Quelle stratégie urbaine pour une ville en décroissance démographique ?
Troisième volet du partenariat avec Villes et Décroissance, nous découvrons la ville de Dessau, victime d’un exode urbain massif depuis la chute du mur de Berlin et la réunification allemande. Héritière du Bauhaus et d’une forte culture associative, elle peine pourtant à innover et embrasser cette décroissance subie.
Quelle stratégie urbaine pour une ville en décroissance démographique ? C’est une question à laquelle peine à répondre la ville de Dessau, située au sud-ouest de Berlin dans l’ancienne RDA. Comme de nombreuses villes du bloc est, la ville est victime d’un exode urbain important après la réunification. Secouée par la restructuration économique du pays, la ville perd une partie de ses activités industrielles et entame une phase de décroissance démographique. Sa population maximale est atteinte en 1988 avec 103 867 habitants. Depuis, elle perd en moyenne 1000 habitants par an, sa population est aujourd’hui tombée à 81 351 habitants.
Terrain d’étude de décroissance
Taux de vacances élevé, population vieillissante, attractivité en berne… les ingrédients de la ville décroissante semblaient réunis. Guillaume Surmont et Gaëtan Kimmel, étudiants en urbanisme, décident alors d’aller étudier les phénomènes en cours, avec le soutien de l’association Villes et Décroissance (lire ici). « C’était l’occasion de prendre le temps d’aller voir les applications des théories de décroissance sur un terrain particulier. »
Convaincus que l’exode urbain n’est pas une fatalité, les deux étudiants se penchent sur la potentielle résurrection d’une ville. Ils scrutent les efforts déployés par la municipalité, les habitants et les acteurs économiques. « Qu’est ce qu’on fait quand la population s’en va ? Faut-il essayer de rebondir, de retrouver la croissance ? Ce n’est pas forcément l’optique de la décroissance… Notre angle était plus de voir comment la décroissance démographique pouvait être une opportunité, notamment pour répondre à des problèmes sociaux » expliquent-ils.
Ville d’innovation
Dessau est héritière d’une histoire urbaine singulière. Au XVIIIème siècle, une réforme paysagère transforme en profondeur son organisation. Elle permet le développement d’un réseau de parcs d’agrément et agricoles qui constitue une ceinture verte autour de la ville. Aujourd’hui reconnu au patrimoine de l’Unesco, le « Royaume des Jardins » structure encore le territoire en faisant dialoguer intimement la ville et sa campagne.
Cette approche innovante se poursuit au XXème siècle lorsque l’école Bauhaus s’installe dans la ville avec pour but de répondre à la crise du logement. En effet l’industrialisation est passée par là, les usines ont besoin d’ouvriers et les ouvriers ont besoin de logements. Parmi-elles, l’usine Junkers est connue pour avoir conçu les premiers avions totalement en métal au monde. Dessau devient alors un vaste terrain d’expérimentation architectural, parcouru par la pensée artistique et intellectuelle moderniste.
Démolition et urbanisme par le vide
Aujourd’hui cet héritage d’innovation paysagère, sociale et urbaine vacille. L’urbanisme de la ville est marqué par la politique de son bailleur public DWG. En 2018, celui-ci accusait un taux de vacance de presque 24% contre 3% en 1991. Des immeubles vides qui non seulement coûtent cher à entretenir mais endeuillent symboliquement la ville. Profitant d’un programme fédéral lancé en 2002, DWG entame donc une politique de démolition, principalement appliquée aux barres d’immeubles du centre-ville. Une démarche qui certes assainit les finances du bailleur, mais qui laisse des terrains vagues un peu partout dans le centre.
À mesure que l’image du centre-ville se dégrade, les promoteurs immobiliers s’en détournent, ils produisent désormais en périphérie. Dessau se caractérise alors par une sorte de dénoyautage urbain assez traumatique pour les habitants. Et à en croire le compte-rendu rédigé par les deux étudiants, aucune réflexion n’est menée sur l’avenir de ces friches qui pourtant recèlent des leviers de revitalisation importants.
Les vides urbains sont quelque part des vides intellectuels et politiques. C’est ce qu’on a beaucoup entendu sur place : les initiatives de la société civile viennent pour remplir les vides institutionnels.
Comme des pages blanches, ces lieux peuvent écrire un nouvel avenir à la ville.
Les claims et la page blanche
Entre 2002 et 2010, Dessau participe au processus de réflexion de l’IBA 2010 Stadtumbau, une exposition internationale d’architecture dédiée au renouvellement urbain organisée par le Land de Saxe-Anhalt. La ville mène alors une expérience baptisée « Claims » qui consiste à céder gratuitement des parcelles de 400m2 aux habitants en leur laissant le choix d’en définir l’usage. 13 projets citoyens voient ainsi le jour sur 19 parcelles, du « jardin des sens » au parc de BMX en passant par un espace d’apiculture.
Aujourd’hui, seuls 3 projets subsistent encore. Lenteurs administratives, absence d’aide financière ou matérielle… Au fil de leurs entretiens, les étudiants comprennent que le soutien en pointillé de la ville faisait peser un poids excessifs sur les différentes initiatives d’appropriation. Avec la fin de l’exposition internationale en 2010, la ville se désintéresse finalement du projet qu’elle avait initié. Elle retourne alors à une gestion classique des affaires municipales, sans se soucier de la pérennisation des expérimentations et des efforts engagés par les habitants.
La gestion des vides urbains semble centrale à Dessau. Symbole du désarroi politique face à la décroissance démographique, ces friches constituent un levier de réappropriation citoyenne et la possibilité d’un nouvel imaginaire urbain. Parmi les habitants, les plus âgés ne sont pas forcément convaincus par l’agriculture urbaine, qu’ils voient comme un retour à la terre et à l’époque communiste. Pour autant ce fossé générationnel ne semble pas insurmontable, nombreux sont les citoyens qui sont prêts à s’impliquer dans l’avenir de Dessau. L’existence d’une liste citoyenne aux élections municipales de 2019 en atteste.
La décroissance attractive
« La décroissance est perçue comme un problème par les habitants, comme une perte d’attractivité, d’image, un vieillissement, une vie moins créative etc. Ce qu’on a observé est différent, ce n’est pas synonyme de décrépitude et de perte de vitalité. » expliquent Guillaume Surmont et Gaëtan Kimmel. « Oui il y a une hémorragie démographique dans les faits, mais plein de choses se font ». Logés deux semaines dans une première famille, puis deux semaines dans une autre, ils découvrent une ville vivante et solidaire qui compte plus de 300 associations. Rapidement, ils se font prêter des vélos, se font inviter à dîner à droite et à gauche, et même interviewer par un journaliste local qui s’intéresse à leur démarche.
« Dans la ferme urbaine il y avait un jeune qui travaillait, il était venu de Berlin pour trouver un endroit plus calme. Comme quoi le territoire décroissant peut être attractif… ». Pour l’instant, selon les conclusions du rapport (disponible ici), « la commune n’a pas fait une bannière de son caractère décroissant, mais le porte plutôt comme une croix. »