Réemploi : Une ambition bas carbone du BTP
Le monde du BTP est l’un des plus gros pollueurs au monde. Chaque jour, ce sont des milliers de tonnes de déchets issus de la construction qui sortent des chantiers et ne sont que rarement recyclés. Dans une volonté de circularité et de frugalité, l’association Minéka souhaite donner une seconde vie aux matériaux de construction. Rencontre avec Joanne Boachon, directrice fondatrice de Minéka, pour échanger autour des enjeux liés au réemploi des matériaux de construction.
Vous faites partie intégrante d’un réseau d’acteurs engagés dans l’économie circulaire au sein du secteur de la construction. Certains se spécialisent dans le recyclage, d’autres dans la réutilisation ou encore le reconditionnement. Vous avez investi le champ du réemploi. Pouvez-vous nous parler de la genèse de Minéka ?
“J’ai suivi une formation d’architecte, et pendant l’obtention de mon HMONP (habilitation à exercer la maîtrise d’œuvre en son nom propre), j’ai rédigé un mémoire professionnel sur la pratique du réemploi. Je suis partie à la rencontre d’autres architectes, de collectifs, d’associations, de recycleries, et après les avoir interrogés sur leur métier, un constat majeur s’est dressé : de multiples acteurs, conscients des impacts environnementaux et climatiques qu’engendrent la fabrique de nos villes, aimeraient s’investir davantage dans les dynamiques de réemploi de matériaux, mais ne trouvent pas de lieux au sein desquels se fournir.
Moi-même je tenais à exercer mon métier et à construire de manière décarbonée, pour lutter contre la prolifération des déchets du BTP, mais j’étais, de fait, confrontée à cette même limite. C’est la raison pour laquelle j’ai fondé Minéka il y a maintenant 7 ans. Une aventure que je poursuis aujourd’hui avec toute une équipe.”
Votre équipe a justement participé à un projet d’envergure, alliant économie circulaire et BTP, la Station R. Pouvez-vous nous en dire plus ?
“La Station R est le résultat de près de deux années de travail en commun passionnant pendant lesquelles nous avons collaboré avec le laboratoire d’innovation sociale Centsept et l’Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale Envie Rhône, spécialisée dans l’insertion socioprofessionnelle de personnes en difficulté pour la collecte et la revente d’équipements électriques et électroniques. L’objectif de cette étude, commandée par le Grand Lyon, était d’étudier la massification du réemploi à l’échelle de la métropole lyonnaise. Nous avons collectivement eu l’opportunité d’analyser les freins, les leviers, les potentiels de développement du réemploi et de mener des expérimentations.
Cette étude se poursuit aujourd’hui au sein de la métropole et pourrait donner suite à un projet d’occupation temporaire réunissant des acteurs du BTP engagés dans une démarche d’ESS.”
Vous parlez du réemploi comme d’une pratique constructive oubliée pourtant millénaire. Jusqu’à quand remonte cette longue histoire du réemploi ?
“Depuis toujours les humains réutilisent les matériaux d’anciennes habitations laissées à l’abandon, pour construire de nouveaux bâtiments. Pendant la période de la Grèce antique, les constructeurs se servaient notamment de pierres d’anciens temples pour leurs réalisations. Extraire ou même produire ce type de ressources était, à l’époque, particulièrement chronophage. De plus, ils ne bénéficiaient pas des outils industriels que nous connaissons aujourd’hui et travaillaient donc, naturellement, avec le déjà-là.
Et nous en avons de parfaits exemples à Lyon, avec la Cathédrale Saint-Jean dont certaines grandes pierres de choin proviennent de l’ancien forum galloromain.”
Finalement, hier le réemploi de matériaux représentait une technique bien plus pratique, bien plus efficace que la construction neuve alors qu’aujourd’hui, il semble qu’elle soit bien moins avantageuse, à court terme, pourtant si bénéfique pour notre environnement.
“Effectivement, il est, de nos jours, plus facile de construire avec des matériaux neufs plutôt que d’intégrer une démarche de réemploi, parce que cela nécessite de réfléchir d’une manière complètement différente et ajoute, de fait, un certain temps à la conception.
