Quelles infrastructures pour une ville vraiment marchable ?
Lentement mais sûrement, la marche se fait une place en ville. Longtemps mise au ban de nos villes, notamment en raison de l’hégémonie automobile, la marche reprend en effet du poil de la bête. Le succès récent, sur les réseaux sociaux, d’un plan de métro indiquant les temps de marche entre deux stations, est à ce titre un bon indicateur du regain d’intérêt pour la marche que l’on observe depuis quelques années. La question n’est donc plus de savoir si la ville de demain sera ou non marchable, mais plutôt : comment favoriser cette “marchabilité”, et comment en tirer parti pour améliorer la qualité de vie de nos territoires ?
La ville marchable reste à construire
Le réhabilitation de la marche au sein de nos déplacements urbains s’explique aisément. Nos collègues Usbek & Rica avait parfaitement synthétisé les différents bénéfices directs et indirects de la marche, dans un billet publié ici même l’an passé ; nous vous en recommandons vivement la lecture avant d’entamer la suite de ce billet-ci… Si la marche est clairement vertueuse sur de très nombreux points, elle n’est reste pas moins un moyen de déplacement plus complexe qu’il n’y paraît. On aurait en effet grand tort de penser que la marche “coule de source”, surtout dans des villes qui ne lui laissent qu’une place réduite au milieu d’autres flux plus rapides et plus volumineux.
De fait, considérer la marche comme un mode de transport à part entière n’est qu’une première étape ; encore faut-il lui accorder les infrastructures dont profite tout autre mode de transport ! Le vélo a ses pistes cyclables, la voiture ses routes, le bus ses couloirs, le métro ses tunnels… Pourquoi le piéton n’aurait-il pas droit, lui aussi, à sa portion d’espace préservé ? Si l’élargissement des trottoirs a été, dans les dernières décennies, l’une des mesures-phare de cette réhabilitation de la marche, la dynamique exige aujourd’hui de voir plus grand, et surtout plus précis.
Pour en finir avec les coupures urbaines
Dans son plaidoyer pour une “ville marchable”, cité par Usbek & Rica, Lille Métropole évoquait ainsi la nécessité d’offrir “des continuités entre ses quartiers tout en diminuant l’impact de coupures urbaines, pour permettre au piéton de parcourir la ville et donc de se l’approprier.” C’est en effet l’un des enjeux majeurs de la marche à l’heure actuelle. Marcher sur un trottoir élargi et si possible non-encombré ne suffit plus : il faut aussi rendre plus praticables les coupures qui subsistent dans la ville, et qui contraignent donc la marche à certaines zones, souvent les quartiers les plus centraux.
Certaines barrières, physiques ou même parfois psychologiques, limitent ainsi l’émancipation des piétons dans les métropoles. Ceux qui ont l’habitude de franchir le périphérique à pied savent de quoi il retourne ! Il en va ainsi de nombreuses frontières à travers la ville, les fameuses “coupures urbaines”, pour lesquelles il semble aujourd’hui urgent de trouver une solution… et le franchissement des fleuves semble une intéressante piste de réflexion.
Les piétons sur le pont
Le constat est simple : de nombreux ponts, surtout parmi les plus récents, s’avèrent ainsi très peu propices aux piétons. Souvent pensés pour l’automobile seule, les ponts urbains ne laissent au piéton qu’un choix limité : frôler les voitures et leurs pots d’échappement, ou bien faire un détour souvent long pour rejoindre un gué plus accueillant… Face à de telles situations, le piéton est bien souvent tenté d’abandonner sa marche ! En réponse, certaines collectivités innovent en imaginant des ponts plus “marchables”… Theodore Zoli, ingénieur spécialiste des ponts suspendus, est ainsi devenu l’un des spécialistes du sujet :
“A decade ago, it was unusual to design a bridge with space for pedestrians or cyclists, says Ted Zoli. Today it’s unusual not to give these modes space—or, in some cases, the entire structure. Even bridges that seem primarily suited for vehicle traffic must include what Zoli calls, in the parlance of engineers, « shared-use path facilities. »
Le plus intéressant réside sûrement dans les trois spécificités qui distinguent un pont ‘“marchable” d’un pont plus classique, c’est-à-dire ouvert à l’automobile. Celles-ci se rapportent autant à la forme du pont lui-même, qu’aux spécificités de la marche en tant que mode de déplacement :
“Zoli describes a pedestrian bridge as « fundamentally a different facility » than a vehicular one. The difference comes down to three design approaches: connectivity (how to get people up and down), aspiration (pedestrian bridges should be iconic, wayfinding landmarks unto themselves), and curvature (there’s far less need for straightness).”
Inverser la hiérarchie des modes
Avec l’essor attendu des principes de “marchabilité” dans nos villes, nul doute que de tels projets risquent de se multiplier. Certes, les ponts de nos grandes métropoles sont relativement préservés, contrairement à d’autres contextes tels que la voirie nord-américaine. Néanmoins, rien n’empêche de s’en inspirer pour nos propres ponts, qui sont loin d’être toujours parfaits. On observera par exemple certaines innovations qui émergent aux Pays-Bas, où les modes actifs sont rois. Le Melkwegbridge, érigé entre 2010 et 2012 par Next Architects, est ainsi devenu le porte-drapeau de ces ponts ouverts aux citadins non-motorisés. Le pont propose ainsi trois voies différenciées : la première pour les piétons, la seconde pour les cyclistes, et la troisième pour les bateaux. On retrouve d’ailleurs les trois critères évoqués par Theodore Zoli dans les citations précédentes : connectivité au réseau, attractivité esthétique et formes curvilignes. Enfin, détail loin d’être anodin, les piétons surplombent ici les autres modes, symbole de la place qui leur est accordé dans cet écosystème de flux dont ils étaient souvent marginalisés…
Réunissant ingénieurs, architectes et urbanistes autour d’un mode pourtant longtemps délaissé, ces ponts d’un nouveau genre font ainsi figure d’étendard pour des villes plus marchables. S’il s’agit ici d’infrastructures lourdes et donc “totémiques”, elles ne sont évidemment pas les seules à tenter de faire une meilleure place aux piétons, loin s’en faut ! Nous verrons donc, dans un prochain volet de ce billet, comment des infrastructures plus légères telles la signalétique et la voirie, tentent elles aussi de s’adapter à cette nécessaire marchabilité…
Pour aller plus loin :
- “Piéton, lève-toi et marche” : compilation d’archives sur pop-up urbain, le blog de l’auteur
- Parce qu’il est aussi possible de faire de l’art avec les ponts marchables : “Un grand huit pédestre” imaginé en 2011 par les artistes Heike Mutter et Ulrich Genth.
Vos réactions
Très bonne idée pour la marche mais on peut faire mieux.