Rénovation énergétique : le plan Marshall du bâtiment
Secteur le plus énergivore dans Paris intra-muros, le bâtiment doit se refaire une beauté s’il veut atteindre les objectifs de neutralité carbone d’ici 2050. De nombreux organismes apportent leur soutien aux copropriétés privées, les aidant à programmer leur travaux et à les financer, parfois au-delà de 70% grâce aux subventions.
D’après vous, quel secteur économique consomme le plus d’énergie en France ? C’est le bâtiment, avec près de 45% de la consommation finale d’énergie, devant le transport (33%) puis l’industrie (19%) et l’agriculture (3%) selon le ministère de l’Environnement. Ce sont en effet 3,45 milliards de mètres carré dans l’hexagone qu’il faut chauffer, éclairer, ventiler etc. À Paris intra-muros où résidentiel et tertiaire sont largement sur-représentés, le pourcentage atteint les 80% des consommation d’énergie du territoire. À cela s’ajoute 20% des émissions de gaz à effets de serre à cause du chauffage au fioul notamment.
La ville de 2050 existe déjà à 70%
Alors que la perspective d’une société décarbonée s’impose peu à peu à notre imaginaire, les conditions pratiques pour sa réalisation nous paraissent chaque fois un peu plus claires, plus difficiles et plus urgentes à la fois. Le calcul est simple. On considère habituellement que la durée de vie du parc immobilier est d’environ un siècle. Chaque année, 1% de bâtiments neufs sont construits. Donc dans trente ans, 30% du parc actuel sera renouvelé. On peut donc dire que la ville de 2050 existe déjà à 70%. Pour réduire les consommations, s’attaquer au bâtiment, c’est s’attaquer à cette réserve d’immeubles qui date de la moitié du XXème siècle et dont l’efficacité énergétique n’est pas du tout en adéquation avec les enjeux climatiques.
Dès 2005, la Ville de Paris décide d’élaborer un Plan Climat qu’elle adopte à l’unanimité en 2007 au Conseil de Paris. Complété en 2015, celui-ci prévoit une feuille de route pour faire de la capitale une ville à zéro émission carbone en 2050 et pour diviser par deux sa consommation énergétique. Grâce à un calendrier à trois échéances (2020, 2030 puis 2050) et différents chantiers thématiques (mobilité, déchets, alimentation…) Paris espère devenir un territoire sobre et résilient. Le bâtiment n’est évidemment pas en reste et doit subir un lifting d’ampleur : 1 million de logements doivent être rénovés à un niveau très basse consommation. Pour cela, l’Agence Parisienne du Climat (APC) est fondée en 2011 comme un guichet unique pour accélérer la transition énergétique sur la métropole du Grand Paris.
Des copropriétés en chantier
Autant le dire, le chantier est titanesque. Il faut mettre en branle le marché de l’éco-rénovation et lui faire rapidement atteindre un rythme de croisière permettant d’atteindre les différentes échéances. Le 16 avril dernier, à l’occasion de la 7ème édition du forum de l’éco-rénovation, Anne Girault, directrice générale de l’APC, détaillait la marche à suivre : « Un premier chantier est de segmenter le marché. Il y a 43 000 copropriétés à Paris, on ne peut pas les attaquer toutes de la même manière. On peut commencer par exemple par les copropriétés des trente glorieuses, qui datent d’avant la première réglementation thermique et qui sont en chauffage collectif. On a attaqué aussi les copropriétés chauffées au fioul et maintenant on aide les petites copropriétés avec le chèque à l’audit de 5 000 euros pour faciliter la réalisation d’un audit énergétique global et inciter à entamer les démarches ».
Dans les salons de la Mairie de Paris où se tient le forum, élus, entreprises et copropriétaires curieux discutent autour de stands. Ici on peut découvrir des revêtements isolants pour toiture, là un bureau d’études thermiques ou une banque de financement et plus loin la plateforme CoachCopro. Ce service gratuit de la rénovation est une plateforme web destinée à gérer un projet de A à Z. Il met à disposition un tableau de bord personnalisé, des outils, de la documentation, un annuaire de professionnels spécialisés et permet surtout de contacter un conseiller par téléphone. Dans la salle suivante, une conférence vante les mérites de la surélévation : une pratique consistant à ajouter un ou plusieurs étages au-dessus d’un immeuble. En créant ainsi des logements, la copropriété peut financer en grande partie ses travaux de rénovation énergétique. Seul obstacle : il faut d’abord comprendre la réglementation sur les hauteurs à Paris.
Le casse-tête des subventions
Pour convaincre les propriétaires de se lancer dans d’ambitieux travaux de rénovation, la politique est à l’incitation. En effet, de (très) nombreuses aides financières sont mises en place comme le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), l’éco-prêt à taux zéro (éco PTZ), la TVA réduite pour les travaux d’amélioration de la qualité énergétique, l’aide des entreprises de fourniture d’énergie (CEE), le programme « Habiter Mieux » de l’Agence Nationale de l’Habitat (Anah)… Face à cette multiplication d’aides, un spécialiste en ingénierie financière est chaudement recommandé pour tout projet d’audit. En cumulant les aides, certains ménages à revenus modestes peuvent être subventionnés jusqu’à 73% de leur travaux.
Certains y voient en revanche un millefeuille indigeste. C’est le cas d’Yves Contassot, le président de l’APC également interrogé lors du forum. « Concernant les aides et dispositifs du gouvernement, je pense qu’on n’est pas à la hauteur. La fiscalité écologique rapporte plus de 4 milliards d’euros par an et sur ces 4 milliards, 90% ne servent pas à la transition écologique. Ça sert au CICE qui n’a aucun impact climatique. Il faut impérativement que cette fiscalité écologique soit fléchée sur la transition écologique. » Sans détour, le conseiller de Paris élu depuis 2001 affirme : « l’agence a démontré la robustesse, maintenant il faut considérablement accélérer le processus. Sinon il faudra plus d’un siècle pour atteindre les niveaux requis pour 2050. »
Pour Olivier Sidler, membre fondateur de l’association négaWatt qui milite pour la transition énergétique, « il semble plus judicieux de supprimer l’ensemble des dispositifs actuels et d’utiliser cet argent pour financer les intérêts d’un unique prêt à taux zéro, disponible dans un unique guichet au moyen d’un unique formulaire, à disposition de tous ceux qui veulent rénover. » Pour de polytechnicien spécialisé dans l’énergie, l’incitation financière n’est d’ailleurs pas satisfaisante et la rénovation énergétique devrait être rendue obligatoire. C’est selon lui le seul moyen pour qu’ait enfin lieu le changement d’échelle invoqué par tous.