Univers-cités : le regain d’intérêt pour les thésards dans la fabrique des territoires
Avez-vous entendu parler de l’ambition de Nicolas Détrie de faire rentrer la ville collaborative à l’université ? Le cofondateur du collectif Yes We Camp a en effet proposé à l’université Paris-Est d’instaurer un diplôme universitaire afin d’y développer le mode « PPP », Participatif Public Privé. De quoi nous donner à méditer…
Au cours de l’histoire de l’Europe occidentale, les universités ont de prime abord joué un rôle catalyseur dans le développement des villes, avant d’être reléguées en périphérie, voire un tantinet oubliées dans la gouvernance locale et la culture territoriale. Face à ce constat, on s’est alors demandé ce qu’il en était du rôle et de la place des universités – et plus particulièrement de celui de la recherche universitaire – dans l’écosystème territorial ? Aussi, dans quelle mesure la redéfinition des relations entre universités et acteurs publics signale-t-elle l’ouverture d’un nouveau récit territorial ?
Décortiquer les enjeux de demain, sans perdre son latin
Du latin Universitas, le terme Université se rapporte à la généralité, voire l’universalité des choses en ce monde. A l’origine, l’acception donnée à ce mot si commun renvoie à l’idée d’une communauté, d’une corporation, et plus particulièrement d’un corps d’enseignant. Par métonymie, le terme désigne aujourd’hui l’établissement d’enseignement et de recherche. Ce dernier pouvant être de nature juridique publique ou privée.
Au XIIIe siècle, de nombreuses universités ont redessiné le paysage territorial dans les pays prospères d’Occident tels que l’Italie, notamment grâce à la libéralité de l’Eglise catholique. C’est alors qu’en 1289, la bulle papale Quia Sapientia crée officiellement l’université de Montpellier et procède au rassemblement des études de médecine et de droit. Cependant, toutes les disciplines y sont étudiées, permettant une reconnaissance des diplômes dans toute la Chrétienté.
Mais puisqu’à chaque saison, la césure a ses airs de fêtes, il n’a pas fallu longtemps lors de la Révolution française pour que l’on ferme les portes de ces assemblées d’intellectuels. A chaque époque, une volonté de réorganiser l’instruction publique réaménage les villes. Au Premier Empire, on redonnera leurs lettres de noblesses à ces laboratoires d’idées, toutefois sous un visage plus resserré. La création de Grandes Ecoles orientées vers les sciences et les technologies, (ex : les Ponts et Chaussée), jusque-là sous représentées dans les universités, s’explique notamment par la volonté en filigrane d’assurer l’expansion territoriale et le développement économique de l’Empire.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la prolifération des universités aux quatre coins des pays occidentaux est perçue comme gage de rayonnement politique, économique et culturel. Les États poussent alors les universités à être utiles au développement économique et à l’employabilité des étudiants.
Innover par la recherche…
Questionner les relations entre universités et territoires suppose d’analyser leurs interdépendances et leurs capacités à collaborer à l’heure de la Grande Transformation, pour reprendre l’intitulé de l’ouvrage de Karl Polanyi. Cet économiste hongrois à la pensée visionnaire préconisait déjà, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la construction d’une « économie plurielle », basée sur l’échange et la réciprocité entre acteurs afin que le marché soit réencastré dans le rapport social.
De ce fait, les échanges entre les universités (entendues ici par le prisme de la recherche), dans leur environnement géographique, sont susceptibles de rentrer dans cette économie plurielle, jouant un rôle clé dans le processus d’innovation. Dans cette configuration, les universités sont assimilées en tant que « clusters », ou pôles de compétitivité qui tendent à se spécialiser dans un secteur en particulier. Loin du cliché des rats de laboratoires, les chercheurs ressemblent aujourd’hui davantage à des entrepreneurs-makers.
Sous tutelle du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, les universités et leur personnel ont essuyé de nombreuses réformes au cours des vingt dernières années. En 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU, a notamment élargi leurs compétences et en même temps réduit leurs capacités de financement… Cette situation aurait pu faire office d’intrigue d’une tragédie grecque. Alors même qu’elles obtenaient leur autonomie, l’Etat venait trouer leur porte-monnaie. Et parce qu’il faut la jouer rusées face à certaines circonstances, les universités ont sollicité des financements auprès des écosystèmes locaux – dans un premier temps les entreprises et la Région, puis de nouveaux partenaires tels que les métropoles, désireuses de renforcer leurs politiques en matière de recherche et d’innovation.
