Qui veut la peau des centres commerciaux ?
A l’heure où l’on ne jure plus que par les convivialités de “proximité”, que peuvent devenir les quelques 800 complexes commerciaux implantés en France ? Doit-on s’inquiéter de leur faillite généralisée, à l’instar de ce qu’on observe sur le continent nord-américain ? Ou bien peut-on espérer une revalorisation urbanistique et sociale de ces zones d’achats devenues obsolètes ?
Un modèle qui s’épuise
Construits en abondance en France à partir des années 1970, et bien plus tôt aux Etats Unis, ces temples excentrés de la dépense ne collent plus avec l’idée que l’on se fait de la consommation. Dix ans de crise ont bel et bien tari un idéal suranné du pouvoir d’achat et une représentation du shopping comme loisir.
Pour ne rien gâcher, le centre commercial siège habituellement loin, très loin des centres urbains, nécessitant généralement un accès motorisé (donc polluant) pour s’y rendre. Deux imaginaires pas franchement très désirables se croisent donc, qui contribuent au constat précédent : celui de l’achat irraisonné et celui de la voiture, si peu souhaités pour l’avenir…
C’est enfin le numérique qui aura certainement donné son coup de grâce aux hypercentralités commerciales, le e-commerce ayant pris petit à petit de l’ampleur dans les pratiques de consommation quotidiennes, jusqu’à parfois supplanter les courses-corvées.
Résultats : l’année 2013 n’aura pas été très favorable aux zones commerciales nationales, comme le seront très certainement 2014 et 2015… Dans son bilan présenté le 14 janvier 2014, le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) annonçait ainsi “une baisse de 1,6% de leur chiffre d’affaires et de 1,7% de leur fréquentation.”
Surproduire pour moins consommer
Et pourtant. Et pourtant ces antres de la consommation pullulent ici et là, de façon croissante et donc, de façon surprenante. Comme l’explique une étude récente de l’Association des communautés de France (2012), cette explosion des zones de chalandise, observée depuis une dizaine d’années, n’a rien à voir avec la demande du public. Le phénomène est ainsi bien plus synonyme de surproduction que de surconsommation, avec des conséquences particulièrement inquiétantes :
“Le parc commercial a crû ces dernières années à un rythme moyen de 4% par an, soit un niveau supérieur à celui de la consommation des ménages (2,5% en moyenne sur la période 2000-2007, et moins de 1% depuis 2008). La surproduction de surfaces au regard des capacités locales de consommation laisse craindre, dans certains territoires, un risque de “cannibalisation” des commerces, des fermetures et un développement des friches commerciales.”
Ces centres commerciaux abandonnés, les Etats Unis les connaissent mieux que quiconque. Une vague de “dead malls” toucha en effet le continent depuis les années 1990, sonnant le glas de plus de trois cents complexes… au grand désespoir de ses chalands révolus et nostalgiques, preuve de la place de choix qu’ils occupent dans l’inconscient collectif nord-américain.
Réinventer l’imaginaire des zones commerciales
Mais comme de toute fin naît un espoir, le centre commercial semble bel et bien incarner le phoenix urbain de demain ! Ainsi, ses immenses rayonnages seraient partis pour se métamorphoser… plutôt que pour mourir en silence.
Car la figure de la consommation urbaine mue ; et arborera peut être bientôt (on l’espère) une nouvelle robe. Et cela passera, entre autres, par la construction d’une nouvelle “identité” pour ces complexes commerciaux, se substituant aux imaginaires obsolètes qui s’effritent, voire tournent en rond.
Il n’y a qu’à regarder les cultures populaires pour s’en convaincre, généralement assez peu bienveillantes avec les zones commerciales périphériques. Ainsi, le centre commercial serait devenu le symbole abrutissant d’une banlieue molle et en quête de convivialités polarisées.
Renouveler l’urbanisme commercial
Dès lors, dans quels concepts s’incarne donc la zone de chalandise de demain ? D’une part, les promoteurs étrangers ont apparemment compris de quels maux souffraient nos malls. Tandis que les quatre coins du globe s’arrachaient Beaugrenelle (Paris, 15ème arrondissement) en fin d’année dernière, l’Australien Westfield se lançait, main dans la main avec Auchan, dans une remise à neuf d’une partie du parc commercial français. L’intérêt ? Renouveler un modèle qui, nous l’avons vu, est bel et bien en panne depuis plus de dix ans :
“Plus grands, plus spectaculaires, plus beaux. Avec ses deux superusines à vendre ouvertes ces dernières années à Londres où l’on trouve des marques de luxe comme Louis Vuitton et Prada, Westfield a renouvelé le genre du centre commercial.”
Ces centres commerciaux “augmentés”, tous les élus en rêvent. Recettes fiscales, attractivité du territoire, et communication politique sont les principales clés du succès. Mais les riverains ont-ils encore envie de voir émerger autour de leurs lieux de vie de tels complexes clinquants, encore et toujours agrémentés de parking grisâtres ?
Si ces “temples de consommation” apparaissent démodés et vulgaires, alors il faut trouver de quoi l’enrichir en le transformant. En d’autres termes : remplaçons les centres commerciaux par des centres villes, tout simplement. Et pour ce faire, il faut changer de paradigme sur ce qui constitue, intrinsèquement, une hypercentralité commerciale.
Ne devrait-on pas plutôt attendre de ce renouveau des zones commerciales qu’elles deviennent plus “habitables”, plus conviviales ? C’est en tout cas ce qui transparaît de certaines analyses urbanistiques et architecturales récentes, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir dans les prochains mois.