Réemploi – les friperies du bâtiment
Alors que la France s’est engagée à valoriser 70% des déchets du BTP d’ici 2020, le secteur est encore la plus grande source de déchets en France. Comment s’organise la filière du réemploi dans le bâtiment ? Architectes, artisans, conseillers et spécialistes commencent à réinventer aujourd’hui leur métier autour de l’économie circulaire.
Un bon déchet est un déchet qui n’est pas produit
En 2014, près de trois quarts des déchets français étaient issus du BTP, soit 227,5 millions de tonnes selon l’ADEME. À lui seul, le forage des tunnels du Grand Paris doit générer près de 40 millions de tonnes de déblais d’ici 2030. Un gisement potentiel de ressources, longtemps inexploité par l’industrie du bâtiment mais qui commence à attirer l’attention du secteur. La loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a notamment fixé un objectif de valorisation de 70% des déchets produits par le BTP, en accord avec les directives européennes. En précisant qu’un bon déchet est un déchet qui n’est pas produit, elle établit une hiérarchie des modes de traitement d’un déchet. C’est à dire un ordre de priorité de traitement du déchet, le premier étant le réemploi, puis le recyclage, la valorisation et enfin l’élimination.
Administrateur du site de veille et d’information sur le réemploi materiauxreemploi.com, Morgan Moinet nous explique la différence entre ces traitements : « le réemploi est le fait d’utiliser de nouveau un objet, matériau ou produit pour une utilisation identique à son usage initial. Il s’agit souvent des menuiseries, des sanitaires, des équipements… Tout ce qui ne concourt pas à l’équilibre structurel du bâtiment ». Sous réserve d’un nettoyage ou d’une réparation légère, le produit peut être réutilisé en l’état, contrairement au recyclage qui nécessite une opération plus lourde et détourne parfois l’usage premier de l’objet. Du bois peut être broyé pour faire de l’aggloméré par exemple. La valorisation énergétique est le fait d’utiliser les déchets comme combustibles pour produire de l’énergie et enfin l’élimination est un stockage ou une incinération, « à éviter dans la mesure du possible » car elle ne crée aucune valorisation énergétique. Le réemploi est donc la priorité, car il est le mode de traitement le plus vertueux.
Le retour d’expertise
S’il revient à la mode aujourd’hui, le réemploi ne date pas d’hier. Selon Morgan Moinet, il est pratiqué depuis toujours par les artisans sur les chantiers de construction. « Les charpentiers disent souvent qu’ils préfèrent un vieux bois bien sec qui ne bougera plus qu’un bois récent susceptible de subir des déformations. Quand ils démontent une pièce dans une charpente, si l’élément est de bonne facture ils le réutilisent souvent sur place ou sur un autre chantier ». Ainsi, la Rome antique faisait du réemploi et jusqu’à la fin du XXème siècle on trouvait dans les annuaires de professionnels du bâtiment des annonces de matériaux de réemploi dans le cadre de démolition. « La question que nous nous posons aujourd’hui est comment transférer ces pratiques artisanales et traditionnelles aux pratiques industrielles ? » résume Morgan Moinet.
« Il faut en permanence convaincre les gens, explique Daovone Sribouavong. En fait notre modèle économique est plus basé sur la prestation de service que sur l’achat et la vente de matériaux. » Cette architecte de formation est fondatrice de Matabase une plateforme dédiée à l’achat et la vente de matériaux de réemploi. Lancée il y a cinq ans et considérée comme pionnière dans le secteur, cette place de marché en ligne connecte l’offre et la demande des chantiers, ceux en cours de démolition et ceux en cours de construction. « Notre expertise permet d’identifier des ressources disponibles sur place. Les bureaux d’étude technique classiques ne sont pas habilités à le faire donc il faut en permanence chercher de nouvelles expertises, auprès d’experts de tel ou tel matériaux. »
Déconstruction sélective
L’idée est d’opérer un diagnostic du bâtiment en voie de destruction et de ses ressources. Ainsi, on peut mettre en place des stratégies qui permettent aux matériaux destinés au réemploi d’échapper au statut de déchet. Ensuite, il faut décrire les caractéristiques techniques des éléments pour garantir leur mise en œuvre dans un futur ouvrage. De la même manière, il faut spécifier les méthodes de démontage pour préserver ces éléments, car bien souvent ils ne sont pas posés en vue d’être démontés un jour. Cette étape de « déconstruction sélective » est critique. « On se rend compte que les bâtiments qui sont démolis n’ont pas été conçus pour que les matériaux soit séparés et démontés sélectivement, c’est un enjeu aussi pour la filière du réemploi » observe Morgan Moinet.
En effet, pour optimiser l’opération de réemploi, celui-ci devrait-être pensé en amont, dès l’élaboration d’un projet de construction. C’est le principe de la théorie du « cradle to cradle » (du berceau au berceau) inventée par le chimiste américain Michael Braungart et défendue dans le monde par l’institut EPEA. Aussi appelée C2C, cette technique d’éco-conception tend à rendre un maximum de matériaux et produits réutilisables grâce à un ensemble de procédés. À la manière d’une voiture dont les pièces peuvent être remplacées, on peut voir le bâtiment comme un tout, ou comme un ensemble d’équipements.
Du neuf dans les décombres
Autre méthode possible selon Daovone Sribouavong, la logistique inversée qui est déjà répandue aux États-Unis. « Tous les fabricants de matériaux devraient être responsables de les récupérer si des lois le permettaient. » C’est à dire qu’en fin de vie du bâtiment, celui qui a posé des fenêtres, les parois, des cloisons, ou des menuiseries les récupère et peut les réutiliser ou les revendre. « Ce sont tous des prestataires différents qui maîtrisent parfaitement leur produit et qui ont déjà la logistique nécessaire. Les meilleures personnes pour réemployer leur produit, c’est eux ». Bien sûr, pendant la durée de vie d’un bâtiment des fabricants peuvent disparaître du marché, mais il s’agit surtout d’ouvrir le chantier à cette pratique. Morgan Moinet nous donne l’exemple de cet immeuble de 13 000 mètres carré de bureaux, démoli cinq ans après sa construction, sans jamais avoir été occupé. Tous les équipements étaient neufs mais qualifiés de déchets a priori et voués à la destruction.
De son côté, dans le cadre des aménagements en vue des Jeux Olympiques de 2024 à Colombes, Daovone Sribouavong a proposé aux élus de réutiliser le béton issu des travaux pour faire les gradins du nouveau stade. « L’idée a plu, et avec beaucoup de travail et de matière grise on a réussi à montrer que c’était possible. Le recyclage de surfaces de béton est possible ».
Mais pour Morgan Moinet, la filière est encore très fragile et tous ces procédés de diagnostic sont encore assez expérimentaux. Faute de cadre législatif, ils varient nettement d’un projet à l’autre et la motivation des acteurs reste un facteur déterminant. « Pour l’environnement les avantages sont certains, mais on ne peut pas encore garantir le rendement économique sur les opérations de réemploi ». Si, dans une autre mesure les entreprises y voient aussi un intérêt pour leur image de marque et pour attirer des jeunes diplômés soucieux de leur éthique professionnelle, le chemin à parcourir est encore long.