Renouer avec la tradition d’accueil des villes
Ces dernières semaines, de nombreux maires français ont déclaré être prêts à accueillir des citoyens afghans cherchant à fuir le nouveau régime des Talibans. Un élan d’accueil qui replace les villes dans leur rôle primaire : celui de terres d’asile.
Au-delà des effets d’annonce, comment accueillir ces réfugiés ? Quelles solutions architecturales et urbaines peut-on mettre en place ? Que peut-on apprendre des welcoming cities qui se sont constituées en réseau depuis plusieurs années? Et plus généralement, comment renouer avec la culture ancestrale de l’accueil en ville ?
L’accueil des réfugiés, une affaire urbaine
“Strasbourg, dans sa longue tradition de ville hospitalière, est prête à accueillir les Afghans et Afghanes qui cherchent refuge en France et arriveront sur notre sol”, “À Grenoble, nous nous organisons pour accueillir les réfugiés”, “Il en est de notre devoir d’humain”. Autant de déclarations de maires, respectivement ici de Strasbourg, Grenoble et Saint-Etienne, qui ont annoncé vouloir accueillir des réfugiés afghans fuyant le régime taliban en août dernier. Des déclarations qui dépassent l’histoire de chacune de leur famille politique, mais qui cherchent plutôt à renouer avec une tradition d’accueil des villes. Les suites concrètes de ces annonces ont cependant très vite été interrogées, puisque l’accueil des réfugiés ne dépend pas du bon-vouloir des municipalités, mais demeure une compétence de l’État.
Cela n’a pour autant pas empêché certaines municipalités de mener des politiques publiques d’accueil d’exilés et de réfugiés, quitte à devoir engager un bras de fer avec l’État. C’est par exemple le cas de la ville de Nantes dont le nombre de demandeurs d’asile a doublé entre 2016 et 2017, passant de 1 600 à 3 200. La collectivité a alors créé un nouveau poste de chargé de mission dédié à l’accueil des migrants, symbole fort d’une prise en charge de la question à l’échelle locale.
Une première étape de l’action municipale s’est inscrite dans une logique humanitaire par la distribution de kits hygiéniques et de repas, des actions spécifiques envers les jeunes migrants non-reconnus mineurs ou encore par l’extension de l’offre d’hébergement à tous les demandeurs d’asile. La ville a également agi dans l’urgence en improvisant des solutions comme celles de baux précaires avec l’association Une Famille Un Toit, avec l’espoir de faire basculer les bénéficiaires dans le parc de logement social classique dans un second temps.
Le paroxysme de cette situation nantaise a été atteint lorsque le Plan Communal de Sauvegarde a été déclenché, alors qu’il est censé être réservé aux catastrophes naturelles. Des centaines d’agents de la ville se sont alors déclarés volontaires pour ouvrir en urgence cinq gymnases de la ville, des sanitaires et des douches publiques, mais aussi pour distribuer des kits et servir des repas. Pour financer cette opération humanitaire de grande ampleur, Nantes s’était alors tournée vers l’État pour demander les quatre millions d’euros dépensés, en arguant que l’accueil des réfugiés est une compétence étatique. Ce dernier, comme lorsque la ville de Paris l’avait sollicité pour la prise en charge de milliers de migrants, avait adressé une fin de non-recevoir.
Ce type d’actions, qui se situent en porte-à-faux avec les politiques nationales, n’est pas uniquement nantaise, et on peut trouver des initiatives similaires à Villeurbanne, Grenoble et même dans toute l’Europe et au-delà. Ces villes qui placent l’accueil des réfugiés au cœur de leur action se sont même constituées en différents réseaux comme Welcoming Cities, l’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants ou en se basant sur des groupes déjà constitués comme Eurocities.
