Quelle place pour les abeilles dans la ville ?
67 millions. C’est le nombre d’abeilles qui, chaque jour, disparaissent en France. Rapporté à l’échelle humaine, c’est comme si, quotidiennement, l’équivalent de la population française venait à s’éteindre. Un chiffre alarmant, d’autant plus que le rôle et l’utilité des abeilles ne sont aujourd’hui plus à démontrer. Responsables, entre autres, de la production de plus de 70% des fruits, légumes et autres plantes que nous consommons tous les jours, les abeilles revêtent une importance primordiale pour l’Homme qui, lui, est de plus en plus nombreux et dont le besoin de se nourrir ne va cesser de s’accroître.
Pour illustrer ce phénomène, l’entreprise américaine Whole Foods Market a réalisé des montages photographiques montrant à quoi ressembleraient les étals de nos supermarchés préférés si les abeilles venaient à totalement disparaître. Résultat : des rayonnages quasi vides. Ainsi, la sauvegarde et le maintien des insectes pollinisateurs sont primordiaux pour la survie des autres espèces. Comment, dès lors, permettre le retour des abeilles ? Comment maintenir le processus de pollinisation ?
L’homme, un nouveau pollinisateur ?
Afin de pallier le manque d’insectes pollinisateurs, certains hommes ont une solution toute trouvée : les remplacer. Quel est l’intérêt des abeilles quand la technologie et la main humaine peuvent remplir les mêmes rôles ? Ainsi, dans la région du Sichuan, en Chine, les abeilles ont disparu depuis une quarantaine d’années. Des femmes ont pris leur place, chargées de grimper dans les cerisiers et les pommiers pour effectuer manuellement le travail de pollinisation. Mais si cette solution est efficace, voire plus efficace que le travail des insectes, il n’en demeure pas moins que la tâche est fastidieuse et dangereuse, notamment à cause des chutes souvent mortelles. Alors quand le travail est trop dur et fatigant pour l’Homme, la tentation est grande de se tourner vers la technologie. La société américaine Dronecopter expérimente ainsi la pollinisation d’amandiers via des drones. Au Japon, ce sont des robots qui ont été imaginés depuis 2017 pour tenter de remplacer les abeilles. Mais, si novatrices soient-elles, ces solutions ne permettent pas d’atteindre la précision des abeilles. Elles ont, de plus, un coût élevé et ne sont pas si simples à mettre en œuvre. Au final, rien ne pourra remplacer le service naturel, rapide et gratuit des abeilles.
Préserver les abeilles par le design
Si l’on peut difficilement les remplacer, il faut donc trouver le moyen de préserver ces petits insectes volatiles. Et certains designers se sont penchés sur le sujet, imaginant des solutions permettant aux abeilles de mieux résister à notre monde. C’est ainsi que la start-up américaine Beecosystem a conçu une véritable ruche d’intérieur permettant aux particuliers de se sensibiliser sur le sort des abeilles. Prenant la forme d’alvéoles que l’on peut assembler tels des légos, ces modules transparents permettent l’observation des insectes et de leur travail. Même la célèbre marque d’équipements pour la maison Philips a conçu son propre projet de ruche domestique. À installer sur son balcon, cette ruche permet aux usagers de comprendre le rôle des abeilles mais aussi de récolter leur propre miel « maison ». Mais bien souvent, les projets des designers touchent uniquement à l’habitat des abeilles. Les ruches se perfectionnent, se contrôlent à distance et deviennent de véritables outils de sensibilisation. Mais la majorité des abeilles sont des abeilles dites « sauvages » et dont l’habitat n’est pas la ruche. Que faire, donc, pour ces usagers davantage familiers du milieu rural ?
Concilier agriculture et sauvegarde des abeilles
Si l’agriculture et ses pratiques abusives ont souvent été montrées du doigt comme potentiel responsable de la disparition des abeilles, ne pourrait-on pas aujourd’hui concilier ces deux mondes ? C’est en tout cas la piste qu’a souhaitée explorer Camille Le Luhandre, étudiante en deuxième année de cycle Master à L’École de design Nantes Atlantique pour son projet de fin d’études. « Je me suis demandée comment l’agriculteur peut participer à la sauvegarde des abeilles sauvages en zone rurale. L’enjeu de ce projet est de repositionner l’abeille comme acteur de la biodiversité et du changement des pratiques agricoles dans les territoires ruraux. Un certain nombre d’agriculteurs n’ont pas suffisamment conscience de l’utilité des abeilles pour l’environnement et pour leurs rendements agricoles. C’est pourquoi j’ai décidé de proposer un concept dans le domaine de la formation positionné directement dans les écoles d’agriculture ». Prenant la forme d’une micro-architecture mobile, la plateforme nommée l’Oasis viserait à améliorer les connaissances sur les abeilles grâce à la pédagogie et à l’expérimentation. Camille a également souhaité associer le monde apicole à ce projet en permettant les échanges avec le monde agricole. Avec l’Oasis, elle entend mettre en avant les qualités de médiateur du designer, le tout au service d’un usager qui ne peut s’exprimer directement : l’abeille.
Par Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique.