Bâtir l’avenir : un peu de périssable dans ce monde durable…
Notre pratique contemporaine de l’habitat – sur un modèle occidental et principalement sédentaire, est étroitement liée à la production d’un bâti « dur et durable ». Une conception que viennent remettre en question l’émergence récente de la « ville agile » comme manière originale de fabriquer la ville. Et si le périssable venait au secours du durable ? Sur le plan purement sémantique, cela tient de l’oxymore… Et pourtant. Il est possible d’imaginer l’habitat dans le cadre d’un projet urbain durable pour une métropolisation réfléchie.
Repenser pour mieux durer
La question de « l’altérabilité » du bâti n’est pas un concept nouveau ; elle constitue une réflexion majeure de l’architecture et de l’urbanisme, notamment depuis les années 1970. Mais les crises actuelles ont considérablement accentué la question. Dans un souci d’économie budgétaire, énergétique, ou simplement de l’espace urbain, il apparaît aujourd’hui nécessaire de repenser la construction urbaine – c’est-à-dire réinventer la conception du bâtiment neuf –, au-delà de la seule question de la rénovation du bâti.
La proposition est ambitieuse : est-il possible penser la mue du bâti dès la phase de conception ? Comme l’écrivait l’architecte Yasmine Abbas dans son ouvrage « Le néo-nomadisme » :
« Il faut penser la ville comme un organisme qui peut s’atrophier ou mourir, ressusciter. […] Lorsque je parle d’intégrer l’éphémère dans la conception, je préconise d’aller au-delà de la forme et du contexte, car dans la ville des mobilités le contexte est mouvant. » (pp. 113 – 114)
Vers une ville périssable
C’est en effet tout le paradoxe de nos villes (et de nos vies), toujours plus mobiles mais cloitrées dans leurs camisoles de béton. L’enjeu est fondamental ; nombreux sont les architectes et urbanistes qui tentent de conceptualiser des méthodes concrètes pour le mettre en application. Une majorité de penseurs urbains de premier plan semble ainsi avoir intégré cette nouvelle façon de concevoir le cycle des bâtiments. A Orléans par exemple, un projet de recherche ANR conduit par le BRGM, tente depuis 2013 d’évaluer la « recyclabilité » du bâti existant. Le projet ASTURET (pour « Analyse systémique de l’utilisation de ressources renouvelables de la technosphère ») vise ainsi à « étudier les échelles spatiale et temporelle auxquelles doivent être pensées les filières de recyclage et de valorisation des ressources secondaires issues des matériaux de construction, et à définir les conditions économiques, techniques et sociétales de leur optimisation. »
Au-delà de ces réflexions très concrètes, dont on n’est aujourd’hui qu’aux prémisses, il semble falloir réinventer l’imaginaire même de la construction. Yasmine Abbas nous offre cette conclusion, certes peu réjouissante mais finalement pleine de sens :
« C’est la mort qu’il faut savoir intégrer dans la conception [architecturale]. La mort, la désintégration et le droit à l’oubli – et donc accepter le fait que tout a une date de péremption. » (p. 114). Tout, même le bâti.
De là à imaginer une architecture en matières biodégradables où la nature, à terme, reprendrait ses droits sur le bitume : et pourquoi pas ?
Avec la collaboration de Margot Baldassi