Réinventer le plan de métro pour une mobilité durable
Les moyens et les façons de se déplacer en ville se sont vivement diversifiés – voire complexifiés, n’ayons pas peur de le dire. Dans ces conditions, le “plan” de transport revêt une importance fondamentale, principal référent de la mobilité durable et des nomades urbains dans leurs pérégrinations quotidiennes. Symbole suprême de la “simplexité” qui caractérise nos villes modernes, le plan de métro essuie naturellement les attentions d’innovateurs multiples. Designers, géographes et même artistes cherchent en conséquence à mieux adapter cet indispensable outil aux réalités contemporaines de la “ville en flux et la « mobilité durable ».
Plan de métro de Paris, exemple de mobilité urbaine durable crédits RATP
La carte, fragment de modernité
Avant d’attaquer la question de front, rappelons que la question du “plan de métro” s’inscrit dans un contexte plus large : celui de la mue des outils cartographiques, notamment portée par la généralisation des technologies personnelles et la démocratisation des cartes numériques sur ces supports. La carte, outil millénaire, s’en trouve dès lors transformée en profondeur.
En quelques décennies, cartes et plans urbains ont ainsi pris une place de choix dans les réflexions et les productions innovantes liées aux urbanités et à la mobilité durable. On relira pour s’en convaincre les médias géolocalisés, du chercheur et prospectiviste Nicolas Nova. De même, l’excellente émission place de la toile, consacrée aux cultures numériques, s’interrogeait très récemment sur les raisons de la prolifération des cartes géographiques sur le web… Voilà qui donne du grain à moudre au sujet du jour, version exacerbée de la carte traditionnelle.
Les transports en commun en pleine hybridation
Deuxième volet de ce panorama de préambule, les mobilités urbaines incarnent l’un des champs les plus concernés par l’essor des technologies numériques en ville. Tous les modes de déplacement ont aujourd’hui leur(s) application(s) pour smartphone, chacune d’entre elles se focalisant sur un ou plusieurs usages spécifiques à chaque mode : du classique calcul d’itinéraire jusqu’aux réseaux sociaux permettant de géolocaliser les contrôleurs, en passant par les jeux urbains tirant partie des “data” des usagers… la seule limite est l’imagination.
Cette prolifération de nouveaux services d’aide ou d’accompagnement des mobilités urbaines a d’importantes conséquences sur l’économie des transports en commun. De l’automatisation à la dématérialisation des offres, les services proposés par les opérateurs, ou développés par les usagers eux-mêmes, contribuent à révolutionner le secteur. Inévitablement, se pose alors la question de l’open-data dans la ville.
De l’open data à l’open subway map
L’open data en effet la porte d’entrée la plus idoine pour comprendre les nouveaux horizons du plan de métro à l’heure numérique. La politique d’ouverture des données publiques est en pleine effervescence depuis quelques années, notamment chez les opérateurs de transports. En France, Keolis Rennes, pionnier en la matière, rejoint progressivement par les grands opérateurs tels que la RATP. Et ce sont à chaque fois les dispositifs cartographiques qui se retrouvent sur le devant de la scène, comme l’exprime Simon Chignard, consultant et auteur d’un blog spécialisé : “La représentation cartographique pré-existait bien entendu au mouvement d’ouverture des données, mais l’open data lui a donné un nouveau souffle. Les visualisations peuvent être ludiques ou avoir un objectif professionnel.”
En décembre 2011 déjà, s’organisait dans le célèbre incubateur parisien La Cantine une réunion ouverte et participative consacrée à la “Cartographie des transports en commun”. Les représentants de la crème du secteur (RATP, faberNovel, Sillicon Sentier, OpenStreetMap France, Mappy etc.) et le grand public étaient alors réunis pour “discuter de cartographies schématiques, dynamiques, géolocalisées pour les réseaux de transports en commun”.
Sur le même sujet mais avec un autre angle d’attaque, le français Ubisoft s’est récemment saisi de ces questions pour la campagne virale de son jeu vidéo Watch Dogs. La plateforme web We are Data met en effet à disposition une cartographie interactive de Berlin, Londres et Paris affichant dynamiquement tout un tas de données publiques en accès libre. Les transports en commun font évidemment partie de la visualisation puisqu’il est possible d’observer le métro se déplacer en temps réel… Un bel exemple de réappropriation de la tendance que fondent ensemble la cartographie, l’open data et les transports urbains !