Un accueil protéiforme
Un des leviers principaux à actionner pour accueillir est bien évidemment celui de l’hébergement. Ce n’est pas sans raison que le collectif “Réquisitions” qui avait incité des réfugiés à s’installer sur la place parisienne de la République réclamait par cette action “un hébergement stable, immédiat et décent”. Différents acteurs, notamment les bailleurs et les associations, cherchent justement à proposer des solutions plus durables et vivables que les camps installés dans les espaces périphériques des villes, que ce soit sur des terrains vagues, des zones industrielles, ou sous des infrastructures de transports.
En 2016, L’État français a notamment décidé de démanteler ce qu’on appelait alors “la jungle de Calais”, au sein de laquelle 9 000 réfugiés souhaitant se rendre au Royaume-Uni avaient été envoyés dans différents CAO (Centres d’Accueil et d’Orientation), à travers toute la France et notamment, pour beaucoup, dans des villes moyennes. Une stratégie à laquelle s’était par exemple opposé Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, et qui avait déjà fait réagir une vingtaine de maires se présentant comme solidaires.
Parmi celles-ci, la ville d’Issoudun dans l’Indre avait accueilli 50 réfugiés, des jeunes hommes isolés entre 18 et 25 ans, dans des locaux de bureaux transformés en CAO. Le bailleur social OPAC 36 avait alors mené un travail de cartographie des logements vacants, main dans la main avec la municipalité, pour loger les nouveaux arrivants un peu partout dans la ville, dans le diffus. Des actions similaires ont émergé dans d’autres villes comme à Cahors, où le choix a été fait de loger les 27 personnes accueillies dans une seule résidence du centre-ville au sein de six appartements en colocation.
Deux réponses qui correspondent à deux visions en débat dans l’accueil des réfugiés : faut-il chercher à faire vivre des migrants issus de différents pays et cultures dans des grands logements dans un objectif de “vivre-ensemble”, ou est-il préférable de les intégrer dans des appartements plus petits et dispersés, pour favoriser leur indépendance ?
Si la réponse à cette question reste sujette à débats, le point commun de toutes ces actions est qu’elles constituent une opportunité pour les bailleurs de lutter contre la vacance de leur parc de logements. L’association Yes We Camp fait partie des acteurs de l’occupation temporaire, qui exploite le foncier délaissé notamment pour le mettre à disposition des réfugiés, en collaboration avec l’association Aurore que ce soit sur la friche des Cinq Toits ou celle des Grands Voisins. L’association Habitat et Humanisme a également travaillé avec la mairie du 7e arrondissement de Lyon au niveau de la friche Nexans pour la réalisation d’un village mobile pour l’insertion des réfugiés là aussi avec une convention d’occupation temporaire. Les opportunités se multiplient donc pour créer des synergies entre accueil des réfugiés et fabrique de la ville.
L’accueil au-delà de l’hébergement
Bien que ces initiatives soient essentielles pour permettre l’accueil des réfugiés, le logement ne fait pas tout, et d’autres associations et structures travaillent également sur la question de l’insertion professionnelle. L’exemple d’un ancien ministre de la communication afghan devenu livreur de repas à Leipzig, où il est réfugié, est par exemple caricatural de la situation. L’association Singa s’engage justement auprès des réfugiés en leur proposant notamment des incubateurs d’entreprises à Paris, Lyon et Nantes. Les porteurs de projet ont alors l’opportunité d’être accompagnés pendant six mois, en bénéficiant à la fois d’un suivi personnalisé mais aussi de l’émulation permise par la rencontre avec d’autres entrepreneurs engagés pour l’inclusion et le vivre-ensemble.
La dimension de l’insertion professionnelle recouvre d’ailleurs 2 des 14 propositions formulées par un jury citoyen de villeurbannais, au sein de leur rapport “Accueillir à Villeurbanne”. Une initiative particulièrement intéressante puisqu’elle a réfléchi à tous les aspects pour permettre aux nouveaux arrivants de s’intégrer à la communauté locale, mais aussi pour changer le regard des habitants sur ces nouveaux venus. Cette mission avait été confiée par l’ancien maire Jean-Paul Bret à Cédric Van Styvendael, qui a depuis récupéré son fauteuil. Vingt-six habitants, dans une commission paritaire et pour presque deux tiers tirés au sort, se sont donc réunis pendant cinq mois pour réfléchir avec des experts et à travers le design thinking, tout en étant rémunérés par la ville.