… Rayonner par l’université
La recomposition de ces relations entre acteurs publics traduit en filigrane une certaine ambition, celle de transformer les services publics afin de les rendre plus accessibles et plus attractifs. En somme : capitaliser les savoirs au profit d’une économie de la connaissance à l’échelle d’un territoire.
Le récent mouvement de retour en ville des universités s’entrevoit au regard d’intérêts économiques, bien entendu, mais également par l’émergence d’aménités urbaines au sein des quartiers universitaires. En tant que vitrine internationale à l’échelle urbaine, faire partie des happy few des universités de rang mondial devient un enjeu majeur pour ces établissements en quête d’attractivité. Ce n’est pas pour déplaire aux collectivités, restées longtemps écartées de ce champ de compétence, qui s’ouvrent peu à peu à de nouvelles interactions avec ces établissements.
D’abord impulsées par des acteurs privés au tournant des années 2000 dans pléthore d’universités américaines, les collaborations pluridisciplinaires entre chercheurs de laboratoires et entreprises a permis l’émergence de projets qualifiés d’innovants (par les méthodes utilisées et par les nouveaux services développés au sein des communautés apprenantes). Ces modus operandi d’un nouveau genre tendent aujourd’hui à se généraliser au sein des gouvernances territoriales.
Sur le terrain, les SATT – sociétés d’accélération de transfert de technologies -, dans lesquelles les universités ont un rôle prégnant, se multiplient avec pour objectif de traduire les résultats de la recherche d’innovation vers les secteurs économiques. Avatar de l’attractivité de leur territoire, ces structures tentent de faciliter l’innovation en stimulant les chercheurs et les autres acteurs locaux au travers de projets cassant les logiques de silos.
Ainsi, la recherche universitaire se trouve aujourd’hui mobilisée pour nourrir les réflexions stratégiques des collectivités, bousculant le modèle en place par leur propre fonctionnement. Le recours à des universitaires dans ce processus permet dès lors une internalisation des compétences ainsi qu’une meilleure agilité et réflexivité dans la conduite de l’action publique.
Pour les collectivités, s’appuyer sur les universités présente de fait un bon nombre d’avantages. Notamment, « l’expertise universitaire est pointue et moins coûteuse que le recours à un cabinet de consultants », comme le soulignait franchement le Directeur général des services de Saint-Nazaire… Au regard des ressources de financement exsangues des universités, il faut avouer que le pari peut se révéler gagnant des deux côtés.
Le territoire en laboratoire : qui veut gagner des doctorants ?
D’un autre point de vue, la durée des projets menés par les étudiants (pouvant potentiellement renchérir sur une thèse relative au sujet défriché) assure un principe de continuité, et permet par ailleurs d’apporter des solutions adaptées et adaptables selon les circonstances locales. Plusieurs territoires se sont ainsi emparés des instruments juridiques et économiques pour lancer des dispositifs d’accompagnement à destination des étudiants, qui ont de plus en plus soif d’expérimentations concrètes à impact social. Ainsi, l’université de Marne-la-Vallée a élaboré le concept « UnivCamp », réunissant chaque année des étudiants dans deux masters différents afin de plancher sur des projets de territoire. En Occitanie, le conseil régional a quant à lui décidé de monter un laboratoire d’innovation commun avec les universités de la région pour co-construire des solutions, permettant ainsi de sortir du cadre parfois étriqué de la commande publique.
Basée sur des conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), très prisées par les acteurs privés, l’idée de miser sur les chercheurs universitaires pour des projets de territoires fait son chemin au sein des collectivités.
En 2017 a été lancé le programme « 1000 doctorants pour les collectivités territoriales et les services publics » par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Ce dernier promeut l’accueil des thésards dans l’univers de la fonction territoriale.
Loin sans faux, ce phénomène n’est pas l’apanage des métropoles et intéresse aussi de plus petites agglomérations. Celles-ci, conscientes des enjeux de réguler la fuite des cerveaux sur des territoires parfois désindustrialisés et dépeuplés, les élus locaux des intercommunalités négocient avec l’Etat pour défendre la nécessité de revaloriser les universités, quel que soit leur taille, leur effectif et leur attractivité. La technè au service de l’équité, un défi à relever pour les universités et les collectivités.