La carte nous ment-t-elle ?
Si le numérique et la data contribuent donc à insuffler au plan de métro un nouvel élan d’innovation, encore faut-il s’interroger sur l’intérêt que cela représente pour les premiers concernés : les usagers. Le magazine Slate résumait récemment la question avec une formule lapidaire : Pourquoi les plans de métro nous trompent.
“Depuis que les plans de métro existent, les voyageurs ont sous les yeux des schémas de transport urbain qui n’ont rien à voir avec la géographie des villes et les distances réelles entre les lieux. Ainsi, selon le professeur Guo, le plan de métro trompeur a deux fois plus d’influence sur les itinéraires pris par les voyageurs que la réalité et cela aboutit en moyenne à augmenter de 15 % le temps passé sous terre.”
Dans cette perspective, réinventer la carte des transports en commun d’une ville se révèle un véritable demeure une problématique en vogue chez les urbains. La question est alors essentiellement graphique.
Enrichir le déplacement, dans le fond comme dans la forme
Les réflexions tournent alors bien souvent autour de deux arguments principaux : réduire le temps de déplacement et favoriser l’intermodalité, auxquels s’ajoute une volonté plus générale de rendre compte de la “qualité d’un déplacement” (notamment pour les personnes plus fragiles), à l’instar de ce qui se fait à l’échelle urbaine. Autre exemple, un studio new-yorkais Butterfruit Labs a récemment conçu une carte des transports de Manhattan localisant les meilleurs coffee shops de la ville accessibles à proximité du réseau de métro.
De même, cette fois en réponse aux problématiques précédemment évoquées, le chercheur en psychologie Max Roberts – et cartographe amateur – se donne pour mission de redessiner les plans de métro des grandes capitales. Voilà par exemple la carte qu’il a réalisé pour Paris, selon lui bien moins “mensongère” que l’originale :
“Some networks are so complicated that I wonder whether any linear schematic could tame it in any way. The Paris Metro map in an impenetrable tangle of zigzags, and so I experimented with all-curves maps in which the harsh corners are smoothed away so that the gaze flows across the page without constant interruptions. This map is 50 percent faster for journey planning than the official map. When you think about all the tourists in Paris, that’s a lot of time saved.”
La simplexité au service des usagers du métro
Cette carte curviligne reste toutefois relativement complexe à décrypter. C’est, de fait, l’un des plus gros défauts des plans de métro et de la multiplication des interconnexions. Dans son ouvrage Homo Mobilis, le prospectiviste Georges Amar (anciennement à la RATP) pointait ainsi du doigt ce chiffre méconnu : jusqu’à 20 % des Franciliens seraient “carto-analphabètes”, ne sauraient pas lire ou se repérer sur une carte.
En cause : une trop grande complexité des réseaux, et donc une incapacité à profiter pleinement de l’intermodalité qui va avec. A l’heure où les stations de métro ambitionnent de devenir de véritables “hubs” de mobilité durable ; où les voyageurs doivent sans cesse interagir avec de nouveaux réseaux et même de nouveaux modes (voiture et vélo en partage, par exemple) ; et où les attentes des voyageurs en termes de services annexes explosent et se morcellent ; le plan de métro joue logiquement un rôle de “clé de voûte” particulièrement délicat. Ajoutons à cela les usagers ne parlant pas la langue et les “mensonges” précédemment évoqués, on comprendra la nécessité d’une réflexion approfondie sur l’objet cartographique lui-même, dont nous sommes aujourd’hui pleinement dépendants.
Publicis s’en était d’ailleurs “amusé”, dans une campagne de sensibilisation aux maladies du cerveau réalisée pour l’ICM, en effaçant les noms de stations sur des plans parisiens afin de sciemment désorienter les usagers. Une manière efficace de rappeler, sans le vouloir, l’importance qu’occupe le plan de métro dans nos vies et dans la mobilité urbaine. On a parfois tendance à l’oublier : ce panorama souhaitait donc rendre au plan de métro les mérites qui lui appartiennent. Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, à grand renfort d’innovation et d’intelligences.
par Philippe Gargov et Margot Baldassi