Ce rapport, versé au maire au printemps 2019, formulait donc plusieurs propositions très concrètes qui touchaient à la ville : la mise en place d’un lieu unique bien identifié avec tout un ensemble de services pour les migrants, la réouverture et l’aménagement de nouveaux bains douches, ou encore des cours de langues, des actions en milieu scolaire et de liens avec les entreprises locales.
En plus d’apporter des réponses concrètes et multiples à la question de l’accueil des réfugiés, le jury citoyen a permis aux participants de changer leur regard sur ces nouveaux venus, et de comprendre la diversité et la complexité de leurs parcours. Le rapport insiste fortement sur une dimension majeure : “Les migrantes et les migrants sont des personnes ressources”.
L’accueil, une tradition millénaire
Toutes ces initiatives et ces constitutions réseaux très récentes autour de la “nouvelle” crise migratoire ne sont en fait que les héritières de traditions bien plus anciennes. Ville et inhospitalité nous paraissent être des termes antinomiques, et la situation actuelle pourrait être l’occasion de rappeler, de célébrer et de défendre la tradition d’accueil de nos villes. Il suffit d’ailleurs de consulter la page internet du magazine de la ville de Grenoble pour se rendre compte que cet héritage est revendiqué par les villes qui annoncent aujourd’hui vouloir accueillir des réfugiés afghans.
Cette tradition historique transcende les partis politiques et l’histoire, comme on peut l’observer depuis quelques années sur la côte basque française, de Bayonne à Hendaye, frontalière de la péninsule ibérique. Interrogé par France 24, le maire Kotte Écénarro faisait un parallèle entre les réfugiés syriens et les réfugiés du franquisme : “En 1936, sur ce même pont, nous avons accueilli en quelques jours près de 10 000 réfugiés républicains et basques espagnols qui ont franchi la frontière alors que la population hendayaise n’était que de 4000 personnes.”. Une manière de remettre les pendules à l’heure.
La plupart de ces réfugiés qui traversent la frontière au niveau de la côte passent ensuite par la ville de Bayonne, plus grande ville de la communauté d’agglomération, par laquelle circule la majorité des bus. Au pied de la citadelle militaire et sur les bords de l’Adour, un nouveau lieu judicieusement intitulé Pausa a été pensé et animé par des bénévoles pour permettre aux migrants de profiter d’une pause sur leur long parcours. Ce lieu leur permet de se reposer, de se nourrir et même de participer à des animations grâce à l’action de bénévoles investis depuis plusieurs années. Une action soutenue par le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray, qui tisse des liens avec d’autres villes engagées sur le même terrain.
Mais on peut faire remonter la tradition d’accueil des réfugiés à Bayonne jusqu’au quinzième siècle à travers la population juive d’Espagne et surtout du Portugal qui est venue pour s’installer dans la région et notamment à Saint-Esprit, aujourd’hui quartier nord de Bayonne, pour fuir l’Inquisition. Leur héritage sur la ville est aujourd’hui capital puisqu’ils sont les premiers à avoir créé des ateliers de transformation de fève de cacao en chocolat, qui est devenue un élément central de l’économie locale dans les siècles suivants, et qui permet aujourd’hui à la ville d’être une capitale mondialement reconnue du chocolat.
Cette anecdote, comme des milliers d’autres, illustre l’apport phénoménal qu’ont les réfugiés pour les villes et pour les vies. Les villes ont aujourd’hui tout à gagner à s’emparer de ces dynamiques culturelles pour fédérer autour d’elles, en considérant les réfugiés comme des personnes ressources comme tant d’autres. Que ce soit d’un point de vue de l’aménagement, architectural, politique ou social, il nous faut soutenir les actions qui permettent à toutes et tous d’être accueillis en ville, et ainsi renouveler avec une tradition inscrite dans leur ADN.