C’est pourquoi il est important de proposer un accompagnement des constructeurs, des maîtrises d’œuvre et des maîtrises d’ouvrage, pour mieux comprendre les méthodes de réemploi et faciliter ainsi leur déploiement à grande échelle. Du sourcing des matériaux à leur viabilité économique, nous devons informer et former les acteurs de la fabrique urbaine.”
Les équipes du Grand Lyon semblent formées, ou tout du moins sensibilisées à ces démarches avec une volonté politique claire quant à l’investissement du territoire dans une forme de transition. En mars dernier s’est notamment déroulé le salon BePositive, réunissant une pluralité d’acteurs de la fabrique urbaine qui agissent pour réduire l’empreinte carbone de leurs projets urbains en innovant dans les modes constructifs. Pourtant, ¾ des déchets produits en France proviennent encore des activités du BTP. Quels freins existe-t-il actuellement à la démocratisation et au développement à grande échelle du réemploi des matériaux de construction ? Est-ce un problème de sensibilisation des professionnels à l’économie circulaire ? De manque d’espaces de stockage ? D’une mise en réseau insuffisante… ?
“Les freins sont évidemment multiples et sur différents niveaux. Tout d’abord, nous sommes confrontés à un manque de reconditionneurs. Pour chaque matériau, mais aussi pour chaque équipement, le reconditionneur permet de poser des garanties et de faciliter, de fait, l’intégration du réemploi dans un projet. Des initiatives intra-structures ou des acteurs tels que Mobius s’engagent d’ores et déjà en ce sens, mais les dynamiques doivent s’amplifier et se développer sur des sites d’envergure.
Ensuite, il est essentiel d’effectuer un immense travail de sensibilisation. Au sein d’une équipe, si l’une des personnes est réfractaire à la démarche de réemploi, c’est toute l’opération qui est mise en péril. Le facteur humain est déterminant, il faut donc sensibiliser pour expliquer et pour convaincre. Et pour embarquer tout un collectif, il est également nécessaire d’avoir un engagement affirmé de la part des MOA. C’est à elles de porter la démarche et de mettre en place des mesures coercitives dans leurs cahiers des charges.
En cela, il est vrai que le Grand Lyon est moteur et simplifie grandement notre travail. Il y a une véritable volonté politique, notamment portée par Emeline Baume, de déployer le réemploi à grande échelle. La métropole a récemment chargé l’ALEC (Agence Locale de l’Energie et du Climat) d’élaborer un référentiel habitat durable qui impose des cibles souples et fermes d’intégration de matériaux de réemploi dans le secteur résidentiel. Progressivement, les mentalités, et avec elles les projets, évoluent durablement.”
Une démarche qui s’ancre donc, progressivement, au cœur de la fabrique urbaine. Claire Vilasi, chargée de mission chez Ville & Aménagement Durable, a d’ailleurs récemment évoqué le fait que le réemploi n’est pas une solution miracle mais est une « brique supplémentaire » pour faire face aux mutations du secteur de la construction. Selon vous, quelles sont les perspectives d’avenir du réemploi dans ce secteur en constante mutation ?
“Nous pouvons aspirer à davantage de formations, afin que chaque professionnel, de la construction à l’architecture, détienne les premières clés, les grands principes du réemploi. Nous intervenons à ce sujet auprès d’étudiants de l’école d’architecture de Lyon dès la rentrée 2023 pour les initier aux diagnostics de réemploi.
Nous sommes également en attente de la mise en œuvre de la REP PMCB (Responsabilité Élargie du Producteur pour les Produits Matériaux de la Construction et du Bâtiment), qui rend gratuite la reprise des déchets du BTP. Cela peut conjointement entraîner un risque que la totalité des déchets partent en recyclage et une opportunité pour cadrer la pratique et rendre visible le réemploi dans les textes réglementaires.
Enfin, notre équipe est actuellement en train de travailler sur une grande campagne de sensibilisation à destination des acteurs de la construction mais également des scolaires. L’objectif étant de répandre les enjeux du réemploi à grande échelle, partager des outils méthodologiques avec, entre autres, des parcours pédagogiques, et massifier la transmission des savoirs. Un vaste projet qui nous tient tout particulièrement à cœur.”