La crise. Depuis une dizaine d’année, pas un jour sans que nous entendions prononcer ce mot. Crise bancaire, crise du logement, crise identitaire… La crise a fait des petits et semble toucher aujourd’hui tous les domaines de la société. Et parmi les domaines désormais coutumiers de la crise, le commerce peine à s’en sortir. En témoignent les centres-villes désertés ou encore la part de marché toujours plus grande gagnée par l’e-commerce. Il est un commerce qui souffre plus particulièrement de cette crise. Véritable artisan de la proximité, le bureau de tabac a mauvaise presse. C’est donc autour du sujet « le buraliste de demain » que les étudiants de première année de cycle master Ville Durable de l’École de design Nantes Atlantique ont été amenés à réfléchir par la Confédération des buralistes de France. Au-delà de présenter des projets pour une profession et un type de commerce, les étudiants nous invitent à repenser nos rapports au service et à la proximité, à utiliser les ressources locales et le numérique à bon escient. Retours sur leurs propositions encadrées par les designers Giulia Sola et Benjamin Walsh et présentées à Losangexpo, le Salon des buralistes.

Un commerce à réinventer : le bureau de tabac (c) L’École de design Nantes Atlantique

Un commerce particulièrement touché

Pourquoi s’attaquer précisément au bureau de tabac ? Il symbolise à lui seul les défis auxquels le commerce doit faire face.

• Mondialisation : acheter ses cigarettes à l’étranger revient beaucoup moins cher (sans parler de la contrefaçon).
• Numérique : les ventes de presse sont en chute libre au profit des sites d’informations en ligne et en direct.
• Augmentation des prix : les mesures de santé publiques (sur lesquelles bien sûr il n’est pas question de revenir) vont dans le sens d’un paquet toujours plus cher.
• Image vieillissante : rien que le fait d’évoquer les initiales PMU suffit à faire fuir les hipsters.

S’ajoute à cela le besoin de repenser un espace de vente avec l’apparition des paquets de cigarettes neutres.

Pourtant, le bureau de tabac présente de nombreux atouts, à commencer par sa présence sur l’ensemble du territoire français : on compte 25 500 bureaux de tabacs en France, ce qui en fait le premier commerce de proximité. Plus de la moitié d’entre eux (57%) font aussi bar, ce qui en fait un espace de convivialité. Mais le bureau de tabac est aussi un passage quasi-obligatoire dans la vie de tout un chacun : vente de timbres et timbres fiscaux, vente de titres de transports, retrait de colis : le buraliste est multitâche. C’est donc forts de ces problèmes, mais aussi de ces atouts, que quatre équipes d’étudiants en première année de cycle master Ville Durable de l’École de design Nantes Atlantique ont planché pendant 6 mois pour proposer de nouveaux concepts et services afin de renforcer l’attractivité, la proximité et la convivialité.

Le bureau de tabac, symbole de la proximité, est particulièrement touché par la crise et doit se réinventer

Avant le projet : la phase d’observation

Afin de ne pas proposer un projet totalement hors sol et donc inadapté à son contexte, le designer se doit de passer tout d’abord par une phase d’observation des usagers, ici du bureau de tabac. Et il ne s’agit pas seulement d’étudier le comportement des clients, mais de regarder l’agencement, les matériaux, la lumière, la façon dont on circule, les contraintes du buraliste (comment il travaille, quels espaces lui sont nécessaires ou optionnels…).

Pour cela, les étudiants ont choisi de se rendre sur trois typologies de sites : le bureau de tabac de centre-ville (ou centre-bourg), le bureau de tabac de centre commercial et le bureau de tabac en zone touristique (la zone littorale par exemple), analysant les forces et les faiblesses de chacun d’entre eux. Les axes soulevés tournent autour de la présentation, souvent peu pratique (on a tous fait l’expérience de devoir se plier en quatre pour chercher un exemplaire de son journal favori), surchargée et monotone, de la fonctionnalité qui fait aujourd’hui fait cruellement défaut dans la majeure partie des cas, et des liens avec l’écosystème local à renforcer pour favoriser l’image de proximité.

La phase d’observation permet de mettre en avant les problématiques (c) L’École de design Nantes Atlantique

« Le récréatif » : de nouveaux modes de fonctionnements et de consommation

Le projet imaginé par Florentina Carrier, Qingyuan Lyu et Juliette Mary s’intitule « Le récréatif ». À travers ce projet, les étudiantes ont voulu « apporter une nouvelle expérience de consommation aux clients ainsi que de nouveaux modes de fonctionnement pour les buralistes ».

Avec le concept « Le récréatif », les étudiantes proposent un nouvel agencement de l’espace de vente (c) L’École de design Nantes Atlantique

Elles se sont inspirées du monde de l’enfance et des manèges pour proposer des formes et des lumières agréables et fluides. Les paquets de cigarettes prennent désormais place dans un manège à tabac, une tour de rangement qui relie la réserve à la boutique. Par un système de rotation par rayon, le stock peut être rempli et alimenté en continu, ce qui facilite aussi le rangement et le repérage des futurs paquets neutres.

L’espace et l’esthétique sont épurés, les cigarettes prennent place dans un manège à tabac (c) L’École de design Nantes Atlantique

Mais l’idée majeure du projet réside en la création d’un espace central modulable couplé à une application : le twister. Les jeunes filles l’ont pensé comme « un module central, unique pour chaque bureau de tabac de France. Composé de plusieurs plaques de bois de différentes tailles, il est modulable selon les fonctions et les événements qu’il accueille. Des événements ont un thème unique par mois choisi par le buraliste. Une application est reliée au twister afin d’informer les clients des thèmes et des événements organisés autour de celui-ci ». De plus, le twister permet d’offrir aux buralistes le choix de leur composition d’espace. Pour simplifier : « en tant que designer, nous offrons aux buralistes un jeu de construction et de gestion, ensuite, c’est à eux de jouer ! ».

Les étudiantes proposent la création d’un espace central modulable couplé à une application : le twister (c) L’École de design Nantes Atlantique

Par Zélia Darnault, enseignante à l’École de design Nantes Atlantique.