Qu’est ce que l’immobilier peut espérer de la blockchain ?
Secteur après secteur, la blockchain fait miroiter de grandes révolutions et l’immobilier n’est pas en reste. Depuis quelques temps, les ventes d’immeubles intégralement sécurisées via la blockchain font leur apparition. Démocratisation de l’investissement immobilier, disparition du notaire, création de services… cette nouvelle pratique soulève de nombreuses interrogations.
Depuis l’avènement des « smart contracts » (contrats intelligents) dans la blockchain, de nouvelles applications s’inventent tous les jours, que ce soit dans l’exercice démocratique, dans le suivi des chaînes d’approvisionnement, les assurances ou l’industrie musicale. Longtemps annoncée, son utilisation dans le secteur immobilier commence tout juste à être expérimentée. En effet, en Allemagne, à Manhattan ou à Boulogne Billancourt, des ventes d’immeubles ont été réalisées sur la blockchain. Mais commençons par une piqûre de rappel sur cette technologie…
La chaîne immutable
La blockchain est un grand historique de transactions composé comme son nom l’indique d’une chaîne de blocs. Chaque bloc contient des informations qui sont sécurisées par une technique cryptographique comparable à une énigme mathématique. Une fois validé, un nouveau bloc s’ajoute à la chaîne et ne peut plus être modifié, il est dit immutable. Décentralisée et transparente, la blockchain offre ainsi des garanties de sécurité très fortes, qui contribuent à sa force.
Les smart contrats sont apparus quelques années après l’apparition de la blockchain, ce sont des logiciels incorporés dans chaque blocs. Ils sont capables d’effectuer automatiquement des opérations dès lors que certaines conditions sont remplies, sans l’intervention de tiers. Dans le secteur de l’assurance par exemple, ils peuvent déclencher le dédommagement de victimes dès lors qu’une catastrophe naturelle est déclarée. Dans l’industrie musicale ils peuvent répartir les droits d’auteurs aux ayants droits en fonction de pourcentage décidés au préalable. La procédure est ainsi nettement accélérée et moins sujette aux erreurs humaines.
Crypto-cadastre
Appliquée au foncier, la blockchain peut faire des miracles. Consacrée parmi les 50 « entreprises géniales » de 2018 par le magazine Time, Bitland utilise la technologie de la blockchain pour résoudre les conflits fonciers au Ghana. En effet, d’après le FMI, 90% des terrains du pays ne sont pas enregistrés, des propriétaires légitimes peuvent ainsi se retrouver sans preuve ni recours légaux pour faire valoir leurs droits. En travaillant avec le gouvernement, l’entreprise s’emploie à authentifier les titres de propriété puis à les enregistrer sur la blockchain grâce aux contrats intelligents. Elle favorise ainsi la création d’un cadastre national numérique et la lutte contre la corruption.
« Le droit foncier est le fondement d’un pays » explique au Time Elliot Hedman, directeur d’exploitation chez Bitland. « Ce qui empêche les pays en voie de développement d’entrer dans la scène mondiale économiquement et socio-économiquement est l’instabilité foncière. » L’entreprise travaille désormais dans sept pays africains, en Inde, ainsi qu’aux États-Unis avec des communautés amérindiennes. D’autres pays comme la Géorgie ou la Suède numérisent ainsi leur cadastre grâce à des start up spécialisées dans la blockchain.
Le notaire est mort, vive… l’oracle ?
On voit aisément ici comment la blockchain peut empiéter sur les fonctions habituellement dévolues aux notaires. Le notaire certifie l’authenticité des échanges, il stocke et sécurise les données de ses clients. Que fait la blockchain ? À peu près même chose, pourtant le sujet inquiète moins la profession qu’il y a quelques années. Interrogée par le site Notaires.fr, la professeure d’économie du droit et des institutions Sophie Harnay précise : « Le notaire est pour l’instant le seul à pouvoir s’assurer de l’exactitude et de la qualité des informations qui seraient susceptibles d’entrer dans la blockchain, donc le seul à pouvoir garantir leur validité. »
En effet, le principal intérêt de la blockchain réside dans sa capacité à supprimer les tiers de confiance (institutions bancaires, juges, huissiers…). Aux garanties financière ou institutionnelle, elle substitue une garantie technologique. Pourtant, dès lors que l’exécution d’un contrat intelligent dépend de conditions extérieures à la blockchain, un tiers doit intervenir pour informer la blockchain. Ce tiers juridique de confiance – appelé “oracle” dans le jargon – fait interface entre la réalité et la blockchain. Dans le cas d’une catastrophe naturelle, c’est lui qui informe la blockchain de la survenue de l’événement et déclenche ainsi l’indemnisation automatisée des personnes concernées.
Au micro du podcast 21 Millions, consacré à l’histoire du Bitcoin et des systèmes décentralisés, le cofondateur de la start-up Equisafe Bilal El Alamy décrit plutôt la blockchain comme une aide opérationnelle pour le notaire. Organisateur de la première vente immobilière réalisée sur la blockchain en France, il témoigne de la rapidité des vérifications et de l’émission des titres. Automatisées, les tâches administratives sont réglées en une trentaine de minutes.
Démocratiser l’investissement immobilier
L’innovation la plus marquante se niche encore ailleurs, précisément dans des ventes comme celle réalisée par Equisafe en juin 2019. En effet, avec l’opération AnnA, la start-up acte la transaction d’un hôtel particulier à Boulogne Billancourt pour une valeur de 6,5 millions d’euros, le tout intégralement sur la blockchain. L’idée est de fractionner la propriété en parts – comme s’il s’agissait d’actions – pour faciliter la transaction et la vente de titres.
« La blockchain permet ici de gérer de la même manière 10 ou 100 000 investisseurs » explique Bilal El Alamy. « Aujourd’hui, lorsqu’il y a un versement de dividende, tout est calculé à la main. Cela génère des erreurs qui provoquent des amendes du régulateur. » Comme nous l’expliquions ici, l’opération se fait en ligne, en quelques clics et avec une carte bleue. Elle permet à un particulier de se porter très facilement acquéreur d’une partie d’un bien immobilier.
« On est encore au Moyen Âge »
« Aujourd’hui la plupart des opportunités d’investissements ont un ticket d’entrée entre 1000 et 5000 euros. Sur AnnA, le ticket d’entrée était à 6,5 euros » affirme Bilal El Alamy. Il est donc possible à tout moment d’investir quelques dizaines ou quelques centaines d’euros dans un bien à l’autre bout du monde. L’investissement immobilier est ainsi facilité et démocratisé. « 15% des français n’ont pas accès au crédit, mais ils ont peut être des liquidités à investir » ajoute le cofondateur de Equisafe. Le propriétaire lui, n’est plus contraint de négocier son prix à la baisse pour convaincre un acheteur hésitant.
« Actuellement, ce type d’opérations permet de comprendre les règles du jeu, mais aujourd’hui, on en est encore au Moyen-âge » commente pour l’AFP Antoine Yeretzian, cofondateur du cabinet de conseil Blockchain Partner. À l’instar d’Atlant.io, des plateformes apparaissent pour référencer les ventes immobilières sur la blockchain. D’autres opportunités sont attendues : alors que les bâtiments génèrent de plus en plus de données, de nombreux services pourraient voir le jour dans la maintenance ou la gestion.
Difficile en tout cas d’anticiper les effets de la blockchain si la technologie se généralise. Certains, avec la crise des subprimes en mémoire, craignent qu’elle ne crée de nouvelles bulles immobilières. D’autres misent au contraire sur sa transparence pour les freiner.