Quelle signalétique pour une ville vraiment marchable ?
Deuxième volet de notre série de billets sur la “ville marchable”. Après s’être intéressés aux infrastructures lourdes avec un focus sur l’émergence des ponts piétons, penchons-nous aujourd’hui sur un aspect plus léger de l’espace urbain, mais loin d’être anodin pour la “marchabilité” de nos territoires : la signalétique. Car c’est aussi en renseignant le piéton qu’on rend la ville plus accueillante pour les marcheurs et marcheuses de tous bords, qu’ils soient flâneurs rêvassant, salariés pressés ou touristes paumés. En creux se dessine une nouvelle approche de la mobilité, véritablement multimodale grâce à l’intégration pleine et entière du piéton…
Les deux mamelles du piéton serein
Le constat est similaire à celui évoqué en introduction de notre premier billet : si les acteurs urbains souhaitent vraiment faire de la marche un mode de déplacement comme les autres, alors il importe de lui offrir les mêmes aménagements que les autres… La qualité de la signalétique est notamment au premier plan des innovations requises pour améliorer la qualité de service proposée aux piétons. Cela peut paraître trivial, mais rappelons quand même quelques évidences. De quoi a besoin un piéton dans la ville ? Essentiellement de deux informations : orientations, et temps de trajet. Avec ça, le piéton serait en ville comme un poisson dans l’eau…
Seulement voilà : longtemps, la première s’est essentiellement concentré sur les automobilistes, avec des panneaux de signalisation indiquant des directions souvent peu pertinentes pour les piétons. Quant à la seconde, elle a tout simplement brillé par son absence séculaire dans nos centres-villes, avant de se voir réhabilitée il y a peu… L’occasion de faire le point sur les enjeux et promesses des nouveaux supports d’information qui émergent à travers le monde, surtout autour d’une même modalité : réunir en un seul objet ces deux informations à destination du piéton.
La marche au secours des transports
L’un des modèles du genre, en tous cas l’un des plus connus et des plus imités, est assurément l’initiative Legible London, initiée au milieu des années 2000 dans la capitale britannique. Pour le dire vite, Legible London est un projet global de signalétique expressément destiné aux piétons, notamment grâce à l’installation de bornes cartographiques maillant la ville, et indiquant aux piétons les lieux accessibles en cinq, dix ou quinze minutes de marche (via des cercles concentriques aisément lisibles). Ce projet a été porté par Transports for London (TfL), la régie de transports publics locale ; on le comprendra aisément, ce détail est particulièrement significatif. En effet, Legible London n’est pas simplement considéré comme un dispositif à destination des piétons uniquement. Il s’agissait aussi et surtout de disposer d’un nouvel outil de gestion des flux urbains, et plus précisément de décongestion des réseaux de transport en commun, principalement le métro.
En incitant les usagers à marcher sur de courtes distances, l’objectif est en effet de “déplacer” les trajets effectués en transports sur de courtes distances (une à deux stations de métro, soit une petite dizaine de minutes environ), et donc ainsi de diminuer le nombre de voyageurs aux heures de pointe. Le phénomène est aisément compréhensible : il s’agit en quelque sorte d’appliquer aux mobilités urbaines des principes éprouvés depuis des décennies pour les congestions automobiles, en déplaçant une petite part des voitures vers des routes nationales afin de diminuer les bouchons sur une autoroute… Mais pour ce faire, le piéton doit avoir l’assurance qu’il trouvera son chemin, et qu’il arrivera à bon port dans le temps imparti ! Voilà le “génie” de ces cartes, centrées sur le piéton, et dont le succès n’est depuis plus à prouver (cf. liens complémentaires pour aller plus loin).
Cartographier la marche, un enjeu pour demain
Logiquement, le projet Legible London aura grandement inspiré d’autres territoires, que ce soit pour sa dimension “totémique” ou pour son travail cartographique à l’époque innovant, et depuis rentré dans les mœurs. La RATP a par exemple repris l’idée des cercles concentriques accessibles aux piétons dans les plans de ses nouveaux abribus, installés à Paris ces derniers mois. L’idée, on peut le supposer, est aussi de renforcer le rôle de ces abribus comme véritables “stations de mobilité”, et ce pour l’ensemble des voyageurs urbains : piétons, usagers du bus, mais aussi cyclistes ou usagers du métro cherchant leur chemin. Comme le disait Jean-Pierre Farandou, PDG de Keolis, dans un billet des Echos consacré à la nécessaire intégration de la marche par les acteurs du transport :
« La mobilité commence et finit par la marche à pied. Ne pas le prendre en compte peut nuire à l’attractivité des transports en commun. Dans les zones industrielles par exemple, si le trajet entre l’arrêt de bus et la destination est compliqué du fait de l’absence de trottoirs, les gens préféreront prendre leur voiture. »
On voit ici l’intérêt que revêt l’installation d’un plan indiquant de basiques éléments temporels pour favoriser l’essor des mobilités non-automobiles, voire non-véhiculés tout court, tout simplement en rassurant le citadin sur les distances à parcourir pour se rendre à l’endroit souhaité. On pensera aussi aux panneaux installés dans certaines villes de France, dans le cadre du programme Manger-Bouger du Ministère de la Santé, et qui témoignent du lien étroit qui lie la marche et la santé. On pourrait d’ailleurs se demander pourquoi cette dimension si fondamentale a mis tant de temps à émerger en ville ! Mais point de temps pour les regrets, contentons-nous d’apprécier le fait que la signalétique embrasse progressivement la destinée du piéton, augurant le meilleur pour la suite. Et profitons de l’initiative pertinente de certains usagers, à l’instar de cette carte de Guillaume Martinetti indiquant le temps de marche théorique entre deux stations de métro parisienne, dont on espère qu’elle fera des émules chez les élus et les transporteurs institutionnels !
Après Londres, une nouvelle carte du métro parisien avec temps de marche entre stations ? @InnovMobi @popupurbain pic.twitter.com/u0CmAAAaZE
— Guillaume MARTINETTI (@gmartinetti84) 30 novembre 2015
Pour aller plus loin :
- Un recensement d’initiatives urbaines en faveur de la marche, publié par l’Observatoire des déplacements (Agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise
- “Cartographier la mobilité” avec les analyses de l’agence Attoma Design, dont un focus sur Legible London