Reconversion des églises : glissement de fonction

27 Jan 2015

Que s’apprêtent à devenir nos églises en friches désertées par leurs fidèles ? Centres commerciaux, appartements luxueux, ou sanctuaires inviolables pour l’éternité ?

Ces cinquante dernières années, les églises ont accusé une perte de fréquentation sans précédent à travers le monde occidental. Un nombre croissant de ces monuments sacrés – hier au centre de la vie urbaine – sont devenus des gouffres financiers, poussant parfois les instances qui en ont la charge à leur trouver des repreneurs privés. Entre désengagement, transformations architecturales et militantisme patrimonial, enquête sur le présent et l’avenir de ces édifices en songe de conversion.

Vance Memorial - Wheeling ; Crédits : Flickr Boston Public Library

Vance Memorial Church, Woodsdale, Wheeling. Crédits : Flickr / Boston Public Library

Une vie après la Foi : des lieux de culte réaménagés

En France, la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 stipule que l’entretien des lieux de culte, antérieurs à cette date, est à la charge des communes, tandis que l’entretien des autres structures incombe aux instances religieuses qui les ont construites. Néanmoins, dans les deux cas de figure, la faillite n’est jamais loin, et les travaux de maintenance et de réparation ne peuvent pas toujours être supportés. Comme le faisait remarquer Philippe Boutry, chercheur et président de l’université Paris I :

« Les religieux sont chaque année plus âgés, moins nombreux ; ils desservent parfois des dizaines de paroisses autrefois dotées d’un curé à demeure. Dès lors, la présence même de l’église au cœur du village devient problématique ; les édifices, désertés par les fidèles, sont le plus souvent fermés, par crainte des vols ou par indifférence ; certains ne sont plus entretenus ou sont laissés à l’abandon. »

Église Saint-Amand - Saumos ; Crédits : Bernard Blanc / Flickr

Eglise romane Saint Amand (XIIe siècle), Saumos, Gironde. Crédits : Bernard Blanc / Flickr

Au terme d’un tel processus, deux voies semblent tracées : la vente ou la démolition. Cheminant doucement en France à contrevent des mœurs, la vente d’église n’est apparue que depuis quelques années et n’a pour l’instant pas décollé.

Pour ne donner qu’un exemple, la société de Patrice Besse s’est spécialisée dans cette revente d’édifices religieux, d’ordinaire isolés. L’agent immobilier évoque au micro du journaliste Benoit de Sagazan des transactions souvent délicates mais qui tendent à se simplifier. Il affirme également que si, durant un temps, des acteurs comme la chaîne de restauration KFC pouvaient lorgner sur de tels lieux, les projets de réaffectations singuliers se font plus rares. La grande majorité ne dénature pas (ou peu) l’esprit de recueillement et de partage qu’ont toujours eu ces murs. Un compromis généralement acceptable pour ceux qui les cèdent

Pour l’heure, pas de raison non plus d’imaginer en France que nos grands édifices puissent être soumis aux seules lois de l’offre et de la demande : les églises au caractère historique, architectural ou artistique reconnu sont en effet classées et protégées. « Il n’en va pas de même des églises du XIXe et du XXe siècle. […] Ce sont elles qui paient le plus lourd tribut à l’effondrement contemporain de la pratique religieuse. » comme le rappelait Philippe Boutry

Église Saint-Sauveur - Montréal ; Crédits : Philippe Du Berger / Flickr

Montréal, 16 fév. 2011. Église St-Sauveur. Crédits : Philippe Du Berger / Flickr

La dynamique est cependant nettement plus marquée au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne et au Québec, où la cession et surtout les travaux d’aménagement qui s’en suivent semblent moins secouer l’opinion publique. Aujourd’hui, une grande partie des innombrables églises de Montréal sont ou bien cédées à d’autres traditions de culte qui perdurent (principalement les évangélistes), soit revendues pour se métamorphoser tantôt en condo (loft en copropriété), tantôt en bibliothèque, salle polyvalente, centre sportif ou autre spa.

« Comptez entre 250.000 et 500.000 dollars en moyenne pour vous offrir une église à Montréal », à en croire Lyne Bernier, doctorante au sein de chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’UQAM. Toutefois, si certains propriétaires peuvent être davantage séduits par le terrain que par la bâtisse, les démolitions demeurent coûteuses et impopulaires.

Un réveil (non)religieux

Car en France comme ailleurs, un soulèvement de réappropriation des citadins s’opère lorsqu’il est question de détruire le lieu où ils ont célébré leur mariage ou le baptême du petit dernier. Plus encore, athées et agnostiques se joignent fréquemment à cette cause, considérant ses dimensions sociale et patrimoniale à hauteur de sa valeur religieuse et de son emplacement géographique.

L’église de Plounerin dans les Côtes-d’Armor en est un bon exemple : fermée depuis 2007 par arrêté préfectoral, les frais de rénovation s’élevaient à deux millions d’euros pour une commune de 750 habitants, soit six fois le coût de sa démolition. Un référendum local a été organisé pour décider du sort de la bâtisse, signifiant aux contribuables que la rénovation entraînerait le doublement des impôts locaux pendant trente ans sans le moindre investissement parallèle possible. Les citoyens ont néanmoins choisi cette option, bien qu’on ne compte parmi eux que très peu de fidèles.

« Ne touchez pas à mon église ! »,
documentaire sur le cas québecquois de Bruno Boulianne sorti en 2012

On le sait, aucun prestige n’est éternel ; il dépend de la valeur que l’on donne aux choses, laquelle évolue, dans un sens ou dans l’autre, au fil des générations. Nos églises traversent aujourd’hui une période singulière de leur histoire et un nouveau marché semble s’en dégager, pour de nouveaux usages et un nouveau public. A ce titre, leur avenir sera fonction de la conjoncture économique plus que de la nature de leur propriétaire, et du nombre de leurs sympathisants plus que de leurs fidèles.

Pour aller plus loin :

 

{pop-up} urbain
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