futur ? – sur Forum Vies Mobiles
- Et si le camping car pouvait renouveler l’approche de l’habitat ? – sur Transit City
- Vers un urbanisme de camping cars ? – sur Transit City
Vos réactions
Bonjour,
Si je peux me permettre un témoignage :
J’ai 29 ans, ingénieur logiciel et depuis Février 2016, je vis les 2/3 de mon temps dans mon camping-car, et je suis super heureux avec ce mode de vie 🙂
Je me suis décidé à franchir le cap l’hiver dernier. Je travaillais à l’époque à Genève et se loger dans la région coûte très, très cher. En cumulant le prix d’un petit appartement + les charges + un véhicule à côté + l’assurance, cela me revenait à presque 1500€/mois.
Je ne voulais pas jeter cet argent à la poubelle et je n’avais pas les moyen d’acheter. J’ai donc décidé d’acheter à la place un camping-car récent (2013). Moyennant un financement chez un concessionnaire et mes parents en tant que garant, je me suis offert un Burstner 615T pour env. 42000€, soit 470€/mois pendant 12 ans.
En rajoutant l’assurance à 110€/mois (parce que je suis « jeune conducteur » de leur point de vue), cela me revient à moins de 600€/mois.
J’ai revendu la voiture du coup 🙂
Les charges sont surtout les bouteilles de gaz qui me fournissent eau chaude pour la douche et chauffage. Car oui, contrairement à ce qu’on peut voir dans cet article, la plupart des camping-car possèdent une douche! Donc aucun problème d’hygiène!
J’ai deux bouteilles de propane à 30€. Une bouteille en hiver dure entre 4 et 7j, selon si on est dans le camion la journée ou pas, et selon la température extérieure.
On va dire 4 bouteilles/mois, soit 120€/mois en hiver. Mais dès que le printemps arrive, on passe à 2 bouteilles/mois. Et une seule pendant les 2 mois d’été. Donc en lissant sur l’année, cela ne revient pas si cher.
Pour l’eau, ou c’est gratuit, ou ça coute 2€, selon les aires de service (ou chez des amis). Et je suis autonome en électricité via le panneau solaire du toit (120W) et mes deux batteries de 120Ah. Je n’ai encore jamais été en rade!
Cette vie est parfois fatiguante, surtout quand on ne sait pas où se garer et qu’il faut trouver un endroit sympa et sûr.
Mais les réveils avec la vue sur le Lac Léman, la méditerranée ou les gorges du Tarn, cela n’a pas de prix 🙂
Merci ChristopheH pour ce témoignage !
Je suis sur le point de franchir le pas également (mais à 40 ans). Un grand désir qui montent depuis un certain temps. Seuls les clichés du campingcariste retraité / du jeune marginal / de l’atermondialiste écolo adepte de la décroissance m’ont fait longtemps renoncer à ce projet.
Mais finalement, j’ai décidé de ne pas me préoccuper de la « perception sociale » et de suivre mon